Dans un long entretien à “La Croix”, le Saint-Père reproche à la France “une laïcité exagérée”. Tous les sujets sensibles de l’actualité sont passés en revue : de la crise des vocations, à la main tendue aux lefebvristes, en passant par l’affaire Barbarin et la peur de l’islam.Crise des vocations, affaires de pédophilie, le port des signes religieux, les lefebvristes, les migrants : tels sont les divers thèmes abordés par le pape François dans une longue interview au quotidien catholique français La Croix, réalisée le 9 mai dernier, mais parue ce mardi 17 mai. Il y annonce un voyage en France, mais pas avant la prochaine élection présidentielle, au printemps 2017, dont une des étapes serait Marseille, ville que jamais aucun Pape n’avait encore visitée et qui représente “une porte ouverte sur le monde”, a souligné le Saint-Père. Autres étapes possibles : Paris et sa banlieue Lourdes.
Dans un extrait de l’interview accordée à Guillaume Goubert, directeur de La Croix et à Sébastien Maillard, envoyé spécial à Rome, paru en clair sur le site du quotidien français, le Pape a confié sa “fascination” pour la France, un territoire aux mille contrastes avec d’un côté, une “laïcité exagérée, héritage de la révolution”, de l’autre “tant de grands saints” comme sainte Thérèse de Lisieux qu’il a avoué apprécier tout particulièrement. Une France donc “fille aînée de l’Église mais… pas la plus fidèle !”, a-t-il déclaré d’emblée en déclenchant des rires dans la salle.
Crise des vocations
Face à la grave crise des vocations que traverse la France, le Pape a suggéré de prendre exemple sur la Corée, évangélisée par des missionnaires venus de Chine qui y sont ensuite repartis, puis durant deux siècles, a été évangélisée par des laïcs. “C’est une terre de saints et de martyrs avec aujourd’hui une Église forte. Pour évangéliser, il n’y a pas nécessairement besoin de prêtres. Le baptême donne la force d’évangéliser. Et l’Esprit Saint, reçu au baptême, pousse à sortir, à porter le message chrétien, avec courage et patience”, a-t-il souligné.
Et face au risque inverse de “cléricalisation” dans l’Eglise, contre lequel il s’est si souvent exprimé – encore dernièrement dans une lettre au cardinal Marc Ouellet, président de la Commission pontificale pour l’Amérique latine – il a répondu : “C’est un péché qui se commet à deux, comme le tango ! Les prêtres veulent cléricaliser les laïcs et les laïcs demandent à être cléricalisés, par facilité”.
Affaire Barbarin
D’après les éléments dont il a déclaré disposer, le Pape pense que le cardinal a pris les mesures qui s’imposaient, qu’il a bien pris les choses en main : “C’est un courageux, un créatif, un missionnaire. Nous devons maintenant attendre la suite de la procédure devant la justice civile”, a-t-il commenté. Selon lui, le cardinal Barbarin ne doit pas démissionner : “Non, ce serait un contresens, une imprudence, répond-il aux journalistes, on verra après la conclusion du procès. Mais maintenant, ce serait se dire coupable”.
Les lefebvristes
Avec les lefebvristes, le Pape a estimé “bien dialoguer” et avancer “avec patience” vers un accord fondamental avec eux. Mgr Bernard Fellay, supérieur général et successeur de Mgr Marcel Lefebvre à la tête de la Fraternité sacerdotale Saint-Pie-X (FSSPX), “est un homme avec qui on peut dialoguer”, aurait confié le Pape dont les propos sont également repris par Radio Vatican. Aucun accord vers une éventuelle prélature personnelle ne serait pour le moment envisagé, mais depuis la rencontre entre les deux hommes, le 1er avril dernier, les “signes d’apaisement” décrits ce jour-là, semblent se confirmer.
Laïcité
Pour le Pape, la laïcité en France est “une laïcité exagérée”. Et il attribue cette exagération au fait que les religions y sont considérées “comme une sous-culture et non comme une culture à part entière”. Il a insisté sur ce qu’il avait déjà dit en mars dernier, en recevant une délégation des Poissons roses : “La France devrait faire un pas en avant à ce sujet pour accepter que l’ouverture à la transcendance soit un droit pour tous”.
L’islam
Le Pape, rapporte Radio Vatican, a estimé que la crainte à l’égard de l’islam est davantage liée à celle de Daesh et de “sa guerre de conquête”, même si “l’idée de conquête est inhérente à l’âme de l’islam”. Il a invité à “s’interroger sur la manière dont a été exporté un modèle de démocratie trop occidentale dans des pays où il y avait un pouvoir fort, comme en Irak”.
Il pense toujours que “sur le fond, la coexistence entre chrétiens et musulmans est possible”. Sur la question du port du voile dans des lieux publics, qui fait l’objet de combats juridiques en France, le Pape a mis en avant le fait qu’il vient d’un pays, l’Argentine, où ils “cohabitent en bonne familiarité”. Ainsi, “si une femme musulmane veut porter le voile, elle doit pouvoir le faire. De même, si un catholique veut porter une croix”, a-t-il souligné, en ajoutant que “chacun doit avoir la liberté d’extérioriser sa propre foi”.
Les réfugiés
Le Pape a reconnu que l’on “ne peut pas ouvrir grand les portes de façon irrationnelle”, mais insisté sur l’importance que l’Europe “intègre” les migrants qui affluent sur son territoire, et revoie son “système économique mondial tombé dans l’idolâtrie de l’argent”. Selon lui, le pire accueil que l’on puisse réserver à ces migrants est de “les ghettoïser”, a-t-il estimé.
L’Europe
Après son discours à Strasbourg au Parlement européen, en 2014, et un deuxième ces derniers jours, en recevant le prix Charlemagne d’Aix-la-Chapelle, le Pape est revenu sur les racines de l’Europe qui doivent se décliner, selon lui, “au pluriel, car il y en a tant”. Quand il entend parler des racines chrétiennes de l’Europe, il redoute parfois “les tons” employés car, a-t-il expliqué, “triomphalistes ou vengeurs cela devient alors du colonialisme”.
Tout au long de l’interview, le Souverain Pontife a cité de grands intellectuels français comme : Jean Guitton (1901-1999) ; Maurice Blondel (1861-1949) ; Emmanuel Levinas (1906-1995) ; Jacques Maritain (1882-1973).