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L’Etat islamique expliqué à mes enfants

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La rédaction d'Aleteia - Oasis Center - publié le 29/08/14
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L’islam, la violence, la guerre sainte, le califat… Voici quelques réponses aux questions (hélas) les plus fréquentes du moment…
L’islam, la violence, la guerre sainte et le califat : une conversation à trois voix pour répondre aux questions les plus fréquentes que les événements des derniers mois peuvent susciter. Entretien avec Martino Diez et Michele Brignone, interrogés par Maria Laura Conte. 

Que se passe-t-il en Irak ?
Martino Diez : En Irak, un génocide est en train d’être perpétré, commis par les milices sunnites de l’Etat islamique sur les minorités religieuses et quiconque ne reconnaitrait pas leur version de l’islam. La cause immédiate de ce génocide est la guerre en Syrie, qui a débuté en 2011 pour renverser le régime de Bachar Al-Assad.

Dans les rangs de l’opposition syrienne, ce sont en effet les groupes les plus radicaux qui ont pris le dessus, appuyés par de nombreux combattants étrangers. Mais la guerre a pu se diffuser de la Syrie à l’Irak avec grande facilité parce que ce pays ne s’est jamais réellement stabilisé après le renversement de Saddam Hussein par les Américains. De façon générale, il existe dans la région une rivalité séculière entre sunnites et chiites, deux types d’islam différents qui sont plus ou moins en égalité numérique en Irak. Et c’est là qu’entrent également en jeu les intérêts des pays voisins, en particulier l’Iran chiite et les sunnites wahhabites de l’Arabie Saoudite, qui essayent de tirer profit de cette rivalité à des fins politiques. L’idéologie wahhabite-saoudienne est depuis le XVIIIè siècle un grave facteur de déstabilisation, car il enseigne un islam pur et dur qui se proclame comme étant le seul et unique islam.  

Au début, on l’appelait EIIL dans les médias (Etat Islamique en Irak et au Levant), puis EIIS (Etat Islamique d’Irak et de Syrie) et désormais EI, c’est-à-dire Etat Islamique : qu’est ce que le Califat ?
Michele Brignone : Le califat est une institution classique de l’islam. Le terme de calife (khalîfa) se réfère littéralement à celui qui succède à Mahomet à la tête de la communauté islamique pour “sauvegarder la religion et gérer les affaires terrestres”. Après les premiers califes, appelés les “bien guidés”, le califat a revêtu – d’abord avec la dynastie des Omeyyades (de 661 à 750), puis essentiellement avec celle des Abbassides (750- 1258) – les aspects d’un empire pluriethnique et multiconfessionnel à vocation universelle. A l’époque moderne, après l’abolition du califat ottoman en 1924, le terme de califat est devenu synonyme d’ “Etat Islamique”. 
L’organisation de l’Etat Islamique incarne de la façon la plus radicale le mythe de la construction de l’entité politique fondée sur l’interprétation rigoriste de la Loi Islamique, une entité qui n’a probablement jamais existé dans les termes proposés aujourd’hui. 

Quel rapport existe-t-il entre l’EI et Ben Laden? Quelles sont les principales différences ? 
Michele Brignone : L’Etat Islamique n’a jamais été affilié à Al-Qaida, bien que lors de sa constitution en Irak (en 2006), Al-Qaida en a soutenu les activités. C’est la guerre en Syrie qui a mis fin à leur alliance, au point qu’aujourd’hui, ils sont deux entités concurrentes. L’Etat Islamique tend à l’institution immédiate d’une entité politique dans laquelle s’applique la sharî’a et où sont éliminées toutes les formes d’islam qui divergent de sa vision rigoriste. Les partisans d’Al-Qaida pensent en revanche à une institution plus graduelle du califat. Par ailleurs, tandis qu’Al-Qaida a agi et continue d’agir surtout au niveau international par des opérations terroristes spectaculaires, en Occident notamment (la destruction des Tours Jumelles est la plus frappante de toutes), et par la création de nombreux fronts locaux, l’Etat Islamique tend plutôt à concentrer ses efforts sur l’institution d’un Etat doté d’une propre capacité d’expansion. 

