Au-delà du poids des mots, Benoît souligne, dans les Cahiers Libres, le risque de manquer le sens que le jeûne et la pénitence portent en eux-mêmes.
Les choses parlent – Res et signa
Le sens des choses n’est jamais réductible au sens que nous leur donnons ; il est, pour ainsi dire, le fruit d’un échange entre notre faculté de donner de la signification et le sens brut des nos expériences. Ainsi, le symbolisme chrétien ne consiste pas à choisir arbitrairement des réalités matérielles pour plaquer sur elles des significations – par exemple, donner aux cendres une signification pénitentielle ou au pain et au vin un sens sacrificiel et communautaire n’a rien d’arbitraire – mais à chercher et à reconnaître le sens qui se dégage du réel créé par Dieu. Il s’agit de percevoir le jaillissement de sens qui émane de toute la création divine. Les choses nous parlent !
Saint Bonaventure, en pur disciple de saint François d’Assise, enseignait que les choses sont non pas seulement des res (en latin : chose), mais aussi des signa (en latin : signe) : « Ouvre les yeux, prête l’oreille de ton âme, délie tes lèvres, applique ton cœur : toutes les créatures te feront voir, entendre, louer, aimer, servir, glorifier et adorer ton Dieu. Sans quoi prends garde que l’univers ne se dresse contre toi » (saint Bonaventure, Itinerarium, I, 15).
La bonne manière de se rapporter au réel consiste donc à se mettre à son écoute, à découvrir ce que signifient les réalités. Regardant l’eau, François est ému : elle dit l’humilité et la chasteté – « Loué sois-tu, mon Seigneur, avec soeur eau qui est utile et humble, précieuse et chaste ». Contemplant le feu, François est saisi : il dit la robustesse et la force – « Loué sois-tu, mon Seigneur, avec frère feu, il est beau et joyeux, robuste et fort ».
Au début du XXe siècle, E. Husserl a comme renouvelé l’intuition bonaventurienne en réengageant la philosophie dans la voie d’une écoute des phénomènes : « C’est l’expérience (…) muette encore qu’il s’agit d’amener à l’expression pure de son propre sens ». Fondant ainsi la phénoménologie, Husserl a engagé une foule de philosophes (dont Karol Wojtyla) dans l’écoute attentive de l’expérience corporelle.
L’expérience du jeûne et de la pénitence
Pour les expériences corporelles du jeûne et de la pénitence, qui sont au cœur de notre carême, peut-être faudrait-il donc aussi esquisser une phénoménologie. Plutôt que de se contenter d’un « ce qui compte c’est le sens qu’on y met », peut-être est-il venu, le moment de se demander : Qu’il y a-t-il de si spécifique dans le jeûne et la pénitence pour que toutes les traditions religieuses y invitent ? Qu’est-ce qui se donne dans le jeûne et la pénitence pour que tous les saints s’y soient adonnés ? Quel sens, brut et comme encore muet, se donne dans ces expériences pour que nous nous en fassions ses interprètes et ses phénoménologues ? Lire la suite sur les Cahiers Libres