Bataille de chiffonniers sur un texte anémié entre un syndicat en perte de vitesse et un pouvoir à bout de souffle. Comment la France va-t-elle s’en sortir ?““Le dialogue est toujours possible mais il n’est jamais basé sur un ultimatum”, a prévenu le chef de l’État depuis le Japon, alors que l’intersyndicale a appelé vendredi (27 mai) à “amplifier les mobilisations”. Pour atteindre ses objectifs, François Hollande pourrait s’appuyer sur les “syndicats réformistes”, comme la CFDT, la CFTC, la FAGE, le premier syndicat étudiant, qui (…) “aujourd’hui considèrent que ce texte est un progrès””, résume BFMTV.
La sibylline “inversion de la hiérarchie des normes”
Si la CGT exige le retrait pur et simple de la loi, ses alliés-syndicats et députés “frondeurs” pourraient s’accommoder d’une réécriture de l’article 2 du projet de loi Travail. Au fait, qu’y a-t-il dans cet article ? La fameuse, quoique sibylline, “inversion de la hiérarchie des normes”. Le Figaro explique : “L’article 2 du projet de loi Travail prévoit qu’un accord d’entreprise puisse déroger à un accord de branche en matière de temps de travail, même s’il est moins favorable aux salariés. L’objectif est d’offrir plus de latitude aux partenaires sociaux, pour qu’ils puissent adapter finement les conditions de travail en fonction des besoins de l’entreprise à un moment M. (…) Les députés frondeurs, hostiles à cet article de même que la CGT et FO, y voient un “risque de moins disant social”. Ils craignent aussi que la multiplication des accords d’entreprises ne porte un coup à l’égalité de traitement des salariés. (…) La CFDT, à l’inverse, est favorable à une telle évolution, qui donne plus de pouvoir aux représentants syndicaux dans l’entreprise”… et lui permettrait de devenir le premier syndicat de France, devant la CGT.
La CGT empêche les quotidiens de paraître… sauf L’Humanité
Car ne nous y trompons pas : Philippe Martinez, “le patron de la CGT cherche avant tout à adresser un message à ses propres troupes, dans un contexte de perte d’influence”, analyse le journaliste Erwan Seznec, auteur, avec Rozenn Le Saint du Livre noir des syndicats (Robert Laffont), dans un entretien au Nouvel Obs. Les débordements, les affiches incitant à la violence (“Ça va pêter !” illustré par une bombe après l’affiche s’en prenant aux policiers) ou la censure, jeudi 26 mai, des quotidiens, tous empêchés de paraître sauf… L’Humanité, entrent dans cette stratégie jusqu’au-boutiste : “La question de l’image (des syndicats) n’est pas une préoccupation : 95% de leur financement provient de subventions (État, organismes paritaires et collectivités territoriales). Quand un parti politique n’a plus d’électeurs, il coule. Ce n’est pas le cas des syndicats”.
Cacophonie au sommet du gouvernement sur l’article 2
Pas sûr qu’au bout du compte la CGT n’y laisse pas des plumes… Mais c’est bien le PS qui est en train de couler. La cacophonie sur l’article 2 règne jusqu’au sommet du gouvernement, ce qui a amené Manuel Valls à “recadrer” en direct son ministre de l’Économie, Michel Sapin, qui venait d’avancer timidement qu’ “on pouvait peut-être y toucher” sur LCP jeudi matin. “On ne touchera pas à l’article 2”, lui a répondu quelques minutes plus tard Manuel Valls sur RMC. Ce fut “le recadrage le plus rapide de l’histoire des couacs”, relève le Huffington Post. À près de deux semaines de l’Euro de football et face aux risques pour notre économie vacillante, le Premier ministre, Manuel Valls, a jugé “inacceptable” de “bloquer un pays”. Il a apparemment le soutien de François Hollande, constate Le Point : “Je tiendrai bon parce que je pense que c’est une bonne réforme”, a assuré le président français lors d’une conférence de presse dans le cadre du sommet du G7 au Japon. Face aux blocages, le “premier devoir” de l’exécutif est d’assurer “la liberté de circuler” et “le bon fonctionnement de l’économie”, a-t-il ajouté.
Contre la loi… et contre les blocages
Pendant ce temps, la tension continue de monter : l’exaspération due aux blocages s’est soldée par “trois blessés dont un dans un état grave, et une tension qui n’en finit pas de monter dans les Bouches-du-Rhône”, rapporte notamment Le Parisien. “De nouveaux incidents ont éclaté dans la capitale, des manifestants cagoulés ont brisé des vitrines, dégradé des véhicules, lancé des projectiles et poussé un chariot de supermarché enflammé vers des policiers, qui ont répliqué avec des gaz lacrymogènes. Trente-deux personnes ont été placées en garde à vue à Paris, 62 dans tout l’Hexagone.”
Pourtant, “malgré les blocages de raffineries, 62% des Français estiment le mouvement contre la loi Travail “justifié”” selon un sondage Ifop réalisé pour RTL. Un pourcentage à prendre avec des pincettes : “Les Français sont contre la loi El Khomri mais ils sont encore plus contre le blocage des transport”, prévenait mardi 24 mai Alain Duhamel également sur RTL. L’exécutif table sur un revirement de l’opinion.
“Le conflit demeure donc total, trois mois après la présentation de ce texte en Conseil des ministres”, rappelle LCP : “(…) le gouvernement a dû recourir à l’article 49-3 pour le faire adopter à l’Assemblée, au prix d’une inédite tentative de motion de censure par les opposants de gauche au Palais-Bourbon. Ces députés PS (26), écologistes et Front de Gauche ont promis de réussir leur coup en seconde lecture. Jean-Luc Mélenchon a d’ores et déjà prédit la censure du gouvernement Valls, ce qui constituerait une première depuis 1962”. Avec la loi travail, “pour le tandem Hollande-Valls se joue la fin du quinquennat”, conclut la chaîne parlementaire. Mais dans quel état cet affrontement entre la gauche et la gauche va-t-il laisser la France ?
La France dans le rôle de Cosette
“Un responsable politique a le même rôle qu’un père de famille à l’égard de ses enfants”, a déclaré aux Matins de France Culture avec La Croix Najat Vallaud-Belkcacem. “Elle a raison”, rétorque Gabrielle Cluzel sur Boulevard Voltaire : “À condition que celui-ci ne soit pas le père Thénardier qui passe tout à ses enfants naturels, ceux qu’il reconnaît de son sang, biberonnés à l’UNEF ou à la CGT, et exploite jusqu’à l’épuisement Cosette, la France qui passe la serpillière et se cogne toutes les corvées”.