Au nom du respect de la laïcité, cette affaire est surtout le symptôme de la survivance d’une forme d’intolérance datée, dépassée et dangereuse, au nom d’une vision faussée de la laïcité… et de Noël.
Peut-on interdire une tradition ? Du passé, faut-il faire table rase, au nom d’une certaine conception de la République, plus proche d’une religion laïque que de la laïcité ? Le recours devant le Tribunal administratif d’une association dite de Libre pensée (les autres ne l’étant par définition pas, sans doute) va bien plus loin que la simple ignorance.
Derrière l’ineptie du raisonnement, la hargne de la démarche, on retrouve un fond de mépris voire de haine en retard d’au moins deux Républiques, et d’autant de Guerres mondiales. Il suffisait d’écouter, sur l’antenne d’Europe 1, jeudi matin, l’un de ses responsables tenter d’expliquer les raisons de son recours pour constater non pas son désir de défendre un principe, mais bien une haine anti-chrétienne viscérale, la certitude que la religion est l’ennemie de la liberté, de la raison, et donc de la République. Paradoxalement, à force d’affirmer avec véhémence qu’au fond Noël n’est pas une fête chrétienne mais païenne, il en venait à discréditer lui-même sa propre thèse : s’il s’agit d’une fête païenne, pourquoi diable s’attaquer aux crèches ?
La crèche de l’Hôtel départemental de Vendée, le casus belli, a donc dû être ôtée, mais Bruno Retailleau, son président, a d’ores et déjà annoncé son intention d’« utiliser tous les recours juridiques possibles pour faire annuler cette décision, jusqu’à la Cour européenne des droits de l’homme s’il le faut ». « La fête de Noël est un moment essentiel de notre vie sociale, elle est un événement de rassemblement collectif, qui va bien au-delà des croyances des uns et des autres », a-t-il souligné sur son blog.
Une décision grotesque, injuste et inquiétante
Pourquoi s’élever contre cette décision ? D’abord parce qu’elle est grotesque, estime le président du groupe UMP au Sénat. « Pourquoi dans ce cas ne pas interdire la galette des rois à l’Elysée, et la croix occitane sur le logo de la mairie de Toulouse ? Ensuite parce que cette décision est injuste. Manifestement il y a deux poids deux mesures, à l’heure où personne ne remet en cause le repas d’ouverture du ramadan offert tous les ans par la mairie de Paris. Enfin parce que cette décision est inquiétante. Car le symbole de la crèche dépasse le symbole religieux. Elle fait partie d’un patrimoine commun qui nous rassemble bien au-delà des convictions des uns et des autres. L’indignation qui s’est levée spontanément montre à quel point nos compatriotes, croyants ou non, restent attachés à leur histoire collective. Actuellement, la France est fragilisée par la crise et les Français tentés par le repli sur soi. Nos racines culturelles et nos traditions populaires sont aussi des liens sociaux qui nous maintiennent unis. »
Philippe de Villiers, son prédécesseur, a quant à lui appelé dans les colonnes d’Ouest-France « les élus du département à ne pas appliquer cette décision inique ». « La France est une vieille terre chrétienne. La crèche fait partie de son patrimoine, par-delà les croyances et les sensibilités. Pourquoi ne pas interdire les cloches ? Je récuse ce laïcisme totalitaire, qui est une forme de terreur moderne aux conséquences incalculables. »
En effet, même si certaines cicatrices du passé (en Vendée plus encore qu’ailleurs, d’ailleurs) ne seront vraiment refermées que lorsqu’on osera les nommer dans les livres d’histoire, 2014 n’est pas 1793, ni 1905. Pourquoi vouloir ranimer des guerres éteintes sinon par haine de la religion, et par désir d’exister d’une mouvance qui, dans la droite ligne d’un Vincent Peillon, estime encore, fraternellement, que la révolution française ne sera achevée que lorsque la religion catholique aura été annihilée, effacée des consciences comme de l’espace public. On croyait le sujet clos, au moins depuis 1914 : il y a tout juste un siècle, nul ne demandait sa religion à celui qui tombait dans les tranchées de Verdun pour défendre non pas un régime, mais un pays. Blancs et bleus, comme on disait encore alors, n’ont pas été enterrés côte à côte pour qu’un siècle après, une poignée d’idéologues sectaires dévoie le principe de laïcité pour s’attaquer à une crèche. Bel exploit ! Et ensuite ? Feront-ils comme les Femen cette semaine à Bruxelles
qui sont allées jusqu’à la détruire ?
Résister est aussi un droit constitutionnel
Certes, la République garantit le droit de ne croire en rien. Elle garantit de même la liberté de croire et d’espérer, dans l’article 10 de la Constitution : « Nul ne doit être inquiété pour ses opinions, même religieuses, pourvu que leur manifestation ne trouble pas l’ordre public établi par la Loi ». Dans quel monde vivons-nous s’il faut considérer qu’une crèche en période de Noël constitue un troubler à l’ordre public ? Il ne faut pas prendre cette décision à la légère, en sourire en n’y voyant qu’un acte isolé. Il faut reculer pour mieux voir la toile dans son ensemble et constater qu’un peu partout, acte après acte, décision après décision, pression après pression, les brimades et interdictions se multiplient dans un seul et même but : rendre toute référence religieuse invisible dans la sphère publique, la réduire à une pratique privée, de préférence muette et invisible. Processions, symboles, et de plus en plus simple liberté d’expression, d’opinion… L’article 2 de la Constitution rappelle pourtant que la résistance à l’oppression fait aussi partie des droits naturels imprescriptibles de l’homme.
Le jour où toute référence à quelque religion que ce soit aura, certainement au nom de la liberté et de la laïcité, été gommée des rues, des vies, extirpée, effacée de force des calendriers, des agendas, des médias, des mémoires, que la moindre fête aura été transformée en une célébration aussi laïque que vide de sens, que restera-t-il des citoyens ? Des consommateurs. Déjà, Noël, entre calendriers de l’Avent et cadeaux, est devenue la plus commerciale des fêtes, celle où le bonheur intérieur brut se mesure à l’aune des cadeaux reçus. Dans une telle ambiance de black friday, de magasins ouverts le dimanche, voir une crèche, c’est justement se rappeler que Jésus est né pauvre parmi les pauvres. Un message sans doute trop « religieux » pour certains, mais qui montre que l’âme, l’esprit de Noël dérange encore. Et, au fond, c’est tant mieux.