Le nouveau camerlingue accueille ces jours une délégation d’imams en visite au Vatican. En septembre, il avait donné une conférence à Versailles sur le dialogue islamo-chrétien.
Dimanche 15 septembre, la cathédrale de Versailles était comble pour écouter le cardinal Tauran, alors président du Conseil pontifical pour le Dialogue interreligieux sur « la vision chrétienne des relations entre chrétiens et musulmans ». Le titre pouvait sembler quelque peu provocateur à l’heure où le monde est en proie à de tels tourments, avait reconnu d’emblée le cardinal.
Loin de se lamenter sur le présent ou de se contenter de regarder vers le passé, l’ancien protodiacre avait proposé une toute autre analyse : « Les religions ne sont pas à l’origine du chaos actuel. Mais on ne peut comprendre le monde d’aujourd’hui sans prendre en compte les religions. Elles seront un élément incontournable dans la résolution des conflits en cours ».
Malgré le contexte actuel et les horreurs perpétrées par l’autoproclamé État islamique, le dialogue entre les deux grandes religions monothéistes se poursuit tant bien que mal, avec patience et dans la discrétion : « Nous constatons que, malgré tant d’efforts récents, nous ne nous connaissons pas encore, avait regretté le cardinal Tauran. Nous avons peur les uns des autres. Évidemment, le terrorisme pratiqué au nom de l’islam par des musulmans dévoyés ne contribue guère à favoriser la confiance mutuelle ».
De nombreux points communs
À plusieurs reprises, il s’était référé à saint Jean-Paul II qui rappelait déjà en 1982 à Kaduna au Nigéria, que chrétiens et musulmans avaient nombre de points communs : « Nous vivons sous le soleil du même Dieu miséricordieux. Nous croyons les uns et les autres en un seul Dieu, créateur de l’homme. Nous avons le privilège de la prière, le devoir d’une justice accompagnée de compassion et d’aumône et avant tout un respect sacré pour la dignité de l’homme ».
La liste des similitudes qui lient les deux religions est plus longue qu’on ne l’imagine souvent : l’adoration d’un « Dieu unique et miséricordieux », la vénération de la Sainte Famille et de Marie en tant que vierge et mère de Jésus, etc. Peu de chrétiens le savent, mais les musulmans attendent également le retour de Jésus, le Messie, comme signe de la fin des temps.
« Il y a des parcelles de Vérité dans toutes les religions »
Depuis le Concile Vatican II, l’Église encourage chrétiens et musulmans à oublier les querelles du passé. Deux grands textes,
« adoptés à une écrasante majorité » avait tenu à préciser le prélat, sont aujourd’hui encore la base du dialogue islamo-chrétien.
Le premier texte se situe dans Lumen Gentium et présente l’Islam comme la première religion monothéiste non biblique : « Mais le dessein de Salut enveloppe également ceux qui reconnaissent le Créateur, en tout premier lieu les musulmans qui, professant avoir la foi d’Abraham, adorent avec nous le Dieu unique, miséricordieux, futur juge des hommes au dernier jour » (LG, n°16).
Le second texte se trouve dans Nostra Aetate : « L’Église regarde aussi avec estime les musulmans, qui adorent le Dieu unique, vivant et subsistant, miséricordieux et tout-puissant, créateur du ciel et de la terre, qui a parlé aux hommes. […] Même si, au cours des siècles, de nombreuses dissensions et inimitiés se sont manifestées entre les chrétiens et les musulmans, le saint Concile les exhorte tous à oublier le passé et à s’efforcer sincèrement à la compréhension mutuelle, ainsi qu’à protéger et à promouvoir ensemble, pour tous les hommes, la justice sociale, les valeurs morales, la paix et la liberté » (NA, n°3).
Pour la première fois de son histoire, l’Église avait reconnu à travers un texte du magistère qu’il y avait des parcelles de Vérité dans les autres religions. Et ce changement a ouvert de nouvelles perspectives pour aller plus loin.
« Dans le dialogue on est encore face à face. Dans la collaboration, on est côte à côté, regardant ensemble dans la même direction, avait analysé le cardinal à Versailles. En travaillant ensemble, au nom de notre foi commune en Dieu, nous aidons l’homme à réaliser toutes les dimensions de son humanité. »
En chemin ensemble vers la Vérité
Le dialogue interreligieux n’a pas pour vocation de créer une religion mondiale qui conviendrait à tous. « Il a pour but de créer un espace pour un témoignage entre croyants, avait rappelé le cardinal Tauran, un espace qui permette une connaissance de la religion de l’autre. »
Définissant le dialogue interreligieux comme « un long pèlerinage vers la Vérité qu’accomplissent les croyants et les chercheurs de
l’Absolu », il a rappelé le besoin pour chaque croyant de se convertir lui-même avant de vouloir convertir l’autre. « Celui qui est engagé dans le dialogue doit en profiter pour se laisser convertir davantage par Dieu, car tout homme est tenu de chercher la Vérité, et quand il l’a trouvé, d’y adhérer et d’y conformer sa vie. »
Le dialogue interreligieux n’a pas pour but la conversion du prochain, « bien qu’il crée un climat qui lui est favorable ». Sans jamais édulcorer sa propre identité religieuse, avait insisté le cardinal, « il faut être capable de façonner une attitude pleine de respect pour l’autre, savoir accueillir et se taire pour écouter l’autre et offrir un parti-pris de bienveillance ».
« Non, il ne faut pas avoir peur de l’islam »
Le cardinal Tauran avait été clair : « Nous sommes condamnés au dialogue. Nous évoluons dans un monde où tout se conjugue au pluriel y compris la religion ». Ce n’est pas pour autant que les chrétiens doivent se sentir acculés ou en position de faiblesse. « Non, il ne faut pas avoir peur de l’islam si nous sommes des chrétiens formés et informés, membres actifs dans l’Église, cohérents dans nos engagements, ouverts aux autres pour recevoir et donner. »
« Chrétiens et musulmans sont appelés à relever ensemble un triple défi, avait conclu le cardinal : celui de notre identité ; celui de la différence : l’autre n’est pas nécessairement un adversaire ; et celui du pluralisme : Dieu est mystérieusement présent et à l’œuvre en chacune de ses créatures. »
Un seul avenir est possible « au regard de ce qu’enseignent l’histoire et les religions » : un « avenir partagé » qui se construit « dans les familles mais aussi à l’école, dans les églises, les mosquées ou les synagogues ».