Au delà des polémiques, le Frère Laurent Tarel nous livre son éclairage sur le synode et une lecture détaillée de l’Instumentum Laboris.H2 { page-break-inside: avoid; widows: 4; page-break-after: auto; }H2.western { font-family: “Times New Roman”,serif; font-size: 14pt; font-weight: normal; }H2.cjk { font-family: “Arial Unicode MS”; font-size: 14pt; font-weight: normal; }H2.ctl { font-family: “Times New Roman”; font-size: 11pt; font-weight: normal; }
Nous voulons attirer l’attention des lecteurs sur un point capital pour ne pas se tromper sur le contenu de cet article. En effet, tout le travail reste à faire ! Ce sont les évêques réunis autour du Pape François qui auront la charge, en octobre prochain, de réfléchir et de discuter autour de certains thèmes qui ont été déterminés dans l’Instrumentum Laboris. Ce travail sera collégial et visera à rechercher des réponses communes et la mise en œuvre d’une pastorale universelle prenant en compte la diversité des cultures dans lesquelles l’Église est présente. Cet article n’est donc pas une prémonition, ni même une prophétie sur le contenu précis du Synode ; il ne vise pas non plus à créer de nouvelles polémiques, mais il est à comprendre comme un éclairage. Après ces quelques éléments qui nous semblaient importants de mentionner, entrons dans le vif du sujet.
De quoi parlera-t-on durant le Synode ?
Le Pape François nous l’a dit longuement, les Pères synodaux parleront de la famille dans le contexte de la nouvelle évangélisation. La perspective est donc bien celle de l’évangélisation, c’est-à-dire de la manière dont l’Église continue de transmettre l’Évangile dans le monde contemporain. Ce grand mouvement, ininterrompu depuis la Passion et la Résurrection du Christ, se réalise en particulier dans la famille, cellule de base de toute société humaine, lieu où grandissent chaque homme et chaque femme, foyer où Dieu désire se révéler, être aimé et adoré. Le Synode va ainsi faire un état des lieux de la situation de la famille, à travers le monde, dans cette perspective de l’évangélisation. Son but principal est ainsi de dégager des lignes de réflexion afin d’encourager une pastorale de la Famille renouvelée face aux défis qui se présentent à elle.
Afin d’avoir une idée des thèmes abordés, il nous faut commencer par lire le document préparatoire servant de base au travail des Pères. Rappelons que ce document est une synthèse de toutes les réponses apportées au questionnaire envoyé aux diocèses ; il est le point de départ du travail des Pères synodaux. Le document se compose de trois parties.
1. Communiquer l’Évangile de la famille aujourd’hui
Dans la première partie, le document considère l’Évangile de la famille dans le contexte actuel. Il rappelle que la source primordiale de la famille est Dieu. Il reprend les différents moyens à notre disposition pour connaître cette « Bonne Nouvelle » que constitue la famille pour le monde et pour l’Église : l’Écriture et la Tradition (les documents de l’Église notamment). On y dresse une situation de la connaissance de ces sources de la part des fidèles et des pasteurs. On y rappelle la nécessité, pour la transmission de cet Évangile, d’avoir des prêtres, des ministres et des fidèles qui soient bien formés. La connaissance et la réception de ces enseignements est devenue difficile pour beaucoup et pour de multiples raisons : incompréhension, changement des mœurs, autorité de l’Église peu ou prou reconnue, méconnaissance des situations, contextes sociaux et sociétaux ayant beaucoup changés et peu compatibles avec l’enseignement de l’Église, perte de la foi ou de la pratique des sacrements, etc…
On se rend compte également du changement important ayant eu lieu dans le vocabulaire et la compréhension des données naturelles en jeu dans la question. La Loi naturelle étant comprise comme une simple donnée de la nature que la loi civile devrait faire ‘évoluer’, ou bien devenue pour certains ‘obsolète’. Si le langage doit se renouveler, le document rappelle l’importance, surtout, de faire connaître et d’expliciter le contenu de cette Loi.
Enfin, le document situe la famille dans son rapport à la Sainte Trinité dont elle est une image, et dans sa relation à la Sainte Famille de Nazareth qui demeure un modèle pour toute vie familiale. Ce point permet de rappeler que la famille est le lieu du développement originel et fondamental de toute personne humaine. Elle est le lieu où est possible le « développement intégral » de la personne. En ce sens, le document attire l’attention des Pères synodaux sur l’importance d’une formation constante et continue de chacun à la réalité familiale dans toutes ses composantes.