Comment se présente l’EI ?
Michele Brignone : L’Etat Islamique couvre un territoire à cheval entre la Syrie et l’Irak qui compte environ 4 millions d’habitants, et est surement doté de nombreux moyens technologiques et économiques, impossibles investissements externes. Ses capacités propagandistes et médiatiques ainsi que ses moyens militaires sont actuellement supérieurs aux forces du gouvernement irakien et à celles des combattants kurdes (les peshmergas). Pour prendre un exemple, il a à peine conquis une base militaire syrienne grâce à l’utilisation de drones. L’ambition de l’Etat Islamique est sans doute la création d’une entité étatique territoriale stable en mesure de peser politiquement sur la scène moyen-orientale et d’agir sur l’imaginaire des militants jihadistes du monde entier. 

Qui l’a favorablement accueilli, et qui, au contraire, le conteste?
Michele Brignone : L’Etat Islamique est soutenu par une jeune génération de jihadistes de provenances variées. Parmi ses détracteurs, on trouve les idéologues jihadistes de la vieille génération, qui se réfèrent à Al-Qaida, les idéologues musulmans assimilables aux Frères Musulmans (actuellement beaucoup plus concentrés sur la question palestinienne) et les musulmans qui ne se reconnaissent pas dans une interprétation radicale et violente de l’islam. Néanmoins, en dépit des nombreuses oppositions que l’EI rencontre dans le même monde islamique (les prises de distances individuelles ne manquent pas), les autorités religieuses musulmanes ne parviennent pas à se prononcer de manière unitaire. 

Il se réclame de l’islam, mais ses opposants disent qu’il fait un usage instrumental de l’islam, que les jihadistes qui s’unissent à la lutte du Calife ne sont pas de vrais musulmans. Sont-ils ou non de vrais musulmans?
Martino Diez : C’est un fait que ces militants se déclarent musulmans, rien que dans l’adjectif “islamique” utilisé pour définit leur Etat. De nombreux autres musulmans estiment que leur comportement est une trahison de l’authentique foi islamique. Mais les autorités religieuses ne peuvent se limiter à dire “ce ne sont pas de vrais musulmans”: ça ne suffit pas. Ils doivent se dissocier clairement de ces comportements, montrer un contraste et surtout montrer où et pourquoi les miliciens de l’EI se trompent. Beaucoup en Europe se plaignent des difficultés à se repérer parmi les divers interlocuteurs islamiques. Une façon très simple de le faire serait de prendre connaissance de ce qu’ils disent et ne disent pas sur la crise irakienne. 

Les informations médiatiques induisent l’idée que l’EI est fondé sur l’usage systématique de la violence au nom du véritable islam. Mais de nombreux imams et fidèles musulmans en Occident parlent de l’islam comme une religion de paix. Qui a raison ?
Martino Diez : L’islam n’appelle pas à la violence injustifiée, mais n’enseigne pas non plus la non-violence. C’est une prédication militante, dans laquelle le croyant est appelé à un engagement personnel pour accomplir la volonté de Dieu sur terre, avec le risque de se substituer à Lui. Deux questions émergent alors : la première est de savoir si la volonté de Dieu se laisse connaître avec certitude jusqu’aux détails de l’organisation politique d’un Etat. La seconde est sur la méthode : que faire avec ceux qui s’opposent au projet ? Toute la question du jihad peut être assimilée à l’ampleur de l’autorisation du recours à la violence: est-elle admissible uniquement en cas de légitime défense ou également pour des attaques offensives? Il est encourageant de voir que beaucoup de fidèles musulmans en Occident parlent de l’islam comme d’une religion pacifique, mais il convient de reconnaître que la question n’est guère résolue au niveau des sources. Il suffit d’aller sur un site jihadiste pour s’en rendre compte. 

