Un avion de ligne abattu, des corps éparpillés dans la nature, l’accès interdit aux premiers enquêteurs : tout cela se passe ici, en Europe, en 2014. Faut-il s’en étonner ?
« Lorsque nous sommes arrivés, nous avons rencontré des hommes armés qui se sont conduits de façon très impolie et nullement professionnelle. Certains semblaient légèrement ivres. » Ces propos du porte-parole de l’OSCE, Michael Bociurkiw lors d’une conférence de presse à Donetsk, vendredi 18 juillet, donnent une idée du climat qui règne chez les séparatistes russes dans cette zone de combats en Ukraine (le site du crash se trouve en zone rebelle, aux alentours du village de Grabove dans la région de Donetsk près de la ville de Chakhtarsk).
« Le président du conseil permanent de l’OSCE, le Suisse Thomas Greminger, a confirmé que les observateurs de l’organisation n’avaient pu établir un corridor de sécurité pour accéder au site, rapporte Le Monde : « Le site n’est pas bouclé. [Nos observateurs] n’ont pas eu les possibilités d’accès qu’ils attendaient. Ils n’ont pas la liberté de mouvement nécessaire pour faire leur travail. ». Après être restée sur place un peu plus d’une heure, l’équipe des observateurs a dû retourner à Donetsk. Une nouvelle tentative devait avoir lieu ce samedi.
Il y a donc des centaines de cadavres d’hommes, de femmes, d’enfants, ou plutôt de morceaux de corps, éparpillés depuis déjà deux jours dans un coin d’Europe, et des hommes en armes ont commencé par ne pas permettre aux premiers enquêteurs d’y accéder, tout en prétendant le contraire. « Un chef séparatiste prorusse exclut un cessez-le-feu réclamé par Washington et les Européens. Néanmoins, « nous laisserons les experts accéder au lieu de la catastrophe », a déclaré Alexandre Borodaï, le Premier ministre de la république autoproclamée de Donetsk » rapporte RFI.
Ils ont en revanche commencé à transporter une quarantaine de dépouilles à la morgue de Donesk en prétendant effectuer eux-mêmes les autopsies…Kiev a donc beau jeu d’accuser les rebelles de « chercher à détruire les preuves de ce crime international », d’autant qu’un chef séparatiste a confirmé samedi à des journalistes de l’AFP présents sur le site, à Grabove, que 27 corps venaient d’être enlevés. (Huffington Post)
Le crash est-il du à une « bavure » ou à un tir délibéré pour incriminer la partie adverse ? « Dans le climat actuel de guerre civile, où la situation sur le terrain reste confuse, un tir délibéré provoquant une onde de choc dans le monde peut avoir été décidé dans le seul but de nuire. « Chaque partie va avoir à cœur d’accuser l’autre pour mieux le discréditer », estime Jean-Claude Allard, spécialiste des questions de défense et de sécurité à l’Iris ». (Les Echos) Toutefois, la seule arme de la région capable d’atteindre un avion à 10 000 mètres d’altitude n’a pas pu échapper aux satellites américains : ce serait un missile russe Bouk de type SA-11. Samantha Power, ambassadrice américaine à l’ONU, a affirmé devant le Conseil de sécurité, que des séparatistes "avaient été repérés" jeudi matin en possession de ