La famille, cellule de base de la société et de l’Eglise, est malade. Elle sera auscultée du 5 au 19 octobre par les évêques du monde entier, à la demande du pape François.Avec le réalisme visionnaire qui le caractérisait, le saint pape Jean Paul II avait fait de la famille la priorité de son pontificat. Il lui avait consacré de nombreux discours, une exhortation apostolique (Familiaris Consortio), une encyclique (Evangelium vitae), sa « Lettre aux familles » de 1994… Son œuvre sur la sexualité et la théologie du corps est sans précédent. On lui doit aussi des créations majeures : le Conseil pontifical pour la famille (institué le 13 mai 1981 : le jour même de l’attentat qui faillit lui coûter la vie !), les instituts Jean Paul II pour la famille, les rencontres mondiales des familles… et le premier synode sur la famille en 1980.
Trente-six ans ont passé depuis l’élection de Jean Paul II. Loin d’avoir remis en cause cette priorité accordée à la famille, ses successeurs n’auront cessé de labourer le champ qu’il avait défriché. Benoît XVI a parlé du « rôle de premier plan » des familles chrétiennes dans la cité et dans l’Eglise : « De même que l’éclipse de Dieu et la crise de la famille sont liées, a-t-il souligné, de même la nouvelle évangélisation est inséparable de la famille chrétienne ».
Quand les familles chrétiennes s’affadissent et ne transmettent plus la foi, non seulement l’Eglise mais toutes les sociétés en pâtissent. Voilà pourquoi le prochain synode sur la famille s’intitule : « Les défis pastoraux de la famille dans le contexte de l’évangélisation ».
Quant au pape François, on ne compte plus ses homélies et discours sur l’amour conjugal et familial, y compris ses confidences sur le rôle de sa propre famille dans sa vie et sa vocation. Et c’est à saint Jean Paul II, le jour même où il procédait à sa canonisation, que le pape François a confié ce nouveau synode sur la famille, cette assemblée générale extraordinaire qui sera prolongée par l’assemblée générale ordinaire de 2015, sur le même thème, tant la tâche est immense !
« L’instrument de travail » (Instrumentum laboris) préparé sur la base d’un questionnaire envoyé dans le monde entier a fait remonter à Rome, via les diocèses, une masse d’informations souvent douloureuses sur ce que vivent les familles contemporaines. Sur ce plan aussi, la mondialisation a fait son œuvre ! Difficultés éducatives, crises conjugales, divorces, souvent sur fond de précarité et de chômage, oubli ou incompréhension de ce que sont les liens du mariage, toute cette somme de souffrances a fait dire à Mgr Paglia, le président du Conseil pontifical pour la famille, que « Le Synode doit s’équiper comme un hôpital de campagne » !. Le défi pastoral est immense, à la hauteur de l’enjeu.
Le problème le plus médiatisé concerne la situation des divorcés remariés. Mais ce ne doit pas être l’arbre qui cache la forêt, même si celui-ci est de taille. Le pape François l’a dit sans ambages dans l’avion qui le ramenait de Terre Sainte, le 26 mai dernier : « Je n’ai pas aimé que de nombreuses de personnes, y compris d’Eglise, des prêtres, aient dit “Ah, le synode, pour donner la communion aux divorcés remariés“. (…) Non, la chose est plus large. Aujourd’hui, nous le savons tous, la famille est en crise. Elle est en crise mondiale. Les jeunes ne veulent pas se marier, ou ils ne le font pas, ou ils vivent ensemble. Le mariage est en crise, la famille aussi. »
Le Secrétaire général du synode des évêques, le cardinal Baldisseri, a également jugé nécessaire de rétablir la juste perspective dans une brève mise au point parue le 10 juillet dans l’Osservatore Romano : si « tous les thèmes concernant la famille, énumérés dans l’Instrumentum laboris seront abordés », il n’est pas question de focaliser sur tel ou tel aspect. D’autant, rappelle-t-il, que sur les 159 numéros qui constituent ce document qui servira de base aux travaux du synode, « seuls quelques-uns s’occupent du sujet».
