Une famille irakienne chrétienne exilée témoigne de son parcours douloureux et de ses craintes pour l’avenir.
Ils sont six : les parents, leurs deux filles de 21 et 24 ans et leurs garçons de 12 et 22 ans. Ils vivent réfugiés dans un petit appartement en Géorgie, dépendant de la générosité de la communauté chaldéenne de Tbilissi, la capitale du pays. Avant de fuir jusque dans le Caucase, ils habitaient un village au nord de Mossoul, Sheikhan.
Le mépris et la peur au quotidien
« Ne croyez pas que nos ennuis aient commencé avec l’État islamique, explique la mère de famille. Avant cela, nous vivions déjà dans la peur. » Dans leur village à majorité kurde, chrétiens et yézidis étaient considérés comme des citoyens de seconde zone. Agressions et brimades faisaient partie du quotidien : « Mes parents ont été tués par des musulmans, rappelle la mère de famille, et parce que nous étions chrétiens, nous étions mal vus. Si le premier de la classe ou de l’université était un chrétien, on se débrouillait pour changer ses notes ; et si l’un d’entre nous était agressé, la police ne bougeait pas. » En fait, la période où ils ont connu le plus de tranquillité fut le régime de Saddam Hussein. « Les mauvais musulmans avaient peur de Saddam, alors on ne nous brimait pas, ni au travail ni à l’école. »
Avec les yézidis, compagnons d’infortune
L’intervention américaine a été une véritable catastrophe pour les minorités, relativement protégées par le parti Baas et par conséquent assimilées à des collaborateurs par les Kurdes et les chiites. Parmi leurs voisins, ils se méfient de la plupart des Kurdes musulmans mais comptent des amis parmi les yézidis. En 2014, ils assistent à la montée en puissance de l’organisation État islamique. À l’université, un étudiant dit à la fille cadette de la famille, étudiante : « Quand je te vois, je voudrais devenir Daesh ». La jeune fille explique qu’elle est convaincue que « les Kurdes sont heureux que Daesh les débarrasse des chrétiens ». L’aînée, assistante, a été agressée deux fois, sauvée une première fois par son employeur, un médecin musulman, puis par un voisin. À la fin, son frère devait l’accompagner pour qu’elle puisse se rendre à son travail. Par la suite, l’attitude du médecin a changé, il s’est mis lui–même à agresser verbalement la jeune fille qui explique : « Même ceux qui étaient bons avec nous ont changé. Il suffit qu’un mollah arrive et ils deviennent différents ».
Daesh acclamé dans leur village
Au mois d’août 2014, des véhicules armés du groupe État islamique sont aperçus à un quart d’heure du village et les Kurdes musulmans du village brandissent des drapeaux noirs, manifestement ravis. Pour les chrétiens et les yézidis du village, c’est le signal déclencheur : la plupart avaient rempli leurs voitures en prévision de ce jour et ils fuient dans les montagnes. « Nous avons dormi sous les arbres, et avons vécu pendant 20 jours de nos provisions, se souvient le père de famille. Le soleil était écrasant et sept enfants yézidis sont morts de déshydratation pendant cette période. »
À court de vivres, contraints de retourner dans leur village, ils trouvent une ambiance tendue, mais heureusement pas de djihadistes. Ils prennent immédiatement la fuite pour Erbil, où ils quittent le pays en avion. Ils se rendent en Géorgie où ils connaissent un ami yézidi. « C’est un pays chrétien, nous savions que nous serions tranquilles. » Sur place, ils sont aidés par une communauté chaldéenne généreuse mais aux moyens limités. Ils apprennent qu’ils ne pourront pas s’installer en Géorgie. À l’ambassade américaine, on leur dit : « Il n’y a pas de danger pour vous, vous pouvez retourner en Irak ». Des paroles qui les font bondir ! « Nous ne pouvons pas rentrer en Irak, nos voisins nous ont vendus, ils nous haïssent. Comment pourrions-nous revenir parmi eux ? »
Les photos ont été prises par le père de famille interrogé dans cet article. Elles témoignent de la fuite dans les montagnes de l’été 2014, racontée dans cet article.