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ENTRETIEN. Mgr Pascal Gollnisch : « Les islamistes n’ont pas le monde musulman derrière eux »

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Mathilde Rambaud - publié le 21/02/15
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Le directeur de l’Œuvre d’Orient reste confiant sur le retour, à plus ou moins long terme, des chrétiens dans la plaine de Ninive. Il en appelle à une intervention militaire de grande ampleur.Pensez-vous qu’une issue favorable soit envisageable pour les chrétiens au Moyen-Orient ?
Mgr Pascal Gollnisch : Dans le court terme, nous faisons face à une situation difficile, inquiétante et angoissante. Nous sommes confrontés à des forces extrêmement cruelles qui veulent forcer toutes les minorités qui ne leur conviennent pas à fuir le Moyen-Orient. Ces force sont mues par des volontés « génocidaires », selon les propres mots de Laurent Fabius (ministre français des Affaires étrangères, ndlr). Dans le court terme, la situation est donc très difficile et il faudrait engager davantage de moyens pour neutraliser les forces les plus violentes. Dans le moyen et le long terme, même si je ne suis pas devin, je pense qu’il n’y a pas d’avenir au Moyen-Orient sans les chrétiens. Ils pourraient sans doute être heureux ailleurs que dans cette région, mais un Moyen-Orient sans chrétiens connaîtrait beaucoup de difficultés. Les chrétiens permettent d’avancer vers la pleine citoyenneté pour tous, dans le vivre ensemble et le respect de chacun. Nous voyons bien que dans les pays qui n’ont pas de vraie présence chrétienne, ou quand celle-ci est bâillonnée, la liberté fondamentale est très en retrait. 

Une fracture irrémédiable ne s’est-elle pas créée au Moyen-Orient entre chrétiens et musulmans, en particulier en Irak ?
Mgr P.G. : Non je ne le crois pas, parce que ce sont les musulmans aussi qui sont visés par ces violences. Ce ne sont pas des violences de musulmans contre des chrétiens. Ce sont des violences de fondamentalistes face à des gens de bonne volonté. Et parmi ces gens de bonne volonté, il y a des musulmans. Je ne pense pas du tout que la fracture se situe entre musulmans et chrétiens. La situation est aujourd’hui compliquée mais tout n’est pas perdu.

Certaines familles chrétiennes ont assuré ne pas vouloir rentrer chez elles suite à la trahison de leurs propres voisins, estimant ne plus pouvoir leur faire confiance. Ces derniers n’étaient pourtant pas des fondamentalistes avérés…
Mgr P.G. : Cela a en effet été rapporté, mais ces informations mériteraient d’être vérifiées car il y a aussi des musulmans de Mossoul qui ont payé de leur vie le fait d’avoir aidé des chrétiens. Nous ne pouvons rien affirmer en ce sens car nous n’étions pas sur place quand ces événements se sont produits. Vous savez, la ville de Mossoul compte plus d’un million d’habitants. Sur ce million d’habitants, il y a sans doute des gens malveillants, mais il y a aussi des gens bienveillants. Le retour dans Mossoul sera très difficile. Nous visons le retour des réfugiés dans les zones chrétiennes de la plaine de Ninive, autour de Mossoul. Cela pourrait déjà être le cas si l’on avait pris suffisamment de moyens. 

La solution viendra-t-elle des politiques ou s’agit-il davantage d’un travail de fond et d’un dialogue entre les religions ?
Mgr P.G. : La solution viendra des militaires malheureusement. C’est là qu’il faut mettre les moyens. Il y a des solutions politiques bien sûr, mais elles dépendent également de la capacité du gouvernement de Bagdad et de celui porté par le gouvernement d’unité nationale. 

Estimez-vous que le gouvernement français a pris conscience de la gravité de la situation au Moyen-Orient ?
Mgr P.G. : Bien sûr le gouvernement français intervient, mais il ne peut pas tout faire. L’engagement européen devrait être beaucoup plus fort. Ce sont des opérations qui ont un certain coût. Il n’y a pas de raison que le budget de la France supporte à lui-seul l’ensemble de l’intervention européenne. Il faut que l’Europe, sans doute, agisse davantage. 

