Ces Églises implantées du Liban à l’Inde, sont les dépositaires d’une tradition liturgique et théologique qui manque cruellement à l’Église, dénonce le père Pierre Humblot.Lorsque le pape Jean Paul II insistait sur l’importance des “deux poumons de l’Église”, les chrétiens latins ont compris qu’ils devaient s’enrichir de la tradition orthodoxe greco-byzantine, oubliant l’Église dite nestorienne, ou syriaque, encore plus méconnue ! Cet avertissement provient du père Pierre Humblot, né en France, citoyen iranien et prêtre du Prado, qui a passé la majeure partie de sa vie au Moyen-Orient. Il a côtoyé l’Église chaldéenne, de tradition syriaque, en Iran : “Pour eux, les Byzantins sont des Occidentaux”, rappelle-t-il. Et il a fait connaissance avec les pères syriaques, saint Éphrem en particulier, qui ont une approche de la théologie originale.
Une Église sémite
Alors que les premiers chrétiens de l’Empire romain ont été influencés par la logique grecque, et qu’ils se sont passionnés pour la philosophie, les chrétiens de Syrie et de l’Est de l’Euphrate étaient plus influencés par les populations sémites dont ils étaient souvent issus, et dont des communautés subsistaient en Mésopotamie, vestiges de l’exil des Juifs à Babylone. La langue de ces premiers chrétiens n’est pas le grec, mais l’araméen, décliné au cours de l’Histoire en divers dialectes dits “syriaques”. Ces différences historiques et culturelles se ressentent dans les textes des théologiens. Pour reprendre l’exemple de saint Éphrem, les textes de ce théologien sont essentiellement des poésies, qui n’ont rien à voir avec les démonstrations d’un saint Augustin, par exemple. Le père Humblot détaille : “Les pères des Églises syriaques sont des mystiques, pas des philosophes, ils cherchent à faire toucher la foi, pas à la faire comprendre”.
“Vous, Occidentaux, vous décortiquez le Mystère”
C’est cette différence d’approche qui explique le mot sévère de saint Éphrem à l’égard des théologiens occidentaux : “Ils décortiquent le Mystère”. Cette attitude, plus mystique que philosophe, se ressent, encore de nos jours, parmi les chrétiens de tradition syriaque, comme l’a constaté le père Humblot : “Donnez la Somme théologique de saint Thomas d’Aquin à un chaldéen moyen et le livre va lui tomber des mains ! C’est tout à fait l’inverse de leurs traditions”. Or, malgré leurs différences d’approche, les Églises catholiques romaines et syriaques ne divergent pas sur le plan de la doctrine. Un constat étonnant quand on sait qu’elles ont été presque complètement isolées l’une de l’autre pendant plus de mille ans !
Un outil d’évangélisation inemployé !
La quasi disparition de la tradition syriaque n’est pas qu’une perte historique et culturelle : en la laissant de côté, on laisse sans emploi un outil inestimable pour l’évangélisation en Asie. Lors du Synode spécial pour l’Asie, en 1999, les évêques japonais et vietnamiens affirmaient que la théologie occidentale n’est pas adaptée aux religions de l’Asie : “Pour les Asiatiques, on ne peut pas analyser la vérité ni expliquer le mystère. Il y a une préférence pour le silence avant les paroles”. Cette attitude ressemble à celle des théologiens syriaques, et ce n’est pas un hasard si cette Église a autrefois essaimé jusqu’en Chine !
Le père Humblot constate avec bonheur que l’attitude des chrétiens occidentaux à l’égard de la tradition syriaque est en train de changer : les textes des pères syriaques sont traduits, commencent à être connus par les prêtres, mais un long chemin reste à faire. “Ouvrez le Catéchisme de l’Église catholique, vous n’y trouverez pas un nom syriaque parmi les théologiens cités !”, s’insurge le père Humblot.