En cette rentrée 2014, l’embargo russe sur les fruits et légumes français menace d’aggraver le gâchis chronique de cette filière. Un désastre qui rappelle l’urgence de changer nos modes de consommation.
Sur les 50 000 tonnes d’exportations de fruits et légumes français vers la Russie, près de 54% sont des pommes. Pire qu’une catastrophe naturelle pour nos producteurs, ils risquent de devoir laisser pourrir leurs fruits sur l’arbre… L’Europe limitera la casse avec un budget de 125 millions d’euros, afin d’abaisser la pression sur les prix. Un bol d’air aux producteurs qui ne changera rien au problème éthique posé par le gigantesque gâchis qui se profile.
Or, selon un grossiste qui souhaite conserver l’anonymat, le gaspillage alimentaire dans le domaine des fruits et légumes est déjà un crève-cœur. Il a vu partir dans sa carrière des palettes entières au feu et estime que 30 à 45% des plantes cultivées ne parviennent jamais jusqu’aux assiettes des consommateurs. Le problème vient de ce que les prix des fruits et légumes sont extrêmement fragiles : il s’agit de denrées abondantes et périssables. Quand il y a risque de surproduction, les grossistes ou les agriculteurs laissent pourrir sur place, brûlent…
« Personne ne fait ça de gaîté de cœur, nous assure-t-il, mais si les prix descendent, l’activité cesse simplement d’être rentable ; j’ai donc vu des agriculteurs empiler des montagnes de fruits mûrs, prêts à être emballés, les recouvrir d’essence et tout brûler ! Même la solution du compostage n’est pas retenue… »
Pourtant certaines initiatives comme le réemploi de ces surplus pour en faire des conserves hauts de gamme ont été tentées, mais elles échoppent sur la rentabilité. Sur une niche économique comme celle-là, où les volumes à brasser doivent être conséquents, il faudrait des initiatives soutenues par de vastes investissements pour parvenir à dégager des bénéfices…
Notre grossiste affirme pourtant que les professionnels du secteur, y compris dans la grande distribution, se montrent très ouverts à ce type d’initiatives. Ils seraient prêts à pratiquer des prix acceptables. Quant aux agriculteurs eux-mêmes, ils ne demandent pas mieux que de pouvoir cultiver des fruits et légumes plus variés, la clé du problème selon lui, c’est le consommateur lui-même. Nous aimons trop les légumes propres et droits, au moindre signe de bizarrerie nous rejetons, nous aimons le lisse, le brillant… ce comportement sur l’étal détermine toute la chaîne de production !
Pour sortir de cette logique mortifère, qui aboutit à des exploitations gigantesques dévolues à un seul type de fruit calibré sur un cahier des charges rigides, il faudrait accepter de manger des produits plus divers, moins « beaux ». Pour accompagner cette évolution, nous pourrions déjà commencer à nous mettre à la compote, c’est de saison !