Discours de Nouvel An du Souverain Pontife au corps diplomatique accrédité près le Saint-Siège ce lundi 11 janvier.“Seule une forme idéologique et déviée de la religion peut penser rendre justice au nom du Tout-Puissant, en massacrant délibérément des personnes sans défense, comme ce fut le cas avec les attentats sanglants des mois derniers en Afrique, en Europe et au Moyen-Orient “, a déclaré le pape François dans son traditionnel discours de Nouvel An au corps diplomatique accrédité près le Saint-Siège.
Le Pape évoque “le cri” de tous ceux qui fuient des “barbaries indicibles” et “la misère extrême”. Face à la grande vague migratoire actuelle, il appelle l’Europe à ne pas perdre cet “esprit humaniste” qui la caractérise, à rester un “phare d’humanité” malgré “la menace déferlante du terrorisme international” qui, reconnaît-il, augmente terriblement “les craintes concernant la sécurité”.
Dans son discours, le Souverain Pontife dresse un portrait du monde “tourmenté et affligé de tant de maux” : instrumentalisation des plus faibles, culture du rejet, arrogance des plus grands, indifférence et cynisme face aux plus pauvres, violation de la liberté religieuse… Pour ne citer que quelques uns des sujets les plus brûlants de l’actualité soulevés par le pape en ce début d’année 2016.
Grave urgence migratoire
“Arrêter les tragédies et construire la paix avant qu’il ne soit trop tard” est l’un des grands appels de ce discours du Pape où la question migratoire occupe une large place. “On aurait pu affronter une grande partie des causes des migrations depuis longtemps déjà. On aurait pu ainsi éviter beaucoup de malheurs ou, du moins, en adoucir les conséquences les plus cruelles”, regrette-t-il d’emblée. Mais cela signifierait remettre en cause des habitudes et des pratiques établies, à commencer par les questions liées au commerce des armes, au problème de l’approvisionnement de matières premières et d’énergie, aux investissements, aux politiques financières et de soutien au développement, jusqu’à la grave plaie de la corruption. Il est “douloureux” pour le Pape de constater que les migrants “ne rentrent pas toujours dans les systèmes internationaux de protection sur la base d’accords internationaux”.
Il poursuit : “Comment ne pas voir dans tout cela le fruit de cette “culture du rejet” qui met en péril la personne humaine, sacrifiant des hommes et des femmes aux idoles du profit et de la consommation ? Il est grave de s’habituer à ces situations de pauvreté et de besoin, aux drames de nombreuses personnes et de les faire devenir “normalité”. Les personnes ne sont plus perçues comme une valeur fondamentale à respecter et à protéger, surtout celles qui sont pauvres ou avec un handicap, si elles “ne servent pas encore” – comme les enfants à naître –, ou “ne servent plus” – comme les personnes âgées (…)”.
Le Pape reconnaît les difficultés de l’Europe face à l’afflux des migrants : “Les débarquements massifs sur les côtes du vieux continent semblent faire vaciller le système d’accueil construit avec peine sur les cendres du second conflit mondial”. Cependant, réaffirme-t-il, on ne peut pas se permettre de “perdre les valeurs et les principes d’humanité, de respect pour la dignité de toute personne, de subsidiarité et de solidarité réciproque, bien qu’ils puissent, à certains moments de l’Histoire, constituer un fardeau difficile à porter”. Il est convaincu que l’Europe, aidée par son grand patrimoine culturel et religieux, a les instruments “pour défendre la centralité de la personne humaine et pour trouver le juste équilibre entre le double devoir moral de protéger les droits de ses propres citoyens, et celui de garantir l’assistance et l’accueil des migrants”.
Le Pape souhaite que le premier Sommet humanitaire mondial convoqué en mai prochain par les Nations unies puisse réussir “dans son intention de mettre la personne humaine et sa dignité au cœur de chaque réponse humanitaire”. “Il faut un engagement commun qui renverse résolument la culture du déchet et de l’offense à la vie humaine”, dit-il, afin que “personne ne se sente dédaigné ou oublié et que d’autres vies ne soient pas sacrifiées à cause du manque de ressources et, par-dessus tout, de volonté politique”. Pour le Pape, il est indispensable d’engager un dialogue franc et respectueux entre tous les pays impliqués dans le problème – de provenance, de transit ou d’accueil – car (…) dans la conjoncture actuelle, “des solutions poursuivies de façon individualiste par chaque État (…), les conséquences des choix de chacun” retomberaient inévitablement sur la communauté internationale tout entière.
L’extrémisme et le fondamentalisme
Et, en affrontant la question migratoire, on ne peut négliger les aspects culturels connexes, en commençant par ceux qui sont liés à l’appartenance religieuse. Le pape déclare à ce propos :
“L’extrémisme et le fondamentalisme trouvent un terrain fertile, non seulement dans une instrumentalisation de la religion à des fins de pouvoir, mais aussi dans le vide d’idéaux et dans la perte d’identité – aussi religieuse – que connaît dramatiquement l’Occident. D’un tel vide nait la peur qui pousse à voir l’autre comme un danger et un ennemi, à se refermer sur soi-même en se retranchant sur des positions préconçues. Le phénomène migratoire pose donc un sérieux problème culturel, auquel on ne peut se dispenser de répondre. L’accueil peut donc être une occasion propice pour une nouvelle compréhension et ouverture d’horizon, tant pour celui qui est accueilli, lequel a le devoir de respecter les valeurs, les traditions et les lois de la communauté qui l’héberge, que pour cette dernière, appelée à valoriser tout ce que chaque immigré peut offrir à l’avantage de toute la communauté.”
On ne saurait tuer au nom de Dieu
Le Pape est aussi revenu sur son voyage à Bangui, en Centrafrique, en novembre dernier, pays où la violence fratricide des dernières années a laissé des blessures profondes dans les âmes, déchirant la communauté nationale et engendrant misère matérielle et morale : “Là où l’on a abusé du nom de Dieu pour commettre l’injustice, j’ai voulu rappeler, avec la communauté musulmane, que “celui qui dit croire en Dieu doit être aussi un homme, une femme de paix”, et donc de miséricorde, puisqu’on ne peut jamais tuer au nom de Dieu. Seule une forme idéologique et déviée de la religion peut penser rendre justice au nom du Tout-Puissant, en massacrant délibérément des personnes sans défense (…)”.
Les espoirs pour 2016
Dans ce triste tableau de conflits et catastrophes, l’année 2015 a vu la conclusion d’importantes ententes internationales, qui font beaucoup espérer pour l’avenir, comme : l’accord sur le nucléaire iranien qui – espère le Pape – contribuera à “favoriser un climat de détente dans la région” ; et la conclusion de l’accord attendu sur le climat, au cours de la Conférence de Paris qui “représente un résultat important pour la Communauté internationale tout entière”.
Enfin, François regarde “avec espérance” les pas importants entrepris par la Communauté internationale pour atteindre une solution politique et diplomatique de la crise en Syrie. Il est de plus en plus évident pour le Pape que “seule une action politique commune et coordonnée pourra contribuer à endiguer le déferlement de l’extrémisme et du fondamentalisme, avec leurs aspects d’origine terroriste, qui font d’innombrables victimes, tant en Syrie, en Libye, que dans d’autres pays tels que l’Irak et le Yémen”.
Enfin, le Pape souhaite que cette nouvelle année “puisse guérir les blessures profondes qui séparent Israéliens et Palestiniens et permettre la cohabitation pacifique de deux peuples qui – “j’en suis sûr”, insiste-t-il – ne demandent rien d’autre que la paix !”.