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Le grand entretien (2/2). Koz : “Dans la défense de la chrétienté, attention à ne pas laisser le Christ sur le bord de la route”

Auteur du blog Koztoujours, avocat spécialisé dans le droit des affaires

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Camille de Montgolfier - publié le 03/11/15
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À l'occasion de la sortie de son livre "Koztoujours ça ira mieux demain", le célèbre blogueur catholique Erwan Le Morhedec s'est confié à Aleteia.

À l’occasion de la sortie de son livre “Koztoujours ça ira mieux demain”, le célèbre blogueur catholique Erwan Le Morhedec s’est confié à Aleteia.

Erwan Le Morhedec, dit “Koz”, est avocat d’affaires, catholique, marié et père de quatre enfants. Depuis dix ans (dont six d’anonymat), il jette un regard sur l’actualité depuis sa vigie : son blog Koztoujours. Il relit ses meilleures chroniques, mordantes ou bienveillantes, et revisite une dizaine d’événements récents qui ont profondément marqué leur temps dans Koz toujours ça ira mieux demain (Éditions du Cerf, 2015). Une série de billets enlevés sur l’actualité, croquée sans parti pris, avec lucidité : le web, la campagne de 2007, les migrants, la pornographie, Charlie Hebdo… Avec la foi chrétienne – qu’il ne cache pas – le soucis de la justice et de la vérité chevillés au corps, Erwan Le Morhedec entend bien nous prouver qu’un monde meilleur est possible.

Aleteia : Tout au long de votre livre vous parlez du combat à mener pour vivre en chrétien dans un monde dominé par l’argent et l’utilitarisme. “Dieu vomit les tièdes” (Ap. 3, 14), le chrétien peut-il accepter les compromis ?
Erwan Le Morhedec : Les indigestions de Dieu ne doivent pas être mises à toutes les sauces. Ce “Dieu vomit les tièdes” est instrumentalisé plus souvent qu’à son tour. J’aimerais bien que l’on me rappelle, si donc la question est celle de la température, de quel feu nous sommes appelés à brûler. Est-ce du feu de l’intransigeance ? Du courroux, de la colère ? Il me semble que l’Évangile nous parle bien plus de  cœurs  brûlant d’amour. Et  si  nous sommes appelés à une radicalité, c’est à celle-là : la radicalité de l’amour et du service de l’autre. Si nous pratiquions davantage cette radicalité-là (et je m’inclus bien évidemment dans le lot), nous aurions probablement moins souvent à déplorer de ne pas être entendus par le monde.

Plus concrètement, il n’y a évidemment par principe aucun compromis à faire avec l’utilitarisme, ni avec l’argent en tant que but en lui-même. Qui donc pourrait prôner les compromis avec l’argent ? Mais qui peut se targuer de ne jamais en faire ? “Va, vends tout ce que tu as et suis-moi” : combien peuvent se targuer de le faire véritablement ? Mais s’il est bien sûr grand et admirable de se fixer pour objectif une pauvreté évangélique, il faut aussi prendre garde à ne pas se fixer des objectifs si hauts qu’on les abandonne aussitôt. L’absence de compromis passe déjà par une relecture de nos comportements, de nos vies. Si nous nous posons déjà régulièrement la question de nos priorités, c’est déjà un grand pas de réalisé.

Au-delà de tout cela, il nous appartient de nous fixer d’autres buts, d’autres boussoles. Au lieu de l’utilitarisme, savoir se rendre utiles. À l’argent, opposer le bien commun. Plus je pense à la situation de notre société, plus il me semble évident que c’est bien ce sens du bien commun, contre la dilution de la société en aventures individuelles et solitaires, qui distingue le chrétien.

L’islam traverse une crise identitaire profonde. Comment réagir face à la violence qu’elle contient ?
Je ne suis pas un observateur suffisamment aguerri des sociétés musulmanes et de l’islam pour pouvoir déterminer si l’islam vit une telle crise. Il semble toutefois probable que les heurts que nous connaissons sont en bonne partie liés à la mondialisation, à la globalisation : de notre côté, nous nous inquiétons de la pénétration de l’islam mais, de leur côté, il y a aussi une angoisse devant le recul de leurs valeurs traditionnelles sous l’influence occidentale.

