Compte-rendu. Le mouvement issu de la Manif pour tous a réuni les trois candidats à la présidence de l’UMP. Quitte à en bousculer certains en abordant le sujet qui fâche : la loi Taubira.
"La droite ne peut plus se permettre de fonder ses convictions sur le sable, mais être de nouveau ce à quoi elle croit, et croire avant de penser." Madeleine Bazin de Jessey, venue des Veilleurs, n’a comme à son habitude pas mâché ses mots en ouverture du meeting de Sens Commun, à Paris. L’entrisme de ce jeune mouvement est assumé, l’objectif clair et affiché, parler le seul langage que comprennent les politiques de premier plan : le rapport de force, jusqu’à leur faire adopter les idées et valeurs défendues par ces nouveaux encartés, qui représentent la grande majorité des nouvelles adhésions à l’UMP en ces temps tourmentés. Le constat est simple : seul le fait d’adhérer permet d’en modifier la ligne politique d’un parti de l’intérieur. Au bout de quelques mois, le jeune mouvement rassemble déjà plus de 5000 adhérents, et se paie donc le luxe d’avoir été le seul à parvenir à rassembler en un seul et même meeting les trois candidats à la présidence de l’UMP. Un meeting qui aura fait réagir jusqu’au Président de la République, suite aux déclarations de Nicolas Sarkozy.
"Avoir des convictions enracinées"
Pour Madeleine Bazin de Jessey, "avec des convictions enracinés, il est possible de faire bouger les lignes, de changer la politique. Laissons le désespoir à d’autres, l’espérance est en marche et elle peut tout. Il y a deux ans, vous avez compris que les Français étaient attaqués dans ce qu’ils avaient de plus précieux, leur famille." Ces rassemblements historiques que nous avons vécu auront une fécondité que nous ne saisissons pas encore. Mais regardons les choses en face : nous avons les dirigeants que nous méritons. Pendant trop longtemps, nous avons critiqué le match devant notre poste de télévision, sans enfiler le maillot et descendre sur le terrain. Nous nous étions dirigés derrière le discours trop facile du tous pourris. Que dirions nous demain à nos enfants ? Que nous avons tout donné pour eux, jour après jour parce qu’à nos yeux leur avenir n’a pas de prix", poursuit la cofondatrice de Sens Commun. "L’urgence est de donner et de servir sans attendre de bénéfices personnels. La droite ne peut plus se permettre de fonder ses convictions sur le sable, être de nouveau ce à quoi elle croit, et croire avant de penser."
Défendre des valeurs et des convictions
Figurant parmi la dizaine de parlementaires présents lors du meeting de Sens Commun, Laurent Wauquiez a posé le débat : "Vous avez fait le choix de ne pas être spectateurs. Je sais que vous n’êtes pas là par opportunisme, pour faire carrière, réclamer des postes. Mais pour une seule chose, que nous avons perdu de vue depuis trop longtemps : la défense de nos valeurs, de nos convictions. Ce devrait être cela la politique. Partant de l’élan de la Manif pour tous, pouvons rebâtir différemment notre famille politique.’ Faisant référence à la doctrine sociale de l’église, pour défendre la valeur du travail, l’ex ministre a souligné que "cette société-là est celle du consumérisme, ce n’est pas celle à laquelle nous croyons." Quant à la Cour Européenne des droits de l’homme, " elle se trompe quand elle diffuse une idéologie parce qu’il s’agit une idéologie, où seul les droits des minorités valent. Je ne laisserai jamais les juges de la CEDH sans légitimité politique me dicter ma vision de la famille. "Enfin, je ne crois pas que l’on construise une société de tolérance dans la négation de ce qu’on est. On ne peut pas s’ouvrir aux autres si l’on ne sait pas qui l’on est. Oui, l’Europe a des racines chrétiennes, oui la civilisation européenne a des racine judéo-chrétiennes. Nous ne venons pas de nulle part, nous avons des fondations, et ce ce n’est pas quand on oublie ses fondations que l’on peut s’ouvrir à l’autre et être tolérant."
La loi Taubira n’est pas un acquis social
"Comme vous, j’étais contre la loi, a rappelé Laurent Wauqiez. Comme vous j’ai manifesté contre cette loi, et je n’ai pas changé d’avis. je reste pour l’abrogation de cette loi. Je respecte les positions de chacun. Je peux comprendre que l’on vote pour ou contre, pas qu’on s’abstienne sur une loi comme celle-là. Dans notre famille politique, il doit y avoir des question fondamentales. les questions de filiation ne peuvent pas être considérées comme des pressions accessoires. Jamais la loi Taubira ne sera pour moi un acquis social. Ce qui est un acquis, c’est qu’un enfant est le fruit d’un père et d’une mère et rien d’autre. La jurisprudence a montré clairement que la loi Taubira aboutira à la GPA, à la PMA. On ne peut pas dire qu’on est contre, sans dire qu’il faudra réécrire l’ensemble de la loi Taubira." Le leader de la droite sociale a conclu en affirmant que "la droite et le centre échouent non pas parce qu’elles en disent trop mais parce qu’elle n’en font pas assez. Une certaine gauche entend nous dicter ce que l’on doit penser. Ayons juste le courage d’assumer nos valeurs et de ne pas chercher à plaire aux censeurs de la modernité."
