Quand deux journalistes du Monde dévoilent la timeline de l’intervention aérienne avortée en Syrie en 2013…Le 24 août dernier, Gérard Davet et Fabrice Lhomme, deux journalistes au Monde, publiaient un document classé confidentiel défense (article réservé aux abonnés du journal, Ndlr) sur les plans d’attaques français contre le régime syrien de Bachar el-Assad. Les lecteurs du quotidien ont pu y découvrir la “timeline du raid” (la chronologie de l’opération), à savoir une frise colorée, détaillant heure par heure une attaque que François Hollande aurait voulu lancer dans la nuit du 1er au 2 septembre 2013. On y découvrait, entre autres, l’heure de départ prévue pour le raid français, à 23h40 heure syrienne, l’heure de la frappe, à 4h du matin, et enfin l’heure d’atterrissage, à 7h30, avant de faire le point sur les opérations menées à 19h. Il est également indiqué que le Président aurait eu jusqu’à 2h du matin pour tout annuler, après quoi les Rafales auraient ouvert le feu irrémédiablement.
L’affaire a commencé à faire du bruit, comme en témoigne les déclarations successives de plusieurs hommes politiques, tel que l’ancien ministre de la défense Hervé Morin. Mais finalement, cette révélation a-t-elle un véritable intérêt ?
Un document qui date de 2013
Remontons à la fin du mois d’août 2013. Le président François Hollande, ayant déclaré avoir des preuves d’une attaque chimique du régime de Bachar el-Assad, décide de mener des frappes aériennes contre le régime syrien. Cependant, si la France est militairement capable de mener ces frappes, le risque diplomatique est beaucoup plus élevé. Il lui faut donc l’appui de l’intervention américaine.
C’est à ce moment que survient le document récemment révélé. Cette timeline était censée montrer au président américain que les Français étaient décidés à intervenir vite et efficacement. Finalement, le président Obama n’y donnera pas suite, après avoir retardé sa prise de décision (déjà révélé par le Monde en février 2015, Ndlr). Cette volonté française de mener des frappes contre le régime de Bachar el-Assad n’était un secret pour personne et correspondait à la position officielle du pays. Ce document n’apporte donc aucune information nouvelle sur le plan politique.
Un intérêt militaire très limité
Au niveau militaire, quel est l’intérêt de cette timeline ? Il s’agit d’un document de synthèse, résumant sous forme d’une frise chronologique le déroulement d’une opération de bombardement. Il s’agit donc d’un document extrêmement simplifié, à destination du président de la République et qui traduit de manière facilement compréhensible les ordres militaires plus complexes qui ont été rédigés en amont.
Ce document, quoique classé confidentiel défense (le plus bas des trois niveaux de classification), ne révèle aucun mode opératoire militaire. Le “targeting”, qui consiste à définir les cibles les plus intéressantes, n’est ici pas évoqué, pas plus que le trajet emprunté (ce qui pourrait révéler éventuellement des accords bilatéraux secrets). Ainsi, ce document prouve simplement que l’armée est en mesure de produire rapidement des plans d’opérations lorsque la situation se dégrade. Et, au final, c’est bien là son rôle.
La difficile protection du secret
Le seul intérêt de ce document est de pointer du doigt une brèche dans la gestion de la sécurité des informations classifiées. Cependant il sera très difficile de savoir comment ce document est arrivé entre les mains des journalistes. Non signé, sans aucun logo d’une des armées, il est déjà compliqué de retrouver son origine. Il peut s’agir d’un acte délibéré, mais les journalistes faisaient à cette époque un reportage au plus près du Président, aussi n’est-il pas impossible qu’ils aient profité d’une négligence. Sans pouvoir identifier de responsable, il est très probable qu’aucune poursuite ne soit engagée.
Les deux journalistes ont sans aucun doute montré leur habileté à obtenir des informations tout autant que la difficulté pour les grands chefs militaires et les décideurs politiques à parvenir à concilier et à trouver un délicat équilibre entre la nécessité de communiquer et celle de conserver secrètes certaines informations. Le problème revient d’ailleurs régulièrement sur le devant de la scène médiatique. Le 16 septembre 2015, Maurice Dufresse, ancien responsable du service technique d’appui de la DGSE (Direction Générale des Services Extérieurs), avait été condamné pour violation du secret suite à son livre Vingt-cinq ans dans les services secrets publié en 2010 sous le pseudonyme de Pierre Siramy. Il avait écopé de 5 000 euros d’amende et de deux mois de prison avec sursis.