Vingt-cinq ans après la chute du mur de Berlin, trois grandes tentations menacent l’Europe actuelle : bureaucratie, corruption, égoïsme.
Le 9 novembre, le monde commémorait les 25 ans de la chute du mur de Berlin. Dans ce contexte, le pape François se rendra au Parlement européen avec un objectif déclaré : aider l’Europe à sortir de la crise actuelle, une crise de l’âme.
À l’Est, on l’appelait « mur de protection antifasciste », à l’Ouest « mur de la vengeance ». Du 13 août 1961 au 9 novembre 1989, il a séparé symboliquement en deux non seulement Berlin, mais toute l’Europe : l’Est communiste, autour de l’Union soviétique, et le côté ouest, allié des États-Unis.
Vingt-cinq ans après cet événement qui a changé le visage de la planète, le pape François se prépare à une visite éclair aux institutions européennes, dont le siège est à Strasbourg. À nouveau dans un climat de crise, mais cette fois-ci il s’agit d’une crise différente.
Une visite éclair, mais deux discours
Le Pape arrivera dans la ville française le 25 novembre, à 10 h, avant de repartir avant 14 h. Le programme prévoit deux discours au Parlement du premier évêque de Rome venu du Nouveau
Monde : le premier, devant les députés européens et les représentants du Conseil et de la Commission européenne ; le second, devant le Conseil de l’Europe, organisation internationale beaucoup plus importante (composée de 47 États, dont la Russie, l’Azerbaïdjan ou même Andorre, et où le Saint-Siège jouit du statut d’observateur permanent), afin de promouvoir la démocratie, les droits de l’homme et la primauté du droit.
Sur les traces de Jean-Paul II
« Ce sera une occasion unique », s’est réjoui le président du Parlement européen, Martin Schulz, à l’issue de sa réunion préparatoire avec le Pape, le 30 octobre. Le social-démocrate allemand a rappelé le précédent de la visite à Strasbourg de Jean-Paul II, le 11 octobre 1988. Un an plus tard, le mur tombait.
Dans son discours devant le Parlement européen, le pape polonais prévoyait déjà (et il était alors le seul à oser en parler) l’entrée des pays de l’Est dans la future Union européenne. Quatre ans avant la création du marché commun, il soulignait que l’Europe était fondée sur des racines communes, sur son âme, qui ne pouvait faire abstraction de l’apport du christianisme, et non sur de simples intérêts économiques immédiats. Il précisait aussi devant les membres du Parlement européen que la laïcité, pas le laïcisme, avait été exposée pour la première fois dans l’histoire par Jésus Lui-même, quand Il avait demandé de rendre à César ce qui était à César et à Dieu ce qui était à Dieu. Et il interrogeait : « Comment pourrions-nous concevoir l’Europe privée de cette dimension transcendante ? ». Enfin, Jean-Paul II avait encouragé l’Europe à faire preuve de solidarité envers les continents les plus nécessiteux, en particulier l’Afrique.
La scène européenne a profondément changé. À cette époque, la Communauté économique européenne était formée de 12 États et ses compétences étaient plus limitées. Aujourd’hui, l’Union européenne compte 28 États signataires et 500 millions de personnes, et elle est dotée de pouvoirs plus étendus. Il y règne un climat de crise, cette fois-ci beaucoup plus profonde. François est une référence pas seulement pour les catholiques selon le social-démocrate Martin Schulz et la visite du Pape se fonde sur le principe de la séparation de l’Église et de l’État. François, explique-t-il, « s’adressera dans l’hémicycle non seulement aux députés et aux représentants de l’Union européenne, mais à tous les peuples de l’Europe, représentés par leurs élus ».
Le dialogue transparent entre les Églises et les institutions communautaires est établi par le traité de Lisbonne.
