En présentant « 25 propositions pour une République laïque », le Grand maître du GODF s’en prend aux crèches dans les mairies… mais concède que beaucoup de francs-maçons en auraient chez eux.C’est un symptôme de la crise de la laïcité, perdue entre laïcisme sectaire et communautarisme. En présentant « Vingt-cinq propositions pour une République laïque au XXIe siècle » pour « renforcer la laïcité », le 9 décembre, jour anniversaire de l’adoption de la loi de 1905 portant séparation des Églises et de l’État, le Grand maître du Grand Orient de France, Daniel Keller, a cru nécessaire de tempérer ses propos indignés contre la « provocation » que présente à ses yeux la présence de crèches dans des lieux publics : « Il ne s’agit pas de dire que nous serions, au Grand Orient de France, contre les crèches de Noël ! J’imagine que beaucoup de francs-maçons disposent une crèche de Noël au pied du sapin, d’autres, libres penseurs, n’en ont pas. Nous disons simplement qu’il faut garder aux institutions la neutralité que leur confère la République. Les collectivités publiques doivent donc respecter la loi » (Le Figaro).
La loi ne saurait piétiner la culture d’une nation
En réalité, la loi ne saurait piétiner les traditions et la culture d’une nation, autrement dit la pâte humaine, comme l’a reconnu la jurisprudence européenne (Aleteia). C’est pourtant ce que s’obstine à promouvoir le Grand Orient de France, non seulement en voulant bannir les crèches de l’espace public, mais aussi en s’attaquant au Concordat si cher aux Alsaciens-Lorrains, en prétendant mettre fin au financement public des activités cultuelles, en supprimant le financement des frais de scolarité des écoles privées par les communes ou en interdisant les signes religieux à la fac – mesure aussi réaliste que celle des écologistes prétendant proscrire les feux de bois dans les cheminées…
Soutenir qu’un « renforcement des règles laïques dans la sphère publique redonnera un nouveau souffle au pacte républicain », c’est surtout avouer que celui-ci est à bout de souffle ! Car l’homme échappe nécessairement à la loi quand celle-ci nie la réalité humaine, la pâte dont nous sommes pétris.
La dégénérescence de la laïcité en laïcisme
Avec la promotion de l’avortement, de l’euthanasie, du mariage gay, d’une éducation sexuelle idéologique et étatisée ou du travail dominical, nous assistons en effet au dernier stade de la dégénérescence de la laïcité en laïcisme, pour reprendre une idée développée à maintes reprises par le pape Benoît XVI.
Car il existe une saine laïcité inspirée du « rendez à César ce qui est à César et à Dieu ce qui est à Dieu ». Elle reconnaît à Dieu et à la religion la place qui leur revient dans la vie humaine, personnelle aussi bien que communautaire, tout en affirmant et respectant l’autonomie légitime des réalités sociales et politiques. Cette laïcité, qu’a en réalité inventée le christianisme, n’a rien à voir avec l’exclusion de tout symbole religieux dans l’espace public ni, plus profondément, avec le confinement de la religion dans la « sphère » privée – comme si un homme, être social par excellence, pouvait rester clos sur lui-même !
Les chrétiens ont évidemment quelque chose à dire sur la marche des affaires publiques et l’Église a droit à la parole sur la vie sociale, la justice, la morale, la bioéthique. C’est non seulement un droit mais le devoir de tout croyant d’être pleinement engagé, de tout son être, au service du bien commun. Tandis que « l’exclusion de la religion de la vie sociale, en particulier la marginalisation du christianisme, mine les bases mêmes de la coexistence humaine », comme le soulignait fortement Benoît XVI devant les juristes catholiques italiens (9 décembre 2006).
Retour à la « Maison du pain »
C’est bien ce à quoi nous assistons sur l’ensemble du territoire et pas seulement dans les « banlieues » : une montée de l’intolérance, des incivilités, de la violence, et la fuite de jeunes déboussolés, désocialisés, privés de toute repère éducatif et éthique, vers des mirages mortifères, sexe, drogue, délinquance, violences, nihilisme déguisé en engagement pour l’écologie, jusqu’au « djihad » qui renvoie à la République la monnaie de sa laïcité stérile, desséchée, dévaluée.
Mais voici que l’humble crèche de Bethléem – « la Maison du pain » ! – nous renvoie, elle, à notre fragile et divine condition humaine, soumise à César, menacée par Hérode, mais guidée par l’étoile, que l’on soit mage ou berger.