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Chili : un prêtre français sous la dictature de Pinochet

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Sylvain Dorient - publié le 01/07/16
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Le père Daniel Houry fut envoyé en mission au Chili de 1973 à 1996. Il y vécut “prêtre pauvre pour les pauvres”.Le père Houry emménageait en 1973 dans un quartier pauvre de Talca, au Chili. Il disposait d’une cellule avec une table, une chaise et un lit. Examinant les lieux, un représentant de la Jeunesse ouvrière chrétienne, venu le visiter lui dit, avec un sifflement admiratif : “Vous êtes drôlement bien installé !”. Lorsque ce fut le tour du prêtre de se rendre au domicile du jeune homme, il découvrit une famille de cinq enfants vivant dans une pièce de briques crues, avec une simple tôle pour toit, une ficelle au-dessus des “lits” posés à même la terre battue. Pas de goudron dans les rues… Ni de protection imperméable : “Quand il pleuvait, les gens étaient mouillés, tout simplement, et les rues charriaient des torrents de boue”, se souvient-il.

“¡ Bienvenido Padre !”

Mais la précarité du confort était largement compensée par l’accueil des Chiliens : “Merci mon Père, d’avoir laissé votre famille pour nous !”. Les jeunes gens qui le voyaient vivre avec eux, et parcourir sa paroisse à vélo, le prenaient pour un prêtre ouvrier. La collaboration avec le clergé chilien s’est opérée naturellement et le travail des prêtres, qui comme le père Houry, officiaient dans les “périphéries”, a été salué par l’archevêque de Santiago du Chili, Mgr Raúl Silva Henríquez : “Ce n’est pas la même chose de lire dans le journal qu’un homme a été attaqué par des rats, dans les bidonvilles, et de devoir se battre soi-même contre les rats”. Au presbytère, le père Houry assure modestement qu’il n’y avait pas de rats… mais une invasion de souris ! Le prêtre est devenu un expert dans la lutte contre les rongeurs, maniant habilement sa truelle pour combler les trous où ils se cachaient.

Religiosité à la chilienne

Il lui a fallu aussi apprendre les coutumes chiliennes et la façon exubérante des fidèles d’exprimer leur foi. En certaines occasions, le prêtre voit ses paroissiens revêtir des costumes de fête bigarrés, ornés de miroirs, et exécuter des danses devant les statues de saints au son des violons, sifflets et crécelles. Il leur arrive de danser jusqu’à une heure parfois devant le Saint-Sacrement. Ces cérémonies, empruntes de traditions indigènes, n’effrayèrent pas le prêtre français, plutôt impressionné par la foi et l’engagement de ses paroissiens. “Certains d’entre eux s’organisaient en confréries, se souvient-il. Ils ne devaient plus boire d’alcool, se montrer honnêtes en toutes circonstances, et témoigner de leur respect envers les femmes”. Le premier dimanche après Pâques, le prêtre était emmené en charrette à cheval pour porter la communion aux malades, escorté des hommes de sa paroisse, à cheval et portant le costume traditionnel. “Les Chiliens sont un peuple très religieux, analyse le père Houry. Il y avait une intense vie paroissiale !” Ils font des vœux, lors de leurs prières : “Si je guéris de cette maladie, je m’habillerai aux couleurs de la Vierge Marie (blanc et bleu, ndlr) pendant un an”.

15 ans de dictature

Une année après son arrivée, le père Houry assista au coup d’État d’Augusto Pinochet. Pendant quinze ans, certains catholiques évitèrent d’aller à la messe, de peur d’être fichés par les services de renseignement chiliens. “Tout était verrouillé, se souvient le père Houry, il y avait des militaires à tous les postes de responsabilité !” Un jour, dans son église, il remarqua un inconnu et alla le voir après la messe en lui demandant : “Vous venez souvent ici ?” ; l’homme répondit : “Cela dépend, je vais là où on me dit d’aller”. C’était un “Sapo”, littéralement un crapaud, c’est-à-dire un agent de renseignements de la police de Pinochet.

Disparitions…

Le prêtre constate que des hommes disparaissent : ils étaient arrêtés par la police, puis quand leurs familles venaient les réclamer, on leur répondait : “Nous ne l’avons pas”. Ces personnes avaient été arrêtées par la DINA, pour Direccion de inteligencia nacional, une police politique qui ne répondait de ses actes devant personne. L’un des collègues du père Houry passa 90 jours dans l’une de leurs sinistres prisons avant d’être libéré, grâce à l’intervention de Mgr Raúl Silva Henríquez. Pour venir en aide aux prisonniers, le clergé chilien créa le Vicariat chargé de solidarité avec les détenus. De son côté, le père Houry reçut la visite de communistes qui lui demandèrent de créer le Comité chilien des droits de l’homme de Talca. Les militants précisèrent : “Si nous le proposons aux démocrates chrétiens, ils refuseront. Si les démocrates chrétiens nous le proposent, nous refuserons. Vous-seul pouvez le faire”.

Une révolution sans mort, après une décennie de conflits

À la fin des années 80, le référendum organisé pour décider si oui ou non Augusto Pinochet devait rester au pouvoir mit la société chilienne en effervescence. “Nous avions des paroissiens qui, à 40 ans, ne savaient pas ce que c’était que de voter !” L’Église organisa des sessions de rattrapage intitulées “Comment voter”. Lorsque le “non” l’emporta, les paroissiens du père Houry se rendirent à l’église spontanément pour louer le Seigneur. Les six années suivantes virent les surprises s’enchaîner : le nouveau maire fit goudronner les rues, et tout le réseau routier fut réordonné.

Nommé à Santiago du Chili, le père Houry, lors d’une procession, salua un “carabinier” qui assurait la sécurité ; ses paroissiens s’en indignèrent. Les carabiniers avaient mauvaise réputation pendant la dictature. Il leur arrivait de tirer sans sommation sur les groupes de jeunes attroupés après le couvre-feu. Les balles traversaient facilement le bois ou la brique crue des habitations, et beaucoup d’innocents trouvèrent la mort dans leur maison. C’est ainsi que mourut le père français André Jarlan, touché alors qu’il lisait la Bible. Son portrait est reproduit dans de vaste fresque murale du quartier de la Victoria, à Santiago du Chili.

Revenir de mission

Rappelé en France, le père Houry continue son travail de missionnaire à Montfermeil, dans la banlieue parisienne, où il officie auprès de chrétiens du monde entier. Ces nouveaux paroissiens sont Portugais, Turcs, parfois Indiens, et il affirme ne pas avoir trop la nostalgie de son pays. “Il y a du travail, ici aussi, assure-t-il. Et il m’arrive de retourner au Chili, où je suis reçu comme un prince par mes amis chiliens !”

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