« Fort de mon expérience personnelle en tant que maire d’une ville de
40 000 habitants [Würselen, dans l’État de Rhénanie du Nord-Westphalie], je peux dire que du fait de la présence des communautés religieuses, la société fonctionne mieux ; il s’agit de présences vivantes, en particulier dans le domaine de la solidarité, de l’éducation et de la culture. » Martin Schulz le reconnaît : « Nous allons accueillir au Parlement la personnalité qui, en ce moment historique, est probablement une référence, une boussole, non seulement pour les catholiques, mais pour beaucoup d’autres, à une époque où beaucoup sont désorientés, car le monde marche à une vitesse dramatique, parfois dans des directions très risquées. Dans ce contexte, le Pape est quelqu’un qui donne du courage aux personnes par sa droiture ».
Le message du Pape pour l’Europe
Jusqu’ici, François a rarement eu l’occasion d’aborder directement sa proposition pour le Vieux Continent. Ces deux discours deviennent donc son premier grand rendez-vous avec l’Europe. Vingt-cinq ans après la chute du mur, le Pape constate que l’Europe traverse une crise plus insidieuse, qui est due au même problème contre lequel Jean-Paul II avait mis en garde : la perte de l’âme européenne. C’est que, si l’Europe n’est rien de plus qu’un marché commun et une monnaie, quand ceux-ci sont secoués par des changements économiques mondiaux ou des intérêts partisans, ils perdent leur capacité à parvenir à un consensus et leur raison d’être. Au contraire, le Pape conçoit l’Europe comme cette maison commune, fondée sur des valeurs communes qui ont donné lieu aux grandes réalisations politiques, économiques, culturelles, artistiques et spirituelles de son histoire.
C’est pourquoi, lors de la rencontre du pape François avec la chancelière allemande Angela Merkel, le 18 mars 2013, le Souverain Pontife s’est référé à l’Europe comme une « communauté de valeurs ». Quand l’Europe cesse d’être une communauté de valeurs pour se réduire à une simple communauté d’intérêts, on constate les manifestations évidentes des trois tentations qu’elle connait aujourd’hui.
Les trois tentations de l’Europe
La première, et la plus évidente, est de réduire sa mission à une simple bureaucratie. Si l’Europe n’a pas d’âme, si elle n’a pas de principes communs mais seulement des intérêts, ses représentants deviennent de simples bureaucrates, sans mission ni vision. Les structures européennes courent le risque de se réduire à une simple paperasserie pour réglementer le marché commun. Ce n’est pas la bureaucratie qui peut résoudre les grands défis tels que le chômage des jeunes ou l’hiver démographique.
La deuxième grande tentation est la corruption. Lorsque le service public n’obéit pas à des principes, mais seulement à des intérêts, on peut aisément confondre la politique avec ses propres intérêts, comme c’est le cas actuellement en Espagne et dans d’autres pays.
Et la troisième tentation que le Pape dénoncera à Strasbourg est l’égoïsme. Une Europe sans âme est une Europe égoïste. Tout d’abord, entre ses membres. Fini l’élan de solidarité qui a donné naissance au processus d’intégration europénne après la Seconde Guerre mondiale, ou à l’incorporation de l’Espagne et du Portugal. Mais surtout, la crise de l’âme que traverse l’Europe la conduit à montrer son pire visage dans ses relations avec les plus nécessiteux. À partir du moment où seuls comptent les intérêts, alors les immigrés et les réfugiés deviennent une menace.
Pour surmonter cette crise, il faut recouvrer la fraîcheur et l’enthousiasme qui animent le Pape et dont il rayonne, en encourageant en le processus d’intégration, tout en critiquant la vision myope d’une Europe impuissante à regarder vers le haut. Et puis en Turquie …
Fait intéressant, trois jours après la visite de Strasbourg, le Pape se rendra en Turquie pour une visite au patriarche œcuménique de Constantinople, Bartholomée Ier. Si le but de cette visite est avant tout de promouvoir les bonnes relations avec les chrétiens orthodoxes (l’autre poumon de la chrétienté européenne), le Saint-Père sera accueilli par le président Tayyip Erdogan, qui traverse en ce moment une situation très délicate. Il abordera avec lui les défis auxquels est confrontée la Turquie, pays qui en ce moment est tiraillé entre ceux qui s’opposent par tous les moyens à l’État islamique et ceux qui mettent sur le même pied les Kurdes qui luttent contre les radicaux au nord de l’Irak.
Traduit de l’espagnol par Élisabeth de Lavigne