Pour la première fois, un auteur dissident nord-coréen a fait passer clandestinement son œuvre en Corée du Sud.La dénonciation, recueil de sept nouvelles tout juste publié en France, nous plonge dans le quotidien des familles en Corée du Nord. Ces histoires sont le cri d’un homme étouffé par le totalitarisme. Elles sont aussi le cri de tout un peuple brisé sous le joug du communisme nord-coréen.
“J’ai écrit ces histoires,
Poussé non par le talent
Mais par l’indignation,
Et je ne me suis pas servi d’une plume et d’encre,
Mais de mes os et de mes larmes de sang.
(…) Cher lecteur, je t’en prie, lis-les !”
Écrites sous le sceau du secret, méticuleusement cachées de nombreuses années, puis passées clandestinement en Corée du Sud, ces nouvelles racontent le quotidien du peuple nord-coréen. On connaissait de nombreux récits et témoignages de réfugiés, des analyses géopolitiques d’experts, des documentaires de journalistes, ou encore de violentes dénonciations de défenseurs des droits de l’Homme… Mais cette fois-ci pour la première fois, un auteur dissident nous livre une œuvre littéraire et politique.
Au cœur du quotidien nord-coréen
Par le conte, Bandi nous invite à partager l’intimité des familles et la profondeur des âmes nord-coréennes. Il décrit la peur omniprésente qui contraint à une obéissance totalement irrationnelle. Ou pire, l’absence de peur, comme celle d’une mère jusque-là protégée par son statut et qui va conduire, par insouciance, sa famille au bannissement.
La dénonciation nous emmène sur les chemins de révolte et de chagrin d’un homme à qui la police a refusé le précieux permis de voyage pour se rendre au chevet de sa mère mourante. C’est aussi le terrible désenchantement d’un vieillard qui au seuil de sa vie réalise qu’il a bâti ses rêves sur une illusion. Et cette jeune femme, épouse d’un brillant ingénieur, qui avale en cachette des pilules contraceptives pour ne pas infliger à d’éventuels enfants le rejet de classe subi par leur père issu de la caste hostile au pouvoir.
L’auteur dénonce la comédie jouée par tout un peuple, les larmes feintes à la mort du Grand leader, les sanglots retenus car “parfois les sanglots étaient considérés comme une rébellion et pouvaient vous valoir la mort”, les articles de presse mensongers, le cynisme des petits cadres du parti, les uniformes vert “vipère” des agents de la compagnie des chemins de fer, les faux aveux…
Une lumière dans l’obscurité fragile
Bandi, qui veut dire luciole en Corée, est le pseudonyme que s’est choisi l’auteur de La dénonciation. Comme le colibri qui, dans la légende amérindienne fait son possible goutte à goutte pour éteindre un immense feu de forêt, la luciole, aussi petite soit-elle, fait sa part de lumière dans l’obscurité fragile, osons le croire, de la Corée du Nord.
L’auteur met ici le conte, la poésie, l’humour et même le burlesque au service de la dénonciation de l’insoutenable injustice. L’écriture est simple et humble, ce qui en fait sa beauté. Les sept nouvelles rayonnent d’humanité et de tendresse. Pliés, courbés, cassés par ce régime d’une inhumanité poussée à l’extrême, les personnages de ces petites histoires sont si proches de nous dans leur quête de douceur, d’amour et de paix.
Le lecteur communie à travers ces lignes avec un écrivain habité par une indignation lourde et usante mais un auteur également pétri d’une profonde générosité, d’un regard bienveillant sur son prochain en souffrance. Et surtout un homme libre, libre d’une liberté immense qu’aucun totalitarisme ne pourra jamais éteindre.
La dénonciation, de Bandi. Éditions Philippe Picquier, récits traduits du coréen par Lim Yeong-hee et Mélanie Basnel, 256 pages, 19,50€.