Suite aux attentats en France du mois de janvier, beaucoup de responsables religieux ont pris publiquement position pour défendre les autres religions. Pensez-vous que cette situation puisse se pérenniser en France ?
Mgr P.G. : Cela n’est pas une nouveauté en soi. La situation semble nouvelle pour la France, mais au Moyen-Orient ces prises de position sont quotidiennes. Il est d’ailleurs très intéressant de voir que parmi les victimes de ces attentats il y avait aussi des musulmans. Les journalistes de Charlie Hebdo n’ont pas été tués parce qu’ils étaient chrétiens. À nouveau, ce n’est pas un combat des musulmans contre les chrétiens, mais bien entre des gens violents fondamentalistes et des personnes qui aspirent à plus de liberté et de modernité. Je pense que la France prend conscience de la violence que nous dénonçons tous les jours au Moyen-Orient. C’est indéniablement la même violence ! C’est la même violence fondamentaliste et djihadiste qui a frappé en France et qui frappe tous les jours en Orient. Je pense que nombre de musulmans, en France comme en Orient, refusent cette attitude, et ont même crié leur dégoût face à ces comportements. Et c’est cela qui me fait espérer. Des musulmans ont chassé les islamistes en Tunisie et en Égypte. Ils le feraient s’ils pouvaient s’exprimer en Syrie. Il y a un rejet du monde musulman par rapport à ce fondamentalisme. Ne croyons pas que les islamistes ont le monde musulman derrière eux. 

Pensez-vous que la jeune génération catholique a une meilleure connaissance de l’islam que celle de leurs parents ou de leurs grands-parents ?
Mgr P.G. : Je pense que les jeunes Français connaissent l’islam beaucoup mieux que leurs parents et leurs grands-parents. Leur connaissance n’est cependant sans doute pas suffisante, D’autant que l’islam n’est pas une réalité unique. Ce n’est pas parce que l’on aura lu le Coran que l’on connaîtra l’islam. Il faut découvrir ses traditions et sa diversité. L’islam est aujourd’hui d’une extraordinaire diversité et c’est un réel investissement intellectuel, spirituel et personnel de le connaître. Ce point demeure encore sans doute à faire.

Le dialogue n’est-il pas compliqué par le fait qu’il n’y ait pas d’interlocuteur unique dans l’islam ?
Mgr P.G. : La hiérarchie dans l’islam n’est pas forcément plus complexe que la nôtre, elle est même très simple d’ailleurs. Certains esprits adhèrent parfaitement à cette religion, sensibles à cette simplicité. Maintenant, le fait qu’il n’y ait pas d’institution unanimement reconnue reste une grande difficulté. 

Parce que tous, intégristes comme modérés, se réclament du même livre saint. Chacun en tire les versets qui l’arrangent et finalement tous assurent avoir raison.
Mgr P.G. : Dans le catholicisme également, se trouve un intégrisme qui se réclame des mêmes textes que nous. Et de l’intégrisme, il y en a aussi dans le judaïsme, dans l’orthodoxie, dans le protestantisme… et dans le laïcisme ! L’intégrisme est partout.

Que répondez-vous à ceux qui estiment que le dialogue interreligieux serait illusoire et ne servirait qu’à couvrir des difficultés plus profondes ?
Mgr P.G. : Le dialogue se fait. Il n’est pas conçu pour cacher quoi que ce soit. Il est vécu pour montrer justement que les fondamentalistes n’ont pas le dernier mot. Encore une fois, ne croyons pas que les djihadistes représentent la majorité du monde musulman. Ils font parler d’eux, évidemment, parce qu’il sont violents. Ils donnent une apparence de force, mais, en réalité, ce sont des gens qui ont peur et qui sont fragiles. 

Vous semblez donc plutôt confiant malgré la situation actuelle ?
Mgr P.G. : Je suis confiant pour le long terme et inquiet pour le court terme. Il faut aussi savoir où nous, Occidentaux, nous nous situons. Qui sommes-nous exactement ? Quelles sont nos véritables valeurs ? Quand on parle avec un trémolo dans la voix des valeurs de la France, quelles sont ces valeurs ? Quand on se déplace en Arabie saoudite sans dire un mot sur les droits de l’homme, quelles sont les valeurs de la France ? Quand on ferme les yeux, pour faire du commerce, sur des situations inacceptables, quelles sont les valeurs de la France ? Quand on tolère que les colonies israéliennes soient implantées en Cisjordanie sans que l’on réagisse davantage, quelles sont les valeurs de la France ? C’est cela qui m’inquiète, le flou sur nous-mêmes. Nous ne pouvons pas dialoguer avec l’islam si nous ne sommes pas au clair avec nous-mêmes. Et nous ne sommes pas au clair avec nous-mêmes, tant d’un point de vue politique que religieux.

Propos recueillis par Mathilde Rambaud

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