Chaque jour, de nouveaux pélerins affluent vers ce palais où il y a un presque un an, avait lieu l’un des pires massacres commis par le groupe État islamique.
Le site aurait pu être jugé maudit, mais il est au contraire en train de devenir un véritable sanctuaire dédié au martyre chiite. Sur les rives du Tigre, l’ancien palais de Saddam Hussein, théâtre macabre du massacre dit « de la base Speicher » (du nom de la base militaire d’où venaient les victimes), devient peu à peu un lieu de pèlerinage.
« C’est ici que le sang des martyrs a coulé »
Il y a bientôt un an, le 10 juin 2014, l’organisation État islamique en Irak et au Levant assassinait sans pitié 1 700 prisonniers chiites de l’armée irakienne, principalement de jeunes recrues. Quelques jours plus tard, des dizaines de photos et de vidéos étaient publiées sur Internet montrant les scènes d’exécution. Selon Adrien Jaulmes, reporter pour Le Figaro, « ces séries de photos [étaient] sans doute le premier cas dans l’histoire où un crime de masse [était] ainsi documenté et mis en scène par ses auteurs, comme s’il s’agissait d’un glorieux fait d’armes ».
Sur l’une des vidéos, on peut voir les terroristes salafistes amener les prisonniers les uns après les autres auprès du Tigre (affluant traversant Tikrit) et leur tirer une balle dans la tête avant de les jeter à l’eau. À l’endroit même où tous ces hommes ont été exécutés et envoyés dans le fleuve, se trouve désormais une pierre tombale. « C’est ici que le sang des martyrs a coulé, cela devrait devenir un musée pour tous les Irakiens, un symbole de fierté », souhaite le Cheikh Dargham al-Juburi, porte-parole de l’ayatollah al-Sistani – la plus haute autorité religieuse chiite en Irak – venu lui aussi prier sur la stèle commémorative.
Des dizaines d’Irakiens viennent s’y recueillir
Le 1er avril 2015, à la fin de la bataille de Tikrit, les troupes irakiennes ont découvert aux alentours du palais une dizaine de charniers. Moïn al-Kadhimi, l’un des chefs de « Badr », la plus puissante milice chiite d’Irak, a alors promis de préserver le site. « Nous allons restaurer cette zone pour qu’elle devienne un symbole des crimes commis par Daesh et ses alliés, pour que cela reste pour toujours comme une marque honteuse sur leurs visages », a-t-il déclaré au quotidien libanais francophone L’Orient Le Jour.
Depuis la récente libération de Tikrit, des dizaines d’Irakiens viennent déjà s’y recueillir. Tous convergent vers cette rive où pendant de longues heures, des centaines de jeunes innocents ont cheminé d’un pas résigné vers la mort. Des proches des victimes affluent des quatre coins de l’Irak, c’est ce qu’affirme le gardien du site, M. Abdulhassan. Son cousin a lui aussi emprunté ce mince chemin avant d’être exécuté : « Cet endroit sera en moi jusqu’à ma mort. J’espère y amener ma femme et mes enfants un jour, parce que ce lieu sacré », déclare-t-il solennellement. Religieux, étudiants et artistes grossissent aussi les rangs de ce jeune pèlerinage vers ce qui devient à la fois un site sacré de mémoire et un haut lieu de la résistance contre la barbarie de Daesh.