Bruno Lemaire hué
Interpellé d’emblée sur son abstention lors du vote de la loi Taubira, Bruno Lemaire n’a pu éviter les huées de l’assistance. Pour autant, il a tout de même assené crochets ("moi, je n’attends pas d’être élu pour donner ma position") et directs à son principal adversaire, qu’il aura regretté de ne pas croiser à la tribune : "Nous avions promis en 2007 de mettre en place de mettre en place un Contrat d’union civile pour les couples homosexuels. Nous aurions bien fait de tenir parole, nous n’aurions pas eu la loi Taubira." Interrogé sur ce qui doit changer à l’UMP, l’ex-ministre de l’agriculture tâcle à nouveau Nicolas Sarkozy : "Tout sauf le nom ! Quand on commence à vouloir refaire la façade, c’est que l’on n’est pas vraiment prêt à changer le parti lui même. je ne veux pas changer la devanture, mais la pratique." Si on peut lui reconnaître le courage d’avoir arpenté les fédérations pour faire campagne, il est clair que ce n’est pas auprès des militants UMP issus de la Manif pour tous qu’il trouvera un soutien.
Philippe Gosselin, vindicatif
Le meeting de Sens Commun alternant témoignages et interventions de candidats, le député Philippe Gosselin est ensuite monté sur scène, et s’est amusé : "C’est un privilège aujourd’hui de réunir le trio, pour un "grand O", s’est-il amusé. Nous avons été des milliers à manifester, pas de casseurs, pas de cagoulés, mais des agitateurs d’idées. Nous pouvonr remercier Christiane Taubira : grâce à elle, nous ne lâchons rien. Il faut en 2017 revenir sur cette loi et dire non à la marchandisation des corps, sanctuariser la filiation. Les femmes et les enfants ne sont pas à vendre." Le député a poursuivi en revenant sur l’aventure Sens Commun : "L’engagement politique se construit autour des questions de société. Nous avons laissé depuis trop longtemps ce champ à la gauche. Culture, liberté de pensée, devenir de la famile, éducation.. pourquoi avoir déserté ? Un parti politique ne doit pas se contenter d’être gestionnaire. Il doit proposer un projet collectif, de société." "Ne laissons pas la gauche, le FN, je ne sais qui, répondre à des attentes qui ne sont pas les nôtres. je crois que nous avons fait preuve d’une certaine paresse intellectuelle. Ce n’est pas une crise de foi, mais une crise de sens. Soyons des veilleurs, il y en a pas mal dans la salle", a conclu Philippe Gosselin.
Hervé Mariton, à domicile
Le moins connu des trois candidats à la tête de l’UMP, lui, jouait en revanche à domicile. Son opposition à la loi Taubira est le fondement même de sa candidature : "Il faut abroger la loi Taubira. Ce qu’une loi fait, une loi peut le défaire. En disant que la Constitution ne bloquait pas la loi Taubira, le Conseil constitutionnel a aussi dit que son abrogation ne serait pas non plus bloquée par elle." Pour Hervé Mariton, "la famille est moins abimée mais plus en danger que certains le pensent. Selon les chiffres de l’Insee, 75% des enfants vivent avec leurs deux parents. Il faut répondre aux autres situations, mais la famille solide, classique, traditionnelle, continue d’exister et est porteuse de bonheur et d’avenir."
Comment changer l’UMP ? Pour Mariton, le seul à avoir déclaré ne pas être candidat aux primaires présidentielles, "l’UMP a été créé en 2002 sur deux belles promesses : la force d’un mouvement de droite visible et repérable, et éviter qu’il nous arrive les malheurs de la division, connus par la gauche en 2002. Je ne souhaite pas qu’elle se repeigne au service d’un homme, car ce n’est ni son but initial, ni l’intérêt de notre parti." "Je n’écris pas un roman personnel, je suis seulement armé de mes convictions, de mon courage de ma volonté, a-t-il rappelé en conclusion de son "grand oral". Beaucoup de militants sont des membres récents d’une formation politique, exigeants. Des militants inquiets mais pas désespérés."
Bruno Retailleau, incisif
Le nouveau président du groupe UMP au Sénat a également salué les militants présents : "Ce n’est pas la France des grands boulevards, mais des terroirs, venus de tous les horizons politiques, a-t-il souligné. "La France qui dégringole, les mensonges institués en méthode de gouvernement, le président giflé en direct par une adolescente, les images du président qui prend l’eau sur l’île de Sein, au pupitre à se justifier à un sommet de l’Otan pour contrer les attaques d’une amante outragée. Est-ce le président que vous voulez ? On s’est croisés en battant le pavé, et vous avez eu raison de comprendre que la rue ne peut pas être le seul terrain de l’expression politique."
