Comment faire face au succès des prédicateurs pentecôtistes ? L’Institut brésilien de marketing catholique (IBMC) créé en 1998 se pose en rempart discret mais incontournable.Tout a commencé par un ras-le bol. Antonio Kater Filho, docteur en Théologie et en… Marketing, ne supportait plus de voir le succès grandissant des églises évangélistes face à l’Église catholique brésilienne, la première du monde en nombre de fidèles. Il a donc cherché à comprendre ce qu’il conviendrait de changer au sein de cette dernière pour la rendre plus “attractive”. Première étape donc, son livre-thèse Le marketing appliqué à l’Église catholique. À sa grande surprise, l’ouvrage remporte un vif succès et les sollicitations se multiplient pour prendre conseil. Résultat ? Antonio Kater Filho a fini par créer, en 1998, l’Institut Brésilien de Marketing Catholique (IBMC), une agence aujourd’hui présidée par Mgr Orani Joao Tempesta, cardinal archevêque de Rio de Janeiro.
“Les objectifs de l’IBMC sont multiples, explique Antonio Kater Filho. Nous proposons du Conseil en marketing aux différentes structures de l’Eglise catholique (diocèses, paroisses, institutions religieuses et sociales, structures ecclésiastiques et pastorales, etc…). Nous accompagnons des diocèses dans leurs initiatives de communication et de marketing en accord avec les axes de l’action évangélisatrice au Brésil.” L’IBMC entend ainsi se mettre au service des diocèses, paroisses, et organisations catholiques dans leurs projets d’évangélisation. “Et nous développons des initiatives dans le domaine du marketing destinées à diffuser le message de l’Évangile dans sa vision œcuménique”, complète le directeur exécutif de l’IBMC. Une liste loin d’être exhaustive pour des prestations qui se veulent “à la carte” et qui sont assurées par un panel de religieux(ses), de publicitaires, d’avocats, d’économistes et autres journalistes.
Les fidèles, ces consommateurs à part entière
Il est vrai que ce militant du mouvement catholique du Renouveau charismatique a des idées bien claires sur le “marché” que constitue l’Église catholique aujourd’hui. “Les fidèles doivent être traités non pas comme de simples participants aux célébrations religieuses, mais comme des consommateurs à part entière qu’il faut être en mesure de fidéliser”, assure-t-il. Et pour y parvenir, cet homme croit en la valeur marketing de son “produit”. “Pourquoi, d’après vous, l’Église catholique a plus de 2 000 ans d’Histoire ?”, interroge t-il. “Car elle a le meilleur logo, la croix ; la meilleure devanture, les clochers des églises ; et un grand produit, le salut !”
Ce discours n’a rien de provocateur dans la bouche de ce sexagénaire aux allures de chef d’entreprise, et qui a obtenu, après son cursus universitaire de marketing et de communication, un doctorat en théologie, “pour pouvoir parler d’égal à égal avec les hommes d’Église”. Antonio Kater Filho assure d’ailleurs qu’il n’a rien inventé. “Jésus était le premier homme de marketing. Et aujourd’hui, nous devons nous inspirer de son œuvre pour lutter contre les menaces qui pèsent sur l’Église catholique. En particulier l’hémorragie des fidèles vers les églises pentecôtistes.”
“Plus d’efficacité svp !”
C’est justement en assistant au prêche d’un pasteur d’une église pentecôtiste que le directeur de l’IBMC s’est rendu compte de tout ce qui séparait, en terme “d’efficacité” l’Église catholique des autres Églises. En commençant par les conditions d’accueil des fidèles. “Il faut en finir avec les bancs de bois austères et inconfortables sur lesquels les gens restent assis deux heures et ressortent avec le mal de dos ! Les églises doivent s’équiper de sièges confortables et posséder l’air conditionné lorsque cela est nécessaire.”
Le son, lui aussi, doit faire l’objet d’un soin particulier. “Les paroles du prêtre doivent être entendues avec clarté, sans échos ni nuisances, de n’importe quel angle de l’édifice.” Un confort qui doit également inclure les infrastructures mises à la disposition des fidèles, en s’inspirant des pratiques en vigueur dans le commerce. “N’importe quel bon magasin propose des places de parking gratuites, des toilettes confortables et parfois même des espaces pour prendre un café ou se restaurer légèrement, note Antonio Kater Filho. Mais l’Église catholique, elle, n’offre rien ! Pourtant, foi et confort ne sont pas antinomiques.”
