Une déposition de l’enquêteuse chargée de piloter cette affaire à la brigade financière relance la question de la responsabilité de la Société générale. Un rebondissement potentiellement explosif.
Que savait la Société générale des agissements de son employé Jérôme Kerviel ? Sans doute plus que la banque n’en a dit, selon Nathalie Le Roy, commandant de police chargée de piloter cette affaire à la brigade financière. Selon Médiapart (abonnés), Nathalie Le Roy a exposé au juge d’instruction Roger Le Loire les dysfonctionnements qu’elle avait rencontrés lors de ses enquêtes en 2008 puis en 2012. Selon Médiapart, cette "déposition sans précédent (…) transforme le dossier Kerviel en un scandale Société générale. Son témoignage fait basculer le dossier et ne peut que forcer la justice à rouvrir l’enquête".
Une plainte contre X pour escroquerie
À l’origine de ce rebondissement, une plainte contre X pour escroquerie au jugement déposée par Jérôme Kerviel ouverte en juin 2014. Nathalie Le Roy, qui était à l’époque commandant de police au sein de la brigade financière, a été auditionnée le 9 avril dernier par le juge d’instruction Roger Le Loire dans le cadre de l’information judiciaire sur cette plainte. Elle aurait déclaré au juge qu’un ancien salarié de la Société générale opérant au sein de l’entité "risques opérationnels" lui avait assuré que "l’activité de Jérôme Kerviel était connue". Et qu’il avait alerté sa hiérarchie au sujet du risque que le trader faisait courir à la banque : "Il m’a dit avoir envoyé (…) un email avec une tête de mort pour attirer leur attention". C’était en avril 2007, près d’un an avant que le scandale n’éclate (Le Point).
Mais Nathalie Le Roy s’était heurtée à une fin de non-recevoir lorsqu’elle avait demandé l’extraction des messages électroniques par la voie d’une réquisition judiciaire. Elle aurait fait part au juge de son "sentiment d’avoir été instrumentalisée par la Société générale" qui lui aurait adressé non seulement "les personnes qu’elle juge bon d’être entendues" mais l’ensemble des documents requis par l’enquête : "Nous n’avions pas le matériel informatique pour l’exploitation", aurait expliqué Nathalie Le Roy. Elle aurait aussi avoué au juge d’instruction : "Ce dossier m’a été attribué alors que je n’avais aucune connaissance boursière" (20 minutes).
Deux plaintes pour dénonciation calomnieuse
La Société générale a naturellement réagi : "L’affaire liée aux agissements frauduleux de Jérome Kerviel remonte maintenant à plus de sept ans et a fait l’objet de plusieurs décisions de justice qui ont toutes reconnu la culpabilité pénale exclusive de Jérome Kerviel", souligne la banque (Nouvel Obs). La banque rappelle qu’elle a elle-même "déposé deux plaintes pour dénonciation calomnieuse pour répondre aux deux plaintes déposées par Jérome Kerviel".
Condamné en appel en octobre 2012 pour abus de confiance, faux et usage de faux et introduction frauduleuse de données dans un système informatique, Jérôme Kerviel avait vu sa peine allégée en mars 2014 : "La Cour de cassation avait alors confirmé sa peine au pénal – trois ans de prison ferme – mais cassé sa peine civile, qui attribuait 4,9 milliards d’euros de dommages et intérêts à la banque. "La chambre criminelle entend rechercher les fautes respectives de chacun", avait alors déclaré le président de la chambre, Bertrand Louvel. Un nouveau procès civil doit se tenir du 20 au 22 janvier 2016 pour établir la répartition des responsabilités dans cette perte. L’ancien trader, qui est sorti de prison en septembre 2014 est aujourd’hui placé sous bracelet électronique" (Les Échos).
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"Tremblement de terre" ou "rien de vraiment nouveau" ?
Après avoir évoqué en titre la possibilité d’un "tremblement de terre", Le Figaro invite à éviter l’emballement : "Si la plainte contre X pour escroquerie au jugement déposée par l’ancien trader de la Société générale est prouvée, un procès en révision est envisageable, indique une avocate pénaliste. Toutefois, les premiers éléments n’apportent rien de vraiment nouveau, souligne une spécialiste du dossier". Olivia Dufour, journaliste et auteur du livre Kerviel : enquête sur un séisme financier, souligne notamment que les "sentiments" de l’enquêteuse ne suffisent pas : il faut des faits. L’affaire Kerviel est peut-être en train de devenir l’affaire Société générale, mais ce n’est pas encore une nouvelle affaire Dreyfus…