Voilà assurément un grand texte qui récapitule, consolide et élargit la pensée chrétienne sur l’écologie en lui donnant sa pleine dimension, au service de toute la famille humaine.
Le texte était très attendu, à la mesure de la menace écologique qui pèse sur notre terre et du sentiment que donnent parfois les dirigeants des États, d’une totale impuissance à faire prévaloir le bien commun. Comme si, au bord de l’abîme, les peuples se souvenaient qu’ils sont les héritiers d’antiques sagesses où il serait encore possible d’aller puiser de nouvelles raisons de vivre et d’espérer.
La menace d’une catastrophe écologique
"La détérioration progressive de ce que qu’il est convenu d’appeler l’environnement risque de conduire à une véritable catastrophe écologique" (1). Nous sommes le 16 novembre 1970 et c’est le pape Paul VI qui s’exprime en ces termes à la tribune de la FAO, à Rome. Quarante-cinq ans et quatre pontificats plus tard, le constat du pape François est identique, formulé avec les mêmes mots : "Le rythme de consommation, de gaspillage et de détérioration de l’environnement a dépassé les possibilités de la planète à tel point que le style de vie actuel, parce qu’il est insoutenable, peut seulement conduire à la catastrophe" (2).
Car ce qui est en cause est bien un modèle de développement économique qui a cru pouvoir prélever sans limite sur les richesses de la terre, sans se soucier même de recycler ses propres déchets, parfois exportés et stockés dans les pays du Sud, transformant la culture mondiale en "culture du déchet" matériel et humain. Avec des conséquences, déjà visibles en terme de réchauffement et de dérèglement climatiques, qui menacent les plus pauvres par la montée des océans, l’assèchement des terres fertiles, la pollution de l’eau et de l’air, sources possibles de conflits armés et de phénomènes migratoires sans précédent.
En reprenant l’analyse, aujourd’hui partagée par la plupart des experts, selon laquelle c’est bien l’activité humaine qui est ici en cause et non le simple retour de cycles naturels, le pape François sait parfaitement qu’il touche là un point sensible et qu’il ne va pas se faire que des amis. En reconnaissant l’existence d’une "vraie dette écologique, entre le Nord et le Sud" (51), il souligne combien les victimes de la crise écologique sont indissociablement la nature et l’homme. "Il n’y a pas deux crises séparées, l’une environnementale et l’autre sociale, mais une seule et complexe crise socio-environnementale" (139), vis-à-vis de laquelle l’Église ne peut se taire, parce que "la terre est notre maison commune" (21) et qu’il nous faut aujourd’hui "écouter la clameur de la terre et des pauvres" (49).
La science et la technique au service du profit
Comment l’humanité qui, longtemps, a vécu sur l’idée d’un progrès sans limites qui finirait bien par bénéficier aussi aux pays du Sud, en est-elle arrivée là ? Les racines du mal résident dans ce que le pape François nomme le "paradigme technocratique dominant" (102). C’est-à-dire le fait que les progrès de la science et de la technologie, caractéristiques de notre siècle, ne sont plus orientés vers la recherche du bien commun, mais vers le seul profit. Ainsi l’économie se met-elle au service d’un paradigme technocratique asservi par la finance, sous le regard impuissant du politique. De sorte que : "La soumission de la politique à la technologie et aux finances se révèle dans l’échec des sommets mondiaux sur l’environnement" (54). Diagnostic impitoyable sur des sociétés qui ont vendu leur âme.
Aussi, "la culture écologique ne peut pas se réduire à une série de réponses urgentes et partielles aux problèmes qui sont en train d’apparaître par rapport à la dégradation de l’environnement, à l’épuisement des réserves naturelles et à la pollution. Elle devrait être un regard différent, une pensée, une politique, un programme éducatif, un style de vie et une spiritualité qui constitueraient une résistance face à l’avancée du paradigme technocratique" (111). Lire la suite sur le site de René Poujol