Beaucoup de jihadistes arrivent de l’étranger: comme s’explique ce attrait exercé par l’EI ?
Michele Brignone : Depuis de nombreuses années maintenant, le jihadisme exerce une macabre fascination internationale. Le combattant jihadiste jouit dans certains milieux d’un grand prestige, aussi bien lorsqu’il tombe en “martyr” que dans la version du rescapé du jihad, qui pour certains représente une forme d’initiation à l’islam le plus authentique. En ce moment le prestige de l’EI dépasse celui des autres mouvements jihadistes et semble avoir surpassé aussi celui d’Al-Qaida, qui après la mort de Ben Laden s’est restructuré sur de nombreux fronts locaux mais a perdu beaucoup de vigueur du point de vue médiatique. Naturellement, le jihad recrute plus facilement parmi les personnes qui vivent des situation de désorientation ou de mal-être, pas seulement économique mais également identitaire ou psychologique. Il est toutefois difficile de réduire le militantisme jihadiste à de pures catégories sociologiques. Il reste la zone d’ombre de l’attrait que peut exercer la violence en elle-même aussi sur des sujets les plus inattendus, revêtant dans ce cas la forme de la guerre sainte.  

La violence mise en oeuvre dans le conflit syro-irakien se manifeste-t-il sous de nouvelles formes ?
Martino Diez : Oui, il y a un nouvel élément à prendre en considération: l’assassinat exhibé dans les médias, nous pensons à la vidéo du journaliste américain James Foley. La violence est un virus très contagieux: on la déguise au début d’objectifs politiques (“créer un Etat Islamique”), mais plus il croît, plus il échappe au contrôle de ceux qui la pratique et devient une fin en soi (“tuer pour le goût de tuer”). l’exhibition médiatique accélère cette contagion avec le danger d’une recrudescence ultérieure de la violence. 

Certains considèrent qu’il s’agit d’un conflit religieux et civilisationnel, quand d’autres sont convaincus que la religion n’a rien à voir avec ces faits, qui seraient dus à des questions géostratégiques, économiques et sociales. Où se trouve le vrai là-dedans ?
Martino Diez : Il y a en effet de nombreux motifs politiques et économiques qui expliquent la guerre actuelle en Irak et en Syrie. Mais cela ne doit pas conduire à sous-évaluer la dimension religieuse. D’aucuns disent que les guerres ont toujours des raisons économiques, déguisées en motivations religieuses ou idéologiques. Ce n’est pas vrai. Les motivations religieuses sont une force primaire, autant que les facteurs économiques et stratégiques. Par ailleurs, le fait d’insister uniquement sur les causes socio-politiques peut conduire à sous-évaluer ou à effacer la responsabilité morale de l’individu.

L’EI persécute violemment les chrétiens et les autres communautés religieuses: comment intervenir pour freiner cette violence?
Michele Brignone : Naturellement, plus l’EI gagne du terrain, plus il sera difficile de l’arrêter. D’un côté, il est nécessaire de mener une action politique immédiate qui envisage également l’usage de la force. Plus le front international de protection des victimes de l’EI sera ample et multilatéral, plus il aura de possibilités de succès non seulement d’un point de vue militaire mais également de la légitimité juridique. L’Etat Islamique marque le point le plus élevé de la menace jihadiste, en disposant désormais d’’une base territoriale et d’une dimension politique effective. Mais cela pourrait en même temps causer une crise dans le mouvement, parce que beaucoup de musulmans le contestent aujourd’hui et en subissent directement la violence. Le vaincre serait un signe d’espoir pour les mêmes musulmans, mais cette entreprise a une dimension culturelle et éducative bien plus importante que la dimension stratégique et militaire. 

Quelle leçon enseigne le cas de l’EI à l’Europe et à l’Occident en général ?
Martino Diez : L’histoire de l’Etat Islamique enseigne pour la énième fois aux occidentaux, mais aussi aux quelques puissances moyen-orientales, qu’il n’est pas possible d’utiliser les fondamentalistes islamiques pour obtenir des résultats politiques. Les Américains nous l’ont prouvé en Afghanistan et en Libye et ont été à deux doigts de le refaire en Syrie il y a un an. Les fondamentalistes religieux n’obéissent qu’à des logiques propres: l’alliance avec eux s’avère tout contreproductive au long terme. 

L’on évoque des centaines de milliers de réfugiés moyen-orientaux qui cherchent à échapper à leurs pays et à entrer en Europe: comment gérer ce problème? Est-il réaliste de penser qu’ils puissent un jour retourner chez eux ou n’ont-ils un futur qu’à l’étranger?
Michele Brignone : Si l’on regarde l’histoire de l’émigration du Moyen-Orient, il est difficile de penser à un retour des réfugiés dans leurs territoires d’origine. Pour que cela se produise, il ne suffira pas de rétablir des conditions minimales de sécurité, une entreprise en soi délicate, mais il faudra repenser de façon radicale les institutions politiques et économiques sur lesquelles se sont fondées bon nombre de pays du Moyen-Orient.