« Il faut surtout avoir à l’esprit, a-t-il ajouté, que les différents thèmes sont étroitement liés les uns aux autres et [que] pour leur bonne compréhension, leur étude et éventuellement leur résolution, ils doivent être considérés dans leur ensemble dans une égale mesure ».
Il s’agit aussi de remonter à la racine des nombreuses difficultés et blessures de la cellule conjugale et familiale. Pour Mgr Paglia, le principal ennemi qui ruine la famille, c’est l’individualisme, ainsi qu’il l’a expliqué dans un discours très remarqué (« La famille, ressource de la société et Evangile pour le monde ») lors de la dixième assemblée plénière de l’Acérac (Association des conférences épiscopales de la région de l’Afrique centrale), qui s’est tenue à Brazzaville à la mi-juillet. Et de donner cet exemple qui nous concerne directement : « En France, on a calculé qu’une personne sur trois a choisi de vivre seule, alors qu’il y a quarante ans la moyenne était d’une sur dix », rapporte-t-il pour illustrer l’individualisme croissant. En quoi celui-ci consiste-t-il ? « Le « je » prévaut sur le « nous », l’individu sur la société (…) les droits de l’individu prévalent sur ceux de la famille. C’est une opinion toujours plus courante que de penser que le triomphe de l’individu ne pourra se faire que sur les cendres fumantes de la famille. Elle est devenue la pierre sur laquelle trébuche l’individualisme et qui doit être au moins évitée, sinon détruite ». Or, a-t-il poursuivi, « Il n’est pas bon que l’homme soit seul » ; « il est impossible à l’homme d’exprimer son « moi » aussi longtemps que n’apparait pas la perspective du « nous ». Dieu lui-même n’est pas solitude, il est une famille de trois personnes qui s’aiment au point d’être une seule et même chose ».
Si le diagnostic vaut les sociétés dans leur ensemble, le Cardinal Gerhard-Ludwing Müller, préfet de la congrégation de la doctrine de la foi, souligne pour sa part que les chrétiens sont trop nombreux à ne plus vivre les grâces de leur mariage. Dans « L’espérance de la famille », un petit livre constitué par une longue interview du cardinal par le P. Carlos Granados , directeur général de la Bibliothèque des auteurs chrétiens BAC, le Préfet de la Congrégation pour la doctrine de la foi explique : « On ne vit pas le mariage chrétien, voilà le problème majeur de la famille! » . La pointe de la réflexion du cardinal préfet est résumée ainsi par le cardinal Sebastián, dans la préface de ce livre/interview : « Le problème principal que nous avons dans l’Eglise concernant la famille ne réside pas tant dans le petit nombre des divorcés remariés désireux de s’approcher de la communion eucharistique. Le grand nombre de baptisés qui se marient civilement et le grand nombre des baptisés et mariés sacramentalement qui ne vivent pas leur mariage ni leur vie matrimoniale en conformité avec la vie chrétienne et les enseignements de l’Eglise, voilà le problème. »
Quant à la solution, elle est esquissée ainsi par le préfet de la Congrégation pour la doctrine de la foi : « Selon moi, explique le cardinal Müller, l’objectif principal du prochain Synode devrait être de favoriser la ‘récupération’ de l’idée sacramentelle du mariage et de la famille, en insufflant aux jeunes qui sont disposés à entamer un chemin conjugal, ou à ceux qui sont déjà dedans, le courage dont ils ont besoin. Au fond, il s’agit de leur dire qu’ils ne sont pas seuls sur ce chemin, que l’Eglise, toujours mère, les accompagne et les accompagnera. »
Le 1er juin 1980, au Bourget, le pape Jean Paul II avait interpellé notre pays : « France, fille aînée de l’Eglise, es-tu fidèle aux promesses de ton baptême ? » Aujourd’hui, cette même question de la fidélité est posée aux chrétiens, « lumière du monde et sel de la terre », tout particulièrement à ceux qui sont liés par le sacrement de mariage : question de foi, de vérité, de charité, de courage aussi. Aux pères synodaux de trouver les mots et d’ouvrir de nouvelles voies d’un accompagnement maternel de l’Eglise pour ranimer la flamme de l’amour conjugal dans la fidélité à cette alliance humaine et divine sans laquelle le monde s’enfonce dans la nuit.