2. La pastorale de la famille face aux nouveaux défis
Dans la deuxième partie, il s’agit de traiter de la « pastorale de la famille face aux nouveaux défis » qui se présentent à elle. De nos jours, la pastorale familiale est riche de nombreuses propositions telles que la préparation au mariage, la piété et la spiritualité familiales, l’entraide entre familles, le témoignage des familles auprès des jeunes générations et de la société, la formation des jeunes aux réalités conjugales, etc…
Mais en même temps, cette pastorale se voit dans la nécessité de relever de nouveaux défis. La pastorale familiale doit, en effet, faire face en « interne », à une crise de la foi, aux difficultés de relation et de communication à l’intérieur de la famille, aux phénomènes de fragmentation et de désagrégation des liens familiaux, au douloureux problème de la violence et des abus au sein des familles, aux diverses dépendances dont les membres de la famille peuvent souffrir. Du point de vue « externe », les pressions sont multiples : l’incidence du travail sur la famille (pas de travail ou trop de travail), l’immigration (qui peut souvent séparer les membres d’une famille), la pauvreté et la lutte pour la subsistance quotidienne, le consumérisme et l’individualisme, et encore les « contre-témoignages » dans l’Église. Tous ces éléments pèsent sur le modèle familial traditionnel et posent de nouvelles questions à la pastorale familiale. Sont abordées ensuite un certain nombre de situations particulières : guerres, disparité de culte, etc…
Sont énumérées enfin les « situations pastorales difficiles ». Le document se penche sur les « situations familiales » puis sur les situations « d’union entre personnes de même sexe ».
Dans le premier point, on y aborde : la question du concubinage qui semble se répandre de plus en plus, celle des « unions de fait » qui se généralisent, le problème du divorce (avec ou sans nouvelle union), la situation des enfants qui traversent ces situations, le cas de ceux qui restent seuls (père ou mère avec enfant(s)), la situation des personnes non-pratiquantes ou non-croyantes qui demandent le mariage ; le document fait mention de la question de l’accès aux sacrements et d’autres requêtes exprimées dans les réponses, mettant en relief en particulier la difficulté à prendre conscience ou à comprendre, de la part des personnes concernées, de l’irrégularité canonique de leur situation.
Dans tous les cas, le document ouvre des questions afin de guider la réflexion et le travail des évêques et experts qui interviendront lors du Synode.
Dans le second point, c’est le cas des unions entre personnes de même sexe qui est posé. Le document rappelle d’abord qu’ « il n’y a aucun fondement pour assimiler ou établir des analogies, même lointaines, entre unions homosexuelles et le dessein de Dieu sur le mariage et la famille ». De ce principe naît une série de remarques dont l’essentiel se situe dans le constat du changement, dans de nombreuses sociétés, de la législation en vue de rendre équivalents ce que l’on nomme les unions homosexuelles au mariage. Toutes les Conférences épiscopales se sont exprimées contre cette redéfinition du mariage. On note, par ailleurs, l’influence majeure dans la question de l’idéologie du gender. Sous l’intention exprimée de faire disparaître l’homophobie se trouve en réalité une subversion de l’identité sexuelle. Un enjeu majeur se trouve dans le fait de conjuguer l’accueil miséricordieux des personnes d’une part, et l’affirmation de l’enseignement moral de l’Église de l’autre.
Ici, le document préconise un nouveau travail de fond dans les domaines de l’anthropologie et de la théologie sur la question de la sexualité humaine et sur celle de la différence sexuelle entre l’homme et la femme afin de faire face à l’idéologie du gender. « Le grand défi sera le développement d’une pastorale qui parvienne à maintenir le juste équilibre entre l’accueil miséricordieux des personnes et l’accompagnement progressif vers une maturité humaine et chrétienne authentique ».
Enfin, se pose la question des enfants face à ces unions et à cette idéologie. Le rôle de la famille devient plus important que jamais dans l’éducation affective et sexuelle face à l’introduction dans le milieu scolaire de l’idéologie du gender. Par ailleurs, il y a un refus clair et unanime d’une législation permettant l’adoption d’enfants par des personnes en union de même sexe.
3. L’ouverture à la vie et la responsabilité éducative
Dans la troisième partie, le document reprend à son compte l’enseignement contenu dans l’Encyclique Humanae vitae publiée par le Pape Paul VI le 25 juillet 1968. On y réaffirme le caractère prophétique de l’Encyclique en notant toutefois que nombre des intuitions de Paul VI se sont depuis réalisées. Deux chapitres abordent tour à tour la question de l’ouverture à la vie et celle de l’éducation.
