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Où va l’Europe ?

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Cédric Burgun - publié le 09/05/16
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En cette Journée de l’Europe, le père Cédric Burgun s’interroge : “Que t’est-il arrivé, Europe mère de peuples et de nations, mère de grands hommes et de grandes femmes qui ont su défendre et donner leur vie pour la dignité de leurs frères ?”À un an d’une élection majeure pour notre pays, la question “où va l’Europe ?”, posée de toute part, malheureusement, a été posée solennellement par le pape François lui-même, qui a interpelé cette Europe fatiguée, vendredi dernier encore, lors de la remise de son prix Charlemagne, dans un discours remarquable : “Que t’est-il arrivé, Europe humaniste, paladin des droits de l’homme, de la démocratie et de la liberté ? Que t’est-il arrivé, Europe terre de poètes, de philosophes, d’artistes, de musiciens, d’hommes de lettres ? Que t’est-il arrivé, Europe mère de peuples et de nations, mère de grands hommes et de grandes femmes qui ont su défendre et donner leur vie pour la dignité de leurs frères ?”. Ne serait-il pas temps que l’Europe ne soit pas qu’une question annexe de nos politiques ?

Le Pape nous interroge sur ce qu’il reste, au fond, de ce projet européen, magnifique, si nécessaire et tant de fois encouragé par l’Église catholique. Au départ,  il y avait une idée toute simple et splendide à la fois : celle d’une Europe réconciliée après tant de déchirures ! Un homme politique français, Robert Schuman, a eu le courage, le 9 mai 1950, de lancer un projet novateur, pacifique, aux antipodes des conflits et des égoïsmes de son temps ; et pour le Pape, “les cendres des décombres n’ont pas pu éteindre l’espérance et la recherche de l’autre, qui brûlaient dans le cœur des Pères fondateurs du projet européen. Ils ont jeté les fondations d’un rempart de paix, d’un édifice construit par des États qui ne s’étaient pas unis de force, mais par un choix libre du bien commun, en renonçant pour toujours à s’affronter”.

Mais en cet anniversaire du 9 mai, les bougies ne semblent-elles ternes, et le gâteau bien aigre ? Enraciné dans l’évangile de l’amour des ennemis et de la main tendue, Robert Schuman est celui à qui nous devons la paix et la solidarité européennes : nous en vivons comme si c’était normal… Mais la paix ne peut être routinière !

Que reste-t-il aujourd’hui de cet idéal, si ce n’est un assemblage incompréhensible et illisible ? Une “Europe grand-mère”, selon le Pape, qui ne cesse de rechercher son avenir parce qu’elle n’est plus enracinée dans son passé ; “une Europe qui est en train de “se retrancher” au lieu de privilégier des actions qui promeuvent de nouveaux dynamismes dans la société” (Pape François) ! Non seulement, en ces racines, mais en son projet fondateur ; et qu’elle ne croit plus en son présent.

Sommes-nous, classe politique et citoyens confondus, à la hauteur des enjeux ? Pour les uns, il s’agit d’abandonner purement et simplement ce projet, quand pour d’autres, il s’agit de renégocier, toujours et encore, en en faisant un prétexte électoraliste, qui conduira nécessairement  à ajouter de la complexité à ce qui ressemble de plus en plus à une chimère ?

L’Europe a un passé qui pourrait bien redevenir son présent

Dans un passé fait de guerres, de déchirures, de conflits, de jalousie et d’égoïsme nationaux (sur les produits énergétiques entre autres), et dans la tentation encore actuelle de tous les populismes, Robert Schuman fut, en ce 9 mai, ce révolutionnaire de la paix européenne : une paix construite, organisée, non pas vécue comme un doux rêve ou une belle utopie, mais comme un projet concret et incarné. Ce passé pétri aussi de racines, de cultures, de patrimoines, de valeurs, des grands courants philosophiques et du judéo-christianisme a su engendrer cette réalité du partage et du don de soi, en communauté et en nation : “Il n’y a pour nous d’autre chance de salut que le retour aux principes de solidarité entre les individus et entre les Nations, à la pratique de la fraternité qui doit nous unir dans la coopération et dans le sacrifice” (Robert Schuman). Oui, la supranationalité et le renoncement ont su être une politique effective et efficace.

L’Europe aura-t-elle un avenir ?

Face aux nouveaux défis qui se présentent (migratoire, énergétique, conflits internationaux, etc.), face aux nouveaux individualismes, jalousies, déchirures et conflits, tous actuels et à peine larvés et prédominants, face à la tentation même du suicide de notre continent, le “pardon” et la “réconciliation”, dans le renoncement, le sacrifice et la solidarité, ne sont-ils pas, encore aujourd’hui, la seule convocation possible de l’Europe ? Le temps n’est-il pas venu de tirer toutes les leçons de ce passé ? La gravité de la situation n’est pas inférieure à celle de Schuman.

Où est passée cette réconciliation fondatrice ? Où est passée cette solidarité concrète de partage des ressources qui nous divisaient naguère ? Où est passée cette lumière démocratique (pour Schuman, une démocratie est profondément chrétienne ou elle n’est pas !) que devait être l’Europe pour tous les peuples en attente d’une liberté méritée ? Où est passée cette Europe fière de son histoire et de sa culture que beaucoup oublient ou renient, aujourd’hui encore ? Certes, il ne s’agit plus de rêver l’Europe, ni de rêver à la sainteté en politique ; il s’agit d’en vivre ! “L’élément tragique pour l’homme moderne n’est pas qu’il ne connaît pas le sens de la vie, mais que ce sens de la vie le dérange de moins en moins” (Václav Havel) : aujourd’hui, le sens de l’existence de l’Europe la dérange de moins en moins, sa paix originelle la dérange de moins en moins. Voilà son drame ; mais voilà sa chance aussi : “La paix sera durable dans la mesure où nous armons nos enfants des armes du dialogue, dans la mesure où nous leur enseignons le bon combat de la rencontre et de la négociation. Ainsi, nous pourrons leur laisser en héritage une culture qui sait définir des stratégies non pas de mort, mais de vie, non pas d’exclusion, mais d’intégration” (Pape François).

L’Europe n’est pas d’abord un problème électoral, ou une fumisterie administrative ou politique, mais une nécessité ; oui, l’Europe doit demeurer cette lumière pour le monde, parce que “les démocraties contemporaines – les vraies qui n’en ont pas seulement le nom et l’étiquette trompeuse – nous donnent l’exemple d’une juste compréhension des valeurs spirituelles et religieuses” (Robert Schuman, Pour l’Europe, chapitre III). L’Europe aura un véritable projet, non pas en se réinventant sans cesse par des traités ou par je ne sais quels slogans de re-fondation – qu’on nous promet à chaque élection – ; non pas en prenant la fuite comme le proposent de manière irresponsable d’autres encore, mais en ayant un projet clair et ambitieux. L’Europe doit redonner de l’espérance là où il n’y a plus que désespérance. Et c’est ainsi que le pape François se prend à rêver d’une “Europe des familles, avec des politiques vraiment effectives, centrées sur les visages plus que sur les chiffres, sur les naissances d’enfants plus que sur l’augmentation des biens. Je rêve d’une Europe qui promeut et défend les droits de chacun, sans oublier les devoirs envers tous. Je rêve d’une Europe dont on ne puisse pas dire que son engagement pour les droits humains a été sa dernière utopie”.

 

Le père Cédric Burgun est prêtre du diocèse de Metz et de la Communauté de l’Emmanuel ; président de l’Institut Saint-Benoît, demandeur de la cause de béatification de Robert Schuman.

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