“Le règne de Dieu, c’est comme gagner au loto”
Rendre les églises plus accueillantes n’est cependant qu’une partie des changements proposés pour conserver les fidèles et reconquérir ceux qui se sont tournés vers d’autres religions ces dernières années. L’autre cheval de bataille du directeur de l’IBMC concerne en effet la manière de communiquer. “Alors que les pasteurs pentecôtistes parlent avec émotion, explique t-il, les prêtres, eux, parlent dans le vide ! Même avec l’ensemble des médias au service de l’Eglise catholique, nous ne savons pas communiquer.” Que faire ? Antonio Kater Filho propose d’abord de se pencher avec soin sur les homélies. “Le prêtre parle trop souvent un langage théologique plein de concepts philosophiques mais que personne ne comprend.” D’où la nécessité de «décodifier» les messes, en utilisant un langage simple et direct.
“Par exemple, si Jésus était vivant aujourd’hui, il ne dirait pas à ses fidèles : “Le règne de Dieu est comme un trésor caché”, mais : “Le règne de Dieu, c’est comme être le seul à avoir tous les numéros au loto”. C’est plus marquant !” La démarche peut surprendre. “Mais l’objectif, est de moderniser un discours hermétique, sans pour autant dénaturer son contenu, en prononçant des sermons plus émotionnels et moins rationnels.” Quitte à se servir des confessions comme sources d’inspiration. “Dans le domaine du marketing, la confession peut être assimilée à un feedback, assure Antonio Kater Filho. Elle constitue en soi une formidable étude qualitative et un outil précieux pour connaître les besoins et les attentes des fidèles. Le bon religieux est celui qui écoute la confession, qui se nourrit des informations qu’elle contient et qui, comme un homme de marketing, sait en tirer des enseignements généraux qui peuvent être appliqués dans un cadre plus large.”
“L’Église catholique est à nous tous”
Autrement dit, “il est possible d’utiliser la confession pour faire un sermon qui réponde aux nécessités des personnes”. Le directeur de l’IBMC est d’ailleurs tellement persuadé de l’importance de ces moments d’intimité “utiles” entre le fidèle et le prêtre qu’il juge bon d’abandonner le terme “confession” au profit de “nouvelle rencontre”. “La confession est associée aujourd’hui aux aveux donnés par un délinquant, avance-t-il. Alors qu’en réalité, le fidèle qui vient se confier est généralement en train de livrer bataille contre les tentations du pêché.” Cette volonté de “décomplexer” les fidèles et de moderniser la syntaxe s’applique également à l’argent, “un sujet encore largement tabou au sein de l’Église”, souligne Antonio Kater Filho. Dans cet esprit, la dîme séculaire, de tous temps considérée comme une aumône, est, elle aussi, “re-conceptualisée”. Dans sa “version business”, la contribution s’est progressivement transformée pour devenir un “investissement financier”.
“L’Église catholique est à nous tous, c’est notre maison, martèle le directeur de l’IBMC. Elle n’appartient pas au seul prêtre qui l’administre. Et nous devons de prendre soin de nos églises”. Le directeur de l’IBMC n’hésite d’ailleurs pas à regretter que les «prêtres ne parlent pas de la dîme avec la même agressivité que nos frères évangélistes.” Une “lacune” soulignée par une statistique qui a valeur de repère pour tous ceux qui croient aux “vertus” du marketing au sein de l’Église catholique. Si le Brésil compte 65% de catholiques, moins d’un tiers d’entre eux contribuent aux donations des églises. Alors que parmi les pentecôtistes, qui constituent 22,5% de la population, 44% y contribue.
“Le marketing pour transmettre la parole du Seigneur”
Accueil, communication, argent… De l’avis même de Mgr Orani Joao Tempesta, un religieux cistercien président de l’IBMC, une “révolution silencieuse” est en marche au sein de l’Église catholique, en particulier brésilienne. “Il faut en finir avec le préjugé qui associe le marketing au seul profit, indique-t-il. Qui peut nier aujourd’hui que nous vivons dans un monde globalisé consumériste ? La question est de savoir comment nous pouvons concilier l’utilisation du marketing et de la communication pour mener à bien notre mission d’évangélisation et de transmission de la Parole du Seigneur.”
Cette préoccupation est, selon le cardinal archevêque de Rio de Janeiro, partagée par plus de 120 diocèses du Brésil qui ont déjà eu recours aux services proposés par l’Institut brésilien de marketing catholique. Un Institut dont le directeur est persuadé que “le marketing, appliqué de manière adéquate, résoudra de manière satisfaisante l’évasion des catholiques et le manque de motivation parmi les fidèles, en les amenant vers un intérêt et un amour renouvelés pour leur Église”.