Les évêques et patriarches orientaux demandent depuis longtemps de l’aide et des interventions aux pays occidentaux. Comment y répondent-ils? Pourquoi cette hésitation ou cette lenteur?
Michele Brignone : Le chrétien, disait le théologien Balthasar, se distingue aussi parce qu’il est “sans défense”. Les chrétiens sont une composante sociale et culturelle fondamentale du Moyen-Orient, mais ils ne disposent pas d’un poids politique autonome et sont restés les otages de la complexe et impitoyable situation de la région. L’Europe est en outre aux prises avec une crise qui n’est pas seulement économique, et qui semble la rendre incapable d’agir. Les Etats-Unis et Obama ne brillent pas par leurs choix de politique extérieure, bien qu’une certaine hésitation soit compréhensible après les années “exportons la démocratie”.

Les chrétiens d’Orient sont-ils en train de disparaître définitivement ? Ou est-il encore possible d’arrêter l’hémorragie ?
Martino Diez : Nous en sommes au “dernier appel” pour toute la chrétienté irakienne. Les chrétiens sont un facteur de pluralisme au Moyen-Orient. S’ils disparaissent, le Moyen-Orient sera plus pauvre encore. Et la plus grand homogénéité ne réduira pas le conflit parce qu’une fois chassés les non-musulmans et les musulmans “hérétiques” ou tièdes, il y aura toujours quelqu’un de “plus fondamentaliste qu’un autre”. C’est un jeu sans fin, qui risque de plonger l’entière région dans le sang. Le pape François, dans ses interventions publiques, continue d’attirer l’attention sur cette blessure. Déjà aujourd’hui, tous ceux qui le peuvent quittent le Moyen-Orient parce que dans de nombreuses régions, il devient impossible de vivre, même pour les musulmans.  

Les événement du Moyen-Orient sont en train d’influencer notre perception des musulmans qui vivent parmi nous également. Comment se positionner pour les connaître de la façon la plus correcte? Les relations avec un Marocain, un Tunisien, un Bangladais, un Egyptien, sont-elles toutes les mêmes?
Michele Brignone : Les musulmans qui vivent parmi nous se distinguent de beaucoup de façons, notamment pas l’ethnie et l’origine nationale: l’islam vécu au Maroc est par exemple différent de l’asiatique ou du moyen-oriental. Mais beaucoup de musulmans ont désormais perdu le lien avec l’islam du pays ou de la culture d’origine en donnant vie à un “islam global”, selon l’expression du chercheur français Olivier Roy. Il est difficile pour cela d’offrir des recettes pour approcher le phénomène islamique en général. D’un côté, il est toujours plus nécessaire d’accroître une connaissance approfondie de l’islam et de ses multiples formes, qui font désormais partie, qu’on le veuille ou non, de nos sociétés; d’un autre côté, ce qui vaut pour le musulman vaut pour chaque homme: la connaissance ne peut se passer de la rencontre avec une existence concrète. 

Les musulmans qui vivent dans les démocraties occidentales demandent une plus grande reconnaissance de leur présence et de leurs besoins, comme par exemple des lieux de culte adaptés (mosquée, etc.). La réponse à cette présence va de la plus ouverte (“vive le multiculturalisme, nous sommes différents mais au fond tous les mêmes”) à la plus fermée (“ce sont les musulmans qui doivent s’adapter, s’intégrer et assumer nos coutumes”). Quelle est la voie juste pour construite une ville accueillante mais respectueuse de toutes ces composantes? 
Michele Brignone : Il faut se laisser provoquer par leurs requêtes, qui mettent en cause les modalités de gestion de la sphère publique désormais inadaptée et qui nous contraignent à tous nous mettre en jeu pour régénérer notre vie sociale. Mais pour garantir la cohabitation pacifique et constructive entre personnes différentes, il est nécessaire que le fait de vivre ensemble est en soi une bonne chose. 

Article traduit de l’édition italienne d’Aleteia par Solène Tadié.
Pour consulter l’article original de l’Oasis Center, cliquez ici.
 

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