Le sénateur de Vendée a moqué, comme disait Flaubert, ceux qui "ont la génuflexion oblique des dévôts pressés". La droite vit sous l’hégémonie culturelle de la gauche, c’est terrible de dire ça, et c’est un réflexe qui vient de loin, avant même que l’on dise que mieux valait avoir tort avec Sartre que raison avec Aron. Le réflexe est toujour là, il faut nous en méfier. La droite que nous voulons, ce n’est certainement pas la gauche moins les 35 h, un peu moins d’impôt et une pichenette de fermeté en plus. Non, c’est autre chose. La droite que nous voulons a le courage de dire qu’aucun article de la Constitution n’empêche de défaire ce que la gauche à fait. Et donc, bien sûr, il faut abroger la loi Taubira. C’est même terrible de devoir se poser cette question alors que nous avons la preuve de ce que nous disions, que c’était le droit à l’enfant et conduisait tout droit à la PMA et à la GPA. "Je n’ai pas combattu pour une idéologie que je trouvais droite et bonne pour me rallier maintenant à l’idéologie dominante de la gauche, a conclu l’élu de Vendée. La droite n’est pas une fin en soi. Ce qui compte le plus, c’est la France. Pour l’aimer, il faut aussi la vouloir. Elle a besoin d’un choc de volonté. Péguy, qui est mort y a un siècle au front, disait "L’espérance est une petite fille de rien du tout mais qui pouvait tout."
Nicolas Sarkozy parle d’abrogation
C’est la seule chose que les médias auront retenu du premier grand meeting de Sens Commun, et bon nombre cherchent encore une raison pour affirmer qu’il n’a pas voulu dire cela, ou qu’il ne le pensait pas : Nicolas Sarkozy a fini par concéder, face à une salle le battant froid, que réécrire de fond en comble la loi Taubira revenait à l’abroger. Il faut dire qu’il n’y a finalement pas grand chose à retenir d’autre de l’intervention de l’ancien Président de la République devant les militants UMP de Sens Commun, qui se sont tout de même tous levés pour l’accueillir. La salle n’avait clairement pas l’intention de se contenter de quelques coups de griffes, même bien sentis, contre ses concurrents et contre la gauche : "Mes concurrents ont tellement de qualités qu’ils feraient mieux de parler de leurs qualités que de mes défauts, qui sont bien connus", "on comprend aujourd’hui que la normalité était la médiocrité." Sa tentative de s’attirer les bonnes grâces de l’assistance n’aura pas été couronnée de succès même en revenant sur l’expression "fascistes en loden" de Jacques Attali. Jusqu’à ce qu’il aborde le sujet de la loi Taubira : "Si vous préférez qu’on dise qu’on doit l’abroger pour en faire une autre, je n’ai aucun mérite à dire cela, ce n’est pas cher payer. Avec le mariage pour tous tel qu’il est organisé, la séparation entre filiation et mariage est impossible. Cela ne sert à rien de dire que l’on est contre la GPA et contre la PMA si l’on n’abroge pas la loi Taubira." L’ex chef de l’Etat aura également rappelé que "le droit à l’enfant est une folie, il n’y a qu’un désir d’enfant", qu’il est "opposé à la PMA pour les couples homosexuels féminins, qui est l’équivalent de la GPA pour les couples masculins.", que "la famille n’est pas un choix, c’est une identité", qu’"obliger la femme à choisir entre son métier et faire des enfants, c’est le contraire d’une politique familiale."
Mais la déclaration finale de Nicolas Sarkozy aura plus complexifié que clarifié ses nouvelles prises de position pro-famille taillée sur mesure pour l’assistance : selon lui, "la question de la reconnaissance du couple homosexuel n’est pas satisfaite par le Pacs. C’est justement parce que la gauche ne croit pas à la différence qu’elle ne respecte pas la différence. Moi je suis pour un mariage pour les hétérosexuels et un pour les homosexuels." Utiliser le même mot dans les deux cas, mais en revenant sur la question de la filiation pour les couples homosexuels n’a guère de chance de satisfaire les juges de l’égalité, tout en fragilisant encore une fois tant le mot que le concept de mariage.
Les déclarations de Nicolas Sarkozy auront tout de même le mérite, que l’on croit ou non à leur sincérité, de faire parler de ce meeting du jeune mouvement Sens Commun dans tous les médias, de relancer le débat sur le mariage homosexuel et de faire réagir la gauche, qui l’accuse de céder à "la branche la plus radicale de l’UMP". François Hollande lui-même, depuis le G20, a réagi à ses propos en rappelant son attachement au rassemblement, au respect, au consensus, au apaisement. Il eut sans doute fallu y penser avant de mettre les nerfs du pays à vif en dressant les Français les uns contre les autres, tant pour satisfaire ses soutiens qu’à des fins électoralistes. François Hollande a tout de même concédé que le débat pourrait être rouvert "s’il devait y avoir alternance" en 2017.