Faut-il donner aux pauvres ? La question peut paraître bizarre, surtout en ce temps de Carême, et pourtant elle provoque le débat. Voici quelques éléments de réflexion proposés par les Cahiers Libres.
Donner gratuitement : le plancher de la charité ?
Donner à celui qui en a besoin, cela peut sembler le minimum minimorum de la charité chrétienne. Et pourtant, cela n’est ni simple ni évident. En effet, qui n’a jamais eu ces respects humains devant la main qui se tend : « Que va-t-on penser de moi si je lui
donne ? » ; « Est-ce que je lui donne assez ? » ; « Que va-t-il faire de ce que je lui donne ? »…
Mais, la charité ne s’intéresse pas seulement à la simple condition matérielle de la personne : elle doit prendre tout sa condition humaine, corporelle et spirituelle. Dès lors, donner serait un acte limité et ne serait pas « totalement » charitable.
Pourquoi ? Si je ne fais que donner à une personne, je ne l’incite pas à développer son être : ne suis-je pas en train de le maintenir dans une condition de dépendance ? Est-ce que je ne l’incite pas à rester dans un état d’assistanat qui n’est pas conforme à sa dignité de personne humaine ? Mais, si je m’interdit de donner lorsque les conditions ne sont pas réunies, est-ce que je ne refuse pas à un pauvre, un juste acte de miséricorde ?
Le don gratuit est quelque chose qui revient dans toute la Sainte Écriture comme étant l’acte du juste et du sage par excellence. Ainsi l’Ecclésiastique : « Mon fils, ne refuse pas au pauvre sa subsistance et ne fais pas languir le miséreux. Ne fais pas souffrir celui qui a faim, n’exaspère pas l’indigent. Ne t’acharne pas sur un cœur exaspéré, ne fais pas languir après ton aumône le nécessiteux. Ne repousse pas le suppliant durement éprouvé, ne détourne pas du pauvre ton regard. Ne détourne pas tes yeux du nécessiteux, ne donne à personne l’occasion de te maudire » (Si, 4, 1-5).
Le don au pauvres est inscrit jusque dans le Deutéronome : « Quand tu lui donnes [au pauvre], tu dois lui donner de bon cœur, car pour cela Yahvé ton Dieu te bénira dans toutes tes actions et dans tous tes travaux. Certes, les pauvres ne disparaîtront point de ce pays ; aussi je te donne ce commandement : Tu dois ouvrir ta main à ton frère, à celui qui est humilié et pauvre dans ton pays. […] Tu te souviendras que tu as été en servitude au pays d’Égypte et que Yahvé ton Dieu t’a racheté : voilà pourquoi je te donne aujourd’hui cet ordre » (Dt, 15, 10-15).
L’Évangile est parsemé de références au don et à l’aumône.
Ainsi le Christ nous apprend ces actes de miséricorde qui nous permettrons d’espérer le Salut : « Alors le Roi dira à ceux de droite : "Venez, les bénis de mon Père, recevez en héritage le Royaume qui vous a été préparé depuis la fondation du monde. Car j’ai eu faim et vous m’avez donné à manger, j’ai eu soif et vous m’avez donné à boire, j’étais un étranger et vous m’avez accueilli, nu et vous m’avez vêtu, malade et vous m’avez visité, prisonnier et vous êtes venus me voir" » (Mt, 25, 34-36).
C’est encore l’Évangile qui nous indique qu’il faut donner sans attendre en retour, dans le discours sur la Montagne. « À qui te demande, donne ; à qui veut t’emprunter, ne tourne pas le dos »
(Mt, 5, 42). Faut-il encore ajouter cette phrase bien connue : « Que ta main gauche ignore ce que te donne ta main droite ? ».
Le don gratuit à celui qui en a besoin semble inconditionnel : nous ne pouvons pas nous en défaire, nous ne pouvons pas l’écarter d’un revers de main. Car nous même, nous avons tout reçu de celui qui nous a sauvé. Comme le dit saint Paul : « Qu’as-tu que tu n’aies reçu ? Et si tu l’as reçu, pourquoi te glorifier comme si tu ne l’avais pas reçu ? » (1 Co, 4, 7).
Le Christ encore nous interpelle : « Vous avez reçu gratuitement, donnez gratuitement » (Mt, 10, 8). L’aumône, comme don gratuit, est donc quelque chose qui traverse toute la Sainte Écriture. Elle innerve notre foi. Nous ne pouvons regarder vers l’indigent sans frémir et y voir le fils de Dieu. Voilà ce qui doit nous animer. Mais la remarque consistant à dire que donner tout gratuitement peut avoir un effet pervers peut également être recevable au titre même de l’Évangile. Lire la suite sur les Cahiers Libres