Frère Marie-Dominic, prieur de la communauté des Petits frères de la Croix, au Québec, a été appelé au sacerdoce à l’âge où beaucoup songent à la retraite ou l’ont déjà prise… Son témoignage.
Du blogue de Jacques Gauthier
J’ai donné en octobre 2013 une retraite sur la spiritualité de Thérèse de Lisieux au Monastère des Petits frères de la Croix dans Charlevoix au Québec. Je vous propose l’étonnant parcours d’Euclide Tremblay, devenu frère Marie-Dominic, prieur de cette communauté, ordonné prêtre à 63 ans. Je le remercie de m’autoriser à vous partager des extraits de ce portrait écrit par Sarah-Christine Bourihane et que l’on retrouve intégralement sur le site de la communauté: « Les méandres d’une vocation: Marie-Dominic, prêtre à l’heure de Dieu ». Les voies de Dieu ne sont pas les nôtres, mais « tout est grâce » quand on s’abandonne à sa miséricorde.
Marie-Dominic, prêtre
Marie-Dominic (né Euclide Tremblay) est l’exemple parfait qu’il n’y a pas d’âge pour devenir prêtre.
«Mes plus beaux souvenirs sont l’enfance : tout jeune je rêvais de devenir prêtre et quand j’allais jouer chez mon cousin, on jouait toujours à la messe » se rappelle-t-il en évoquant ses huit ans. «J’ai toujours aimé prier et je pensais toujours à la prêtrise. Le mois de Marie, je faisais un autel à Marie, à Noël, des crèches.»
«À 15 ans, j’étais à l’école secondaire et j’ai lu par hasard un livre, une biographie d’un frère du Sacré-Cœur d’Arthabaska mort à 18 ans comme un saint. Ça m’a beaucoup rejoint. Comme il y avait un juvénat dans ma paroisse, j’y ai passé 3 jours et j’ai beaucoup aimé l’ambiance.»
Il décide alors de se soumettre au test permettant d’entrer dans la communauté enseignante que sont les frères du Sacré-Cœur. Trop de mathématiques pour Marie-Dominic, il échoue. «Mes parents, en m’ayant vu pleurer, sont allés voir le frère recruteur et moi je suis allé à l’église durant ce temps pour que ça marche. J’ai été accepté.» Il passe ainsi du postulat au noviciat pour finir par prendre l’habit avec cinquante autres frères de diverses provinces canadiennes. Une autre époque quoi !
«J’ai fait des vœux d’un an. Comme je ne me lançais pas dans l’enseignement, ils m’ont mis à la cuisine, mais je n’étais plus heureux. Ça commençait à changer car ils avaient, entre autres, enlevé leur habit traditionnel. On dit que lorsque l’on n’est pas heureux, ce n’est pas notre place. À 21 ans, j’ai alors quitté les frères.»
Changement de cap
«Quand j’ai quitté les frères, je me suis dit que le mariage était la voie.» Il finit alors par se marier à l’âge de 26 ans avec une fille qui en a 18. «Moi je me disais qu’on était mariés pour la vie, le sacrement était important pour moi.». Cependant, en raison de son jeune âge, sa femme n’a pas le même sens de l’engagement que lui.
Après une période épineuse, ils se séparent en 1984. «Je savais ce qu’était une vie de famille déchirée, donc j’ai effectivement trouvé la séparation difficile, en particulier pour notre petit Dominic, qui avait à peine sept ans.»