Dans le premier chapitre, le document dresse un constat facilement observable. Il existe une « différence substantielle » entre la vision chrétienne et la vision sécularisée posées sur la vie et la sexualité humaines. Cette dichotomie entre ces deux regards posés sur l’Homme est à la source de nombreuses et radicales objections. Nombreuses sont les voix s’opposant, en la matière, à celle de l’Église. Les difficultés sont ainsi nombreuses :
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Le cœur des hommes et des femmes d’aujourd’hui sont habités par un « tourment » grandissant pour tout ce qui concerne la vie affective, l’engendrement de la vie, la réciprocité homme/femme et la paternité/maternité.
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La doctrine de l’Église reste largement méconnue en sa dimension positive.
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Revient de manière récurrente le reproche d’ingérence de la part de l’Église dans la vie intime des couples et le reproche de la limitation par le Magistère de l’autonomie de la conscience chez ses fidèles.
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L’expression « paternité et maternité responsable » revêt aujourd’hui une compréhension sans cesse plus large.
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On rencontre encore des difficultés à saisir la distinction entre « méthodes naturelles de régulation de la fertilité » et « contraception ». On évoque ici l’importance de rappeler l’efficacité des « méthodes naturelles » ainsi que la dignité de la relation sexuelle entre les époux qui appelle une vision de la conjugalité ouverte à la vie. Ces « méthodes naturelles » ne sont pas une méthode contraceptive.
Les causes des difficultés d’accueil de la parole ecclésiale sont diverses. Un abîme se creuse entre la doctrine de l’Église et l’éducation civile ; ce sont là deux anthropologies de fond distinctes qui s’opposent. L’idéologie du gender modifie profondément certains éléments fondamentaux de l’anthropologie. Le sens que revêt le ‘corps’ ou bien le sens de la différence sexuelle sont ainsi détournés.
Le document suggère de redécouvrir l’enseignement d’Humanae vitae afin de la proposer de nouveau en usant d’un nouveau langage capable d’être entendu par nos contemporains. L’Encyclique proposait, en son temps, une vision anthropologique cohérente. Elle se veut être, aujourd’hui encore, un outil à inclure dans les préparations au mariage et dans des ‘parcours d’éducation à l’amour’. De même, il devient nécessaire et même urgent de présenter les méthodes naturelles de régulation de la fertilité par une collaboration fructueuse entre pasteurs et personnes préparées sur les plans médical et pastoral (des couples en particulier).
On constate encore une négligence dans les aspects liés à l’ouverture à la vie dans l’examen de conscience des couples chrétiens. Alors que ceux-ci reconnaissent que l’avortement est un péché, leur conscience est beaucoup moins vive face aux méthodes anticonceptionnelles ; ils considèrent souvent qu’il ne s’agit pas d’un péché. Cela peut s’expliquer en partie par diffusion d’une mentalité contraceptive fruit d’un modèle anthropologique individualiste. Cela est accentué par certaines politiques de dénatalité qui modifient la qualité des rapports entre les conjoints.
En ce sens, le document en appelle à la responsabilité civile des chrétiens pour la promotion de lois et de structures favorisant une approche positive de la vie naissante. On suggère le développement et le soutien des associations familiales chrétiennes ainsi que la création de ‘planning familiaux chrétiens’.
Une dernière suggestion apparaît comme essentielle : il faut aider à redécouvrir le sens anthropologique profond de la moralité de la vie conjugale et redécouvrir également le sens de la chasteté conjugale.
Dans le second chapitre, l’Instrumentum laborem se penche sur les questions liées à l’éducation des enfants. On parle d’une « éducation intégrale » de la personne, dont la tâche revient de droit et en premier lieu aux parents. Cette manière d’appréhender l’éducation des générations permet de susciter « la grande question de la vérité », de « guider les personnes sur le chemin de la vie », et un tel projet éducatif ne peut « naître qu’à l’intérieur d’un amour ». L’éducation comporte deux niveaux : anthropologique et spirituel – transmission de la foi. Dans ce cadre, l’Église peut et doit apporter une aide aux parents dans cette tâche éducative, et notamment par l’Initiation chrétienne (Baptême, Confirmation, Eucharistie).
Là encore de nombreuses difficultés apparaissent tels que les conflits intergénérationnels, l’abandon de cette tâche éducative aux institutions publiques, la sécularisation, etc…
L’éducation chrétienne, la transmission de la foi appelle un témoignage de vie authentique. Ce témoignage est souvent difficile au cœur des situations de crises de la cellule familiale. Alors, c’est le processus éducatif même qui devient complexe.