La proposition de loi Laborde voulant imposer la « neutralité religieuse » aux structures éducatives privées accueillant des mineurs mobilise les représentants des religions et fait tanguer la gauche.
Déjà adopté depuis trois ans par le Sénat puis, le 5 mars, par la commission des lois de l’Assemblée, le texte de la sénatrice radicale Françoise Laborde aurait dû être débattu le 12 mars par les députés. In extremis, les débats ont été reportés à la semaine du 11 mai, après les départementales : le PS ne voulait pas traîner ce boulet de plus. « La période me semble mal adaptée pour un examen serein », avait alerté Bruno Le Roux, président du groupe socialiste à l’Assemblée nationale.
Trop tard, le mal était fait. La gauche affichait une fois de plus ses divisions, tandis que les représentants des religions et les mouvements scouts sonnaient le tocsin.
Du voile de Baby-Loup…
Cette proposition de loi prétend imposer la neutralité dans les structures éducatives accueillant des mineurs. Elle avait un point de départ anecdotique : le licenciement de l’employée musulmane d’une crèche au motif qu’elle portait le voile. Par une de ces crises de nerfs idéologiques dont on a le secret en France, c’est devenu la fameuse affaire Baby-Loup, à Chanteloup-les-Vignes, qui a défrayé la chronique judiciaire pendant quatre ans : ce malheureux voile s’est envolé jusqu’à la Cour de cassation qui a confirmé le licenciement (juin 2014) ! Du nanan pour les boulimiques de la laïcité qui ont table ouverte au Parti Radical de Gauche (PRG) : non contents de cette jurisprudence, ils ont concocté par la plume de Mme Laborde une proposition de loi pour imposer « une obligation de neutralité à certaines personnes ou structures privées accueillant des mineurs et à assurer le respect du principe de laïcité ».
…à l’attaque du « religieux »
De l’offensive antivoile, les bien-nommés radicaux sont passés à l’attaque en règle contre « le religieux ». L’article 2 de la proposition de loi prévoit que sera soumise à une « obligation de neutralité en matière religieuse » toute structure éducative privée recevant des subventions d’État : non seulement les crèches, mais les centres de vacances et les mouvements scouts… Concrètement, tout établissement qui bénéficierait d’une aide financière publique devrait se soumettre à cette disposition, en l’inscrivant dans son règlement intérieur. Le but est clairement de gommer toute référence religieuse de la vie sociale des mineurs.
Les réactions ne sont pas fait attendre : « En minant ainsi peu à peu, insidieusement, notre modèle de laïcité, ce n’est pas un État laïque qu’on veut garantir, mais promouvoir une société vidée de toute référence religieuse. Nous ne pouvons l’accepter ; cela ne correspond en rien à la réalité de notre société », a protesté Mgr Georges Pontier, archevêque de Marseille et président de la Conférence des évêques de France, dans un communiqué publié mardi 10 mars. Exprimant la « très vive inquiétude » des évêques, qui voient dans ce texte de loi
« l’inspiration manifeste d’une méfiance vis-à-vis des religions dont il faudrait protéger les mineurs », le président de la CEF dénonce « une nouvelle attaque qui cherche non plus seulement à reléguer les religions dans la sphère privée mais dorénavant à les cacher en les faisant disparaître progressivement de tout lieu de vie sociale ». Et d’enfoncer le clou : « Lier le respect de la neutralité à la nature du financement est un dévoiement de la lettre comme de l’esprit de la loi de 1905 qui régit notre laïcité ».
Cinq mouvements scouts, toutes confessions réunies au sein de la fédération du Scoutisme français (SF) (Scouts et guides de France, Éclaireuses et éclaireurs de France, Éclaireuses et éclaireurs israélites de France, Éclaireuses et éclaireurs unionistes de France, Scouts musulmans de France) ont également donné de la voix par un
communiqué de leur fédération : eux aussi relèvent que ce serait
« la première fois que serait posé en France le principe d’interdiction de subventions publiques à des activités à caractère confessionnel, alors que la loi de 1905 n’interdit que les subventions à des activités
cultuelles ». Ils dénoncent « ce texte de circonstance, mal étudié [qui] menace les mouvements de scoutisme et, plus fondamentalement, la concorde nationale sur un sujet sensible ». « Nous en demandons le retrait », concluent-ils. Faute de quoi, « la liberté de religion, pourtant garantie par la Constitution, comme la liberté de conscience, et par la convention européenne des droits de l’homme, deviendrait un droit d’exception, marqué par la suspicion ».
Le président de l’Observatoire contre l’islamophobie au Conseil français du culte musulman (CFCM), Abdallah Zekri, a pour sa part dénoncé « cette tendance à mettre en place une politique d’intolérance religieuse systématique et spécifiquement dirigée contre les musulmans, quoi qu’on en dise ».
« Une mécanique infernale »
Mais ce qui pourrait bien être le coup de grâce a été donné par l’ancien ministre socialiste Jean-Louis Bianco, devenu le président de l’Observatoire de la laïcité : jugeant « paradoxal » que des radicaux de gauche puissent « envisager d’adopter cette proposition alors qu’elle figure dans le programme du Front national pour les départementales », il a fustigé une « mécanique infernale ». Néanmoins les radicaux de gauche persistent et signent : pas question d’un enterrement ! « J’ai un accord écrit de Bruno Le Roux et un vote positif de son groupe sur la proposition votée en commission », assure leur chef de file, Roger-Gérard Schwartzenberg (Le Figaro). On verra s’ils restent aussi combatifs après les élections départementales.