Les lignes ont clairement bougé et c’est une très bonne chose, affirment Alex et Maud Lauriot-Prevost, auteurs de nombreux ouvrages chrétiens sur le mariage et la famille.
L’Église inaugure ces temps-ci avec le pape François un temps de réflexion et de discernement inédit : un synode thématique à double détente, qui s’opère en deux ans, avec – on le sait – des débats parfois houleux et des méthodes de travail quelque peu cavalières, qui ont marqué le premier synode en octobre. Il est donc très intéressant de faire le point à mi-parcours du débat qui émerge de cet « entre-deux-synodes ».
L’indissolubilité confirmée
Malgré certaines divergences d’approche ou d’argumentation, il se dégage à nouveau un consensus général sur la confirmation que le mariage chrétien est bel et bien indissoluble, puisque cette affirmation provient des paroles mêmes du Christ : « Ce que Dieu a uni, que l’homme ne le sépare pas ! ». Ce n’était pas évident au regard des débats de 2014, après tout la controverse provoquée par la conférence du cardinal Kasper prononcée devant le consistoire de février. Comme l’illustre les récentes prises interventions des cardinaux Müller, Sarah ou Caffara, ou de Mgr Lafitte, secrétaire du Conseil pontifical de la famille, l’Église tient à réaffirmer très clairement qu’un remariage catholique est et restera impossible : la miséricorde, dont l’Église doit bien entendu se revêtir, ne peut justifier en rien qu’elle accepte un remariage après un mariage reconnu valide ; ce serait de fait légitimer l’adultère. Voyons Marie-Madeleine, Zachée ou la femme adultère dans l’Évangile : la miséricorde, le repentir et la conversion de vie sont indissociables pour le Christ ; la miséricorde chrétienne n’est en rien : « on efface tout et on recommence », comme si de rien n’était ! Alors que le sol semblait parfois se dérober, et qu’on ne savait trop où certains débats allaient mener l’Église, ce consensus – « nouveau » pourrait-t-on dire – nous apparaît comme un acquis fondamental, un socle de débat qui s’est comme re-solidifié depuis octobre dernier.
Par ailleurs, il se dégage également des positions et réflexions des uns et des autres que l’Église doit se faire concrètement plus accueillante et aimante vis-à-vis de ceux – et ils sont nombreux – qui vivent des situations non conformes aux « canons » de l’Église : divorcés, remariés, conjoints séparés, homosexuels, couples en union libre… En deux ans, le pape François nous a régulièrement exhortés, laïcs et pasteurs, à nous ouvrir aux périphéries, à rejoindre les gens sur leur chemin, là où ils en sont, à ouvrir nos cœurs, à quitter nos mondanités et à convertir notre pharisaïsme… Tout cela a produit ses effets, y compris dans ces domaines très sensibles de la famille et du couple ; les lignes ont donc clairement bougé, ce qui est une très bonne chose.
Indissolubilité du mariage confirmée, exigence d’une mise en pratique générale de la miséricorde : tout cela témoigne selon nous d’une avancée qui va dans le bon sens et d’une plus grande communion dans l’Église, ou – pour faire court – se rapprochent les tenants de la Vérité et ceux de la Miséricorde, ce qui est d’ailleurs très biblique : « Amour et vérité se rencontrent, justice et paix s’embrassent », dit le Psaume 84…
Foi et sacrement de Mariage
Un autre sujet important émerge d’un bon nombre de débats depuis le début de l’année 2015 : il s’agit de celui concernant les critères de validité d’un sacrement de mariage ; c’est là d’ailleurs une réflexion qui n’est pas dissociée du thème précédent, et qui ressort même d’autant plus que l’indissolubilité se confirme et que la miséricorde doit se vivre bien plus concrètement et largement !
Dans l’avion qui le ramenait de Rio en 2013, le pape François avait soulevé la question de la validité des mariages en affirmant qu’il était d’accord avec son prédécesseur à Buenos Aires, qui considérait que 50% des mariages célébrés dans son diocèse étaient invalides. Or, aucun pasteur, et en tout premier lieu le Pape lui-même, ne peut se résoudre à ce que l’Église continue sans sourciller à célébrer des sacrements de mariage pour une bonne part « invalides ». Ce serait d’une grande hypocrisie pastorale et évangéliquement intenable. Pourtant, cette situation dure et s’aggrave partout dans le monde.
Rappelons les dispositions canoniques : un mariage entre deux baptisés ne peut être que sacramentel. Sur ce principe, l’Église a de fait marié depuis des décennies quasiment tous les baptisés qui se sont présentés à elle : c’était sans doute compréhensible dans une société chrétienne, mais on voit bien où cette pratique conduit dans un monde fortement sécularisé. La situation pastorale devient de plus en plus absurde, voire ubuesque parfois : parmi ceux qui se marient, de plus en plus ne mettent jamais les pieds dans une Eglise et ont comme culture chrétienne le « catéchisme » transmis par les médias. Par ailleurs, certains divorcés redécouvrent une foi vivante, mais se trouvent « empêchés » de se marier à l’Église en découvrant que leur 1er mariage est indissoluble, alors qu’il n’était motivé par aucun sens chrétien. Tant de fiancés ne demandent en effet qu’un peu de symbolique sacrée dans une union 100% profane ! Ce qui renvoie aux propos du cardinal Etchegaray : « Beaucoup voient dans le sacrement de mariage un mariage civil saupoudré de quelques valeurs ou rites religieux, mais dans ce cas, on ne comprend strictement rien au mariage chrétien ! ».
