La vie du pape François est-elle en danger au cœur même du Vatican ? Dans l’esprit de l’auteur, peut-être.Le livre débute comme un thriller : Jean Paul Ier vient à peine d’être élu Pape qu’il décide une grande réforme de la Curie. Il renvoie des prélats incompétents ou corrompus, il planifie des réorganisations, il annonce de grandes réformes. Un soir, le Pape convoque son Secrétaire d’État pour lui annoncer qu’il va le renvoyer et ainsi ouvrir un vaste chantier de rénovation. Mais, le lendemain, le Souverain Pontife est retrouvé mort.
Nuzzi ne le dit pas, mais tout est suggéré pour que le lecteur le comprenne ainsi : Jean Paul Ier a été assassiné pour qu’il ne puisse pas réformer la Curie. Presque 40 ans plus tard, peu de choses ont changé, et un nouveau Pape s’attelle courageusement à cette réforme. Mais la Curie se bloque et se cabre, et l’auteur craint que François ne subisse le même sort que son prédécesseur. D’ailleurs, la couverture noire barrée de rouge le dit : François est un pape en danger au cœur du Vatican.
La thèse de l’auteur est simple : le Pape veut réformer, mais la Curie s’y oppose. Seul contre tous, il lutte contre la corruption et les détournements de fonds. Il y a les bons d’un côté et les méchants de l’autre et, entre les deux, pas de nuances. L’auteur le dit lui-même dans un entretien au Monde (3 novembre 2015) : “Quand on est un laïc comme vous et moi, on cherche à simplifier entre les ‘bons’ et les ‘méchants’, les ‘rouges’ et les ‘noirs ’. Sauf que, lorsqu’on enquête, que l’on soit laïc ou non, on essaye surtout de montrer la complexité des choses, sans manichéisme faussé”.
Ce livre pose deux problèmes : il est écrit à l’aide de documents volés et il distord sans cesse la réalité.
Des documents volés
L’auteur cite de très nombreux documents : des courriels confidentiels échangés entre les personnels de la Curie, des notes internes, des rapports à usage interne. Tous ces documents ont été volés et transmis à l’auteur. Les deux personnes présumées ayant participé à ces vols ont été arrêtées par la gendarmerie du Vatican. D’autre part, l’auteur dispose aussi d’enregistrements de conversations téléphoniques et de réunions privées. Ces enregistrements ont été faits de façon illégale, ils constituent donc une violation de la vie privée. L’auteur, qui n’est pas à une contradiction près, se scandalise, dans un chapitre, de vols de documents au sein d’un organisme du Saint-Siège, alors même que tout son livre est fondé sur des documents volés.
Une réalité tordue
Les documents qu’il cite sont vrais, et il est indéniable que le lecteur apprend ainsi beaucoup sur l’organisation du Saint-Siège et la vie interne de la Curie. Sauf que l’auteur a la désagréable habitude de tordre la réalité pour la faire rentrer dans ses cases. Il surjoue le scandale et il exagère les conclusions que l’on peut tirer des documents cités. Quand on lit ces derniers, puis les commentaires qu’en réalise l’auteur, on a parfois l’impression d’avoir à faire à deux documents différents.
Inventer des scandales
L’auteur tord la réalité quand il prend un cas particulier comme témoin d’une situation générale. Par exemple, il évoque le cas d’un prélat qui a profité de la mort de son voisin de palier pour fusionner les deux appartements en abattant une cloison et en condamnant la porte. De là, il en déduit des malversations immobilières généralisées, allant jusqu’à s’offusquer que les cardinaux occupant des logements de fonction ne payent pas de loyer ; ce qui est pourtant normal pour un logement de fonction.
Autre cas de déformation, la fraude fiscale de grande ampleur. Le Vatican ne pratique pas de TVA, ce qui fait que les livres vendus dans les librairies du Vatican coûtent moins chers que ceux vendus dans les librairies italiennes (un bon plan pour les touristes). De même, les magasins du Vatican proposent des produits courants, du tabac et des alcools à prix moindre qu’en Italie. On devine ce qui se passe : ceux qui ont la carte permettant d’accéder aux boutiques achètent plus que leurs besoins personnels afin de revendre les produits à leurs connaissances. C’est ce que font les Français qui achètent du tabac en Andorre ou en Belgique. Rien d’illégal, et pas de quoi parler à ce sujet de fraude fiscale et de détournement de fonds.
Un livre pour faire un coup médiatique
Ce livre aurait pu être un bon livre, s’il avait voulu montrer le fonctionnement réel du Saint-Siège. Il est indéniable que le Vatican connaît des dysfonctionnements : l’IOR (Institut pour les œuvres de religion, la banque vaticane) a posé problème, et l’Institut est en passe de répondre aux critères internationaux de transparence notamment, le parc immobilier du Saint-Siège n’est pas géré de façon optimale, les comptes des dicastères sont flous et ne répondent pas aux normes comptables internationales. De même, la Curie compte en son sein des personnes qui sont rétives au changement, comme dans toute institution humaine, voire certaines qui ont mal géré leurs dossiers. Cela, Nuzzi aurait pu le dire et le démontrer. Mais l’ouvrage serait alors passé inaperçu.
À le lire, on a surtout l’impression que l’auteur cherche à faire un coup médiatique. Parler des scandales du Vatican fait vendre. Grossir des problèmes financiers, exagérer des réticences au changement, amplifier des faits mineurs pour leur donner la primauté, tout cela contribue à donner au livre de Nuzzi une aura médiatique et à son auteur une reconnaissance. Mais il demeure difficile de dénoncer la fraude quand on est soi-même le collecteur d’une fraude de documents confidentiels.
Via Crucis (Chemin de croix), de Gianluigi Nuzzi, Chiarelettere (5 novembre 2015), 321 p. 15,30 euros.