«Tout de suite après ma séparation, le goût de la vie religieuse m’est revenu. Avec ma femme, je ne pratiquais pas, même si je sentais toujours Dieu dans mon cœur. Je me suis mis à lire sainte Thérèse le soir; je lisais ça tout seul, je trouvais ça si beau. Puis un soir où je trouvais la solitude très difficile, je décide d’appeler SOS téléphone que j’avais vu dans le journal. Le monsieur au bout du fil voyait que j’avais la foi et me dit : ˈˈPourquoi tu ne vas pas faire un tour chez les Petits frères de la Croix à Valcartier ?ˈˈ »
L’inattendu arrive
Marie-Dominic n’écoute finalement pas les conseils de son interlocuteur. Il continue son chemin, dans la douleur de la séparation. «À un moment donné, j’inspectais des maisons un peu partout pour les assurances dans le cadre de mon travail. J’ai inspecté une maison juste en face du monastère. Je suis finalement allé voir par curiosité, c’était quoi au juste les Petits frères de la Croix. Quand j’y suis arrivé, c’était la messe.»
«J’ai été séduit par le fondateur qui célébrait sa messe; pour moi il respirait Jésus. Je suis parti de là un peu comme le jeune homme riche. Tout triste, je me suis dit : ˈˈJe ne peux pas entrer dans cette communauté: j’ai un enfant et pour l’Église, je suis encore marié.»
Le temps passe, sans que Marie-Dominic ne se soit bien informé des démarches relatives à la nullité de mariage. Puis arrive un grand malheur : son fils unique Dominic meurt d’un accident de vélo. Il avait neuf ans. On peut aisément imaginer le double choc : en à peine deux ans, il perd sa femme et son fils. Il vit l’épreuve dans l’abandon à Dieu. C’est en s’accrochant à Lui qu’il réussit à vivre son deuil dans une relative tranquillité. Porté par sa foi, Marie-Dominic est convaincu que son fils intercède pour lui, du haut du Ciel.
La vraie vocation
Marie-Dominic commence alors des démarches pour obtenir la nullité de mariage sans laquelle il ne pouvait entrer chez les Petits frères de la Croix, vers qui il se sent de plus en plus attiré. «J’ai passé une fin de semaine au Montmartre à Québec. J’entends alors un prêtre dire que le 9 avril prochain, ce sera le centenaire de l’entrée de la petite Thérèse au Carmel, à l’automne 87, Je désirais beaucoup entrer chez les petits frères le jour du centenaire de la mort de la petite Thérèse, mais je n’avais pas encore eu ma nullité de mariage.»
Il faut savoir que Marie-Dominic a toujours voué une admiration particulière à sainte Thérèse. Sans doute parce que la voie de l’humilité lui est familière. «J’avais toujours aimé sa spiritualité et s’il y en a une qui pouvait m’enseigner la voie de la petitesse, c’est bien elle. Elle m’a appris la confiance, car je suis un peu d’une époque où on disait : "Ne fait pas ça, Dieu va te punir. " J’ai encore à me défaire de cet esprit-là.»
Pour des raisons administratives, obtenir la nullité le 9 avril paraît chose impossible. Je vais alors au monastère et en parle au frère portier. Il me dit que je pourrais entrer comme postulant. J’ai donc pu entrer le 9 avril 1988. Et j’ai reçu ma nullité à l’automne.» Euclide Tremblay est ainsi devenu Marie-Dominic de Sainte-Thérèse. Sainte-Thérèse, en raison de sa dévotion, et Dominic, à cause de son fils.
«La plupart des frères gardent leurs noms de baptême plus un nom religieux, mais autrefois les religieux changeaient de nom pour mourir à leur passé. C’est pourquoi j’ai changé de nom : parce que j’entrais au monastère à 40 ans, je voulais laisser mon passé derrière. Aussi parce qu’avant que j’entre au monastère, j’allais parfois à la messe avec Dominic au Sanctuaire de Sainte-Anne de Beaupré, avant qu’il ne meure. Je demandais au Seigneur qu’il en fasse un prêtre vu que je ne pouvais pas devenir religieux. J’ai donc voulu prendre son nom car c’est comme si ma vocation prenait naissance dans sa mort. »
Une vocation dans la vocation
«Depuis le jour où je suis entré au monastère, je n’ai jamais regretté une journée.» Il devient frère portier durant 18 ans, tâche qu’il affectionne beaucoup puisqu’il aime écouter les gens. Mais il n’a pas le moindre soupçon qu’il pourrait encore recevoir un nouvel appel…le premier pourtant qu’il avait reçu il y a bien longtemps. «Quand je suis entré ici, j’ai dit au Seigneur que je ne voulais pas être prêtre. Je ne m’en trouvais pas digne. Entrer au monastère me suffisait. J’étais déjà comblé. »
«J’avais mis l’idée de côté jusque dans les années 2000. Et là, ça m’est revenu. Je voyais passer des prêtres à l’hôtellerie et je me disais : «Qu’ils sont chanceux, j’aimerais aussi être prêtre.»