L’état de nos sociétés et institutions, le développement de nos économies ainsi que, peut-être, nos cultures différentes, nous conduisent à apporter des réponses différentes. Il est  vraisemblable  également que l’islam rende possible une réponse violente, quand la violence ne peut pas se prévaloir sérieusement du christianisme.

Mais il ne faut pas non plus idéaliser nos sociétés : l’influence du christianisme n’y a pas toujours été déterminante et, quoique de culture chrétienne, nous n’avons cessé de nous massacrer qu’assez récemment.

La violence terroriste ne peut qu’appeler à la vigilance, à la fermeté. Nous devons aussi en finir avec une certaine complaisance comme, à l’inverse, avec l’auto-dénigrement français. Mais nous devons aussi prendre garde à deux choses.

D’une part, nous ne devons pas, indirectement, avaliser la lecture la plus fondamentaliste du Coran : de façon très paradoxale, ceux qui réduisent l’islam à une religion intrinsèquement violente, qui affirment qu’un musulman qui ne prône pas l’éradication des chrétiens n’est pas un bon musulman au regard du Coran, ne font que valider les thèses des islamistes. Quels que soient les fondements de la violence dans les diverses sources de la religion musulmane, nous devons éviter de réduire l’islam à la violence – l’islam religion guerrière est une réalité vécue par certains musulmans, l’islam religion de paix est une réalité vécue par d’autres – et nous devons, dans notre propre intérêt, soutenir ceux des musulmans qui ont un propos responsable. Il est assez  désespérant  de voir comme certains s’appliquent à les mettre en porte-à-faux.

D’autre part, comme toujours dans une situation de tension voire de guerre, il faut prendre garde à ne pas perdre sa propre identité, son humanité. Prenons garde, dans la défense de la chrétienté que mettent en avant certains, à ne pas laisser le Christ sur le bord de la route.

Dans la crise des migrants, vous appelez à plus de charité. Cette charité doit-elle n’être qu’individuelle ou institutionnelle ?
On a vu surgir tout dernièrement cette dichotomie. Je serais curieux de savoir à qui nous la devons et si elle a vraiment un fondement chrétien. Je ne vois pas pourquoi un Etat devrait s’abstenir de faire preuve de charité, sauf à ce que certains confondent charité et angélisme ou naïveté, ce dont évidemment tout le monde entend se prémunir. La charité n’exclut pas davantage la responsabilité. La Bible comme l’Histoire nous donne nombre d’exemples de souverains dont la charité irriguait la pratique du pouvoir, et donc l’institutionnel et le politique. Il m’a semblé parfois – qu’on me détrompe – que ceux qui cultivaient cette distinction appelaient surtout à ce que les institutions fassent preuve d’une parfaite intransigeance et fermeture. Pour un peu, sous couvert de responsabilité, ils arriveraient à nous convaincre de remplacer nos cœurs de chair par des cœurs de pierre.

Il n’est en tout état de cause pas douteux que la charité individuelle doit exister. Un migrant est avant tout un frère avant d’être le cas échéant, au regard de la loi, un immigré en situation irrégulière. En tant que chrétien, il ne fait aucun doute que je dois soutenir ceux qui tendent la main à ces hommes et femmes déplacés. Il ne fait aucun doute que j’aurais dû être aux côtés de ceux qui, pour avoir rechargé les portables des migrants qui leur permettent de contacter leurs familles, ont été un temps poursuivis pour assistance au séjour irrégulier, et je me reproche d’ailleurs que cela n’ait pas été spontanément le cas. Cela ne préjuge en rien de la politique migratoire de la France. Le repas que nous donnerons à un migrant, la recharge de téléphone que nous réaliserons, ne changeront rien au fait qu’il soit éventuellement reconduit à la frontière. Mais il est évident que la main que je n’aurai pas tendue me sera comptée.

La première partie de notre grand entretien avec Erwan Le Morhedec est à retrouver ici !

 

Propos recueillis par Camille Tronc

Koz toujours, ça ira mieux demain d’Erwan Le Morhedec. Cerf, septembre 2015, 19 euros.

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