La très récente Philharmonie de Paris propose un parcours original autour de la place de la musique dans l’œuvre d’un des plus grands artistes du XXe siècle. Le lien qui unit Chagall à la musique est indéniable ; il suffit d’avoir en tête quelques-uns des motifs caractéristiques de son œuvre, comme le violon, le cirque, les danseurs ou les musiciens. Si le thème de l’exposition de la Philharmonie ne semble pas révolutionnaire, c’est plutôt la façon dont il est traité qui est particulièrement originale. En effet, chacune des salles propose une écoute musicale des grands airs qui ont inspiré l’artiste. La perception des œuvres est profondément renouvelée ; le spectateur découvre des aspects inattendus du travail de l’artiste qui lui font d’autant plus apprécier cet univers poétique.
Peindre la musique, voilà un pari impossible qui a, depuis toujours, occupé l’esprit de nombreux artistes. L’exposition montre combien Chagall a relevé de manière inédite ce défi et l’a placé au cœur de son activité. Comment la peinture, art du silence par excellence, peut-elle suggérer la musique ? C’est précisément par la matière de sa peinture que Chagall fait éprouver le langage immatériel de la musique. Féru de musique classique, le peintre écoute opéras et concertos en travaillant. Tantôt la musique est évoquée par le rythme de la ligne et la profusion de petits éléments symboliques, tantôt elle surgit d’une ronde colorée de personnages enjoués.
C’est la vie qui triomphe à travers ce rêve inaccessible d’un art total, où la peinture et la musique s’unissent pour célébrer le mouvement et l’exaltation de la sensibilité.
Une multitude de techniques au service de projets monumentaux
Chagall multiplie les techniques pour suggérer les différentes tonalités et les variations de rythme. Dans ses esquisses, il utilise à la fois de l’encre de chine, de la gouache, de l’aquarelle, et des petits bouts de tissus qu’il colle sur ses dessins pour leur apporter du relief. C’est d’ailleurs à travers ses maquettes et dessins préparatoires, largement majoritaires dans l’exposition, que l’on se rend mieux compte de la portée immense de la musique dans l’œuvre de l’artiste, qui semble guidé par la mélodie.
Mais la passion de Chagall pour la musique peut s’exprimer pleinement dans la conception de décors monumentaux pour plusieurs ballets et opéras, notamment Daphnis et Chloé, ou La Flûte enchantée, qui demeurera un de ses projets majeurs. Cet opéra mythique est sans doute l’une des plus grandes sources d’inspiration pour l’artiste, qui déclara : “Les deux merveilles du monde sont la Bible et la musique de Mozart, et une troisième naturellement, l’amour”. Dans les 13 toiles de fond qu’il exécute pour le Metropolitan Opera de New York, Chagall exprime toute la spiritualité et la musicalité de son art.
Le plafond de l’Opéra Garnier : la consécration
En 1962, Chagall a 77 ans lorsqu’André Malraux lui commande un nouveau plafond pour l’Opéra Garnier. Le peintre travaille un an sur ce projet colossal – 220 m² de surface ! Il rend ainsi hommage aux plus grands compositeurs, sous la forme d’une véritable palette de couleurs qui illustre symboliquement les plus beaux opéras et ballets. Contrairement à ce que certaines critiques ont pu dire à l’époque, l’œuvre s’intègre pleinement à l’esprit du bâtiment et participe, par la richesse de ses motifs et de ses tonalités, à chacun des spectacles. Un dispositif spécialement mis en place pour l’exposition permet d’approcher certains détails et de mieux se rendre compte de la richesse picturale et musicale du plafond.
Une belle exposition, qui tente avec audace de rester fidèle à la synthèse des arts voulue par Chagall. Seul détail dommageable : les salles communiquant entre elles, le visiteur a parfois affaire à une véritable cacophonie entre les différentes écoutes musicales proposées, altérant la qualité de l’ensemble. On peut aussi s’interroger sur la pertinence du choix d’un parcours inversement chronologique. Mais on peut que louer cette admirable entreprise qui fait redécouvrir l’œuvre de Chagall et permet de comprendre au mieux sa sensibilité à la musique, et son amour de la vie et du spirituel.
Chagall, le triomphe de la musique, à la Philharmonie de Paris. Jusqu’au 31 janvier 2016. 10 euros, tarif réduit : 5 euros.