Ce sujet n’est d’ailleurs pas nouveau : le cardinal Ratzinger soulignait le lien organique entre la vie de foi et ce sacrement, en invitant l’Église à réfléchir sur l’évolution des critères retenus pour la validité d’un mariage. Jean Paul II précisait que « c’est uniquement s’ils prennent part à l’amour du Christ, que les époux peuvent s’aimer jusqu’à la fin ». Benoît XVI appliquait au mariage les paroles du Christ : « Sans moi vous ne pouvez rien faire » et en concluait à « l’incapacité de l’homme d’accomplir seul la réalisation du vrai bien ». Le dernier synode demande dans son rapport final que soit clarifié le « rôle de la foi des deux personnes qui demandent un sacrement de mariage » (§ 48). Enfin, le pape François s’est prononcé précisément sur cette question lors de son discours au tribunal de la Rote en janvier : puisque « l’abandon d’une perspective de foi débouche inexorablement sur une fausse connaissance du mariage », il invite le juge matrimonial à « établir la vérité du moment du consentement », à examiner si l’échange des consentements « a été fidèle au Christ ou à la mentalité mondaine ». Ainsi, poursuit-il, pour « mesurer la validité du consentement exprimé », le juge doit « tenir compte du contexte de valeurs et de foi, ou de leur absence, dans lequel l’intention matrimoniale s’est formée ». La réflexion de l’Église sur ce sujet est donc relancée au plus haut niveau en cet entre-deux-synodes.
Ainsi, la vie de foi des époux au moment du mariage pourrait devenir un critère pour « mesurer la validité du consentement » pour reprendre l’expression du pape. Si cette « mesure » est ainsi retenue pour apprécier la validité d’un consentement passé (discernement après un divorce), elle le sera nécessairement pour un consentement à venir (discernement avant un mariage). Ce serait alors un changement majeur de perspective, avec des incidences pastorales importantes.
En matière de préparation au mariage par exemple, l’Église accueille avec joie et bienveillance tous les baptisés qui se présentent pour se marier, mais, s’il est prioritaire de prendre le temps de les écouter et de bien comprendre leurs motivations, il serait donc désormais indispensable d’accompagner les futurs mariés par étape au travers d’un chemin de type catéchuménal (proposition du synode) pour les conduire à rencontrer le Christ vivant au cœur de leur amour, à goûter dans leurs vies ses œuvres de joie et de bénédiction. Bref, les évangéliser ! Cela leur permettra, une fois le Christ rencontré et confessé, de s’engager dans le mariage en ayant une pleine conscience devant Dieu et les hommes de leur alliance conjugale scellée avec Dieu lui-même. Alors, ils pourront consentir toute leur vie à la Parole de Jésus : « Ce que Dieu a uni, que l’homme ne le sépare pas ! ».
En matière de pastorale des divorcés, ce nouveau critère permettrait de reconnaître l’invalidité du mariage initial d’un bon nombre de divorcés actuels (cf. l’importance de l’invalidité qu’évoquait le Pape), et leur ouvrirait la possibilité d’envisager un nouveau mariage à l’Église, désormais valide, dans la mesure où les conjoints le fondent sur le Christ.
Remise à plat et conversion pastorale
Même si le choix décisif en reviendra au Pape, le synode de 2015 sera sans doute une étape déterminante dans le discernement de l’Église de choisir ou non la vie de foi des conjoints pour « mesurer la validité du consentement ». Si cette évolution est retenue, cela mettra d’autant plus en évidence la nécessaire « remise à plat » et la « conversion pastorale » en matière de préparation au mariage auxquelles nous invitent les pères synodaux : passer d’une pastorale du rite, du dogme et des valeurs, à une pastorale d’évangélisation, du témoignage, de la miséricorde, du kérygme conjugal, que ce soit avant le mariage ou après le mariage.
Certes, cette évolution n’est pas sans poser des questions sous certains angles théologiques ou pastoraux, et il est important d’y répondre ! Certes, il faudra du temps, de la pédagogie, de la formation un accompagnement dans la durée des pasteurs et des baptisés pour accompagner cette mutation pastorale ! Pourtant, elle nous apparaît d’une grande opportunité pour plusieurs raisons majeures : apporter plus de cohérence entre théologie et pastorale sacramentelles ; redonner toute leur place et de concert à la Vérité et à la Miséricorde dans la pastorale matrimoniale ; la dégager de bon nombre de ses ambiguïtés et déverrouiller les cas les plus polémiques ; recentrer la pastorale conjugale sur l’évangélisation, sur une prédication qui parle au cœur de tous et aux périphéries ; lui impulser un nouvel élan missionnaire attractif et contagieux, que le synode et le Pape appellent de leurs vœux.
Que notre prière à tous accompagne la réflexion et le discernement des pères synodaux !