«Et là j’en ai parlé à mon directeur spirituel, un jésuite de Montréal et il m’a dit : "Parles-en à ton prieur et laisse ça aller." J’en ai parlé au prieur de l’époque, mais ça n’a pas bougé. J’en ai parlé à celui qui lui a succédé, rien non plus. Je me disais alors que j’avançais en âge, qu’on était rendu seulement huit frères et que je ne pouvais pas faire des études parce qu’à l’époque, pour les faire, il fallait sortir du monastère.»
Puis en 2007, Marie-Dominic se rend à la Fraternité du cœur de Jésus, à Chicoutimi. Le Père Simon, son fondateur, lui dit : «J’ai l’intention de créer un studium pour les deux monastères afin de former des prêtres, mais sur place. Est-ce que ça t’intéresserait?» «Et là j’ai tout de suite senti en moi une porte qui s’ouvrait.» En raison de son expérience comme moine, Marie-Dominic suit une formation accélérée qui le conduit à l’ordination, en 2011. Son rêve d’enfance se réalise ainsi, à 63 ans.
«Je tiens mon âme égale et silencieuse ; mon âme est en moi comme un enfant, comme un petit enfant contre sa mère.» (Ps 130). «De plus en plus, je me sens petit dans mon appel de prêtre. Je vois toutes mes limites, en plein ministère parfois, et je me dis : ˈˈ Seigneur, mais qu’est-ce que je fais ici ?ˈˈ Puis je dois me rappeler que le Seigneur m’a voulu prêtre. Et prieur, c’est pareil. Sauf que prieur c’est pour un certain temps, mais prêtre c’est pour la vie.»
À travers ses doutes, Marie-Dominic réalise néanmoins que le Seigneur lui donne ce qu’il lui faut au jour le jour. Que s’il ne s’en croit pas capable, Dieu lui fournit ce qu’il faut. Il aime à se rappeler combien fut grande la miséricorde du Seigneur dans sa vie.
Être prieur d’une communauté monastique en 2014et être le seul prêtre présent au monastère comporte certainement de nombreux défis. «À l’époque de mes vingt ans, me raconte-t-il, les postulants arrivaient déjà avec une base solide de foi et étaient mieux préparés à vivre l’obéissance.» Aujourd’hui, un prieur doit faire face à des entrées de tous âges où chacun a son histoire, ses blessures et ses exigences.
Puis évidemment, les conditions de la vie communautaire ajoutent souvent à ce lot d’épreuves. «La vie communautaire, c’est très difficile, mais je réalise que c’est très beau et très grand aussi, comme des cailloux dans un sac. C’est à force de se frotter les uns aux autres qu’ils deviennent beaux» constate avec émerveillement Marie-Dominic.
Même s’’il se sent tout petit pour accomplir ce grand ministère, il est vraiment reconnaissant envers la grandeur de la miséricorde de Dieu à son égard. Et s’il n’est peut-être pas le prédicateur charismatique qui soulève les grandes assemblées, il n’en rayonne pas moins par son humilité.
«Je n’ai pas à me vanter, car la seule chose qui vient de moi est d’avoir dit oui. Je ne peux m’enorgueillir de rien. Je vois tout ce que je suis, toutes les limites que j’ai et toutes les fois où Dieu est venu me chercher; j’aurais pu dévier complètement. Le Seigneur est patient et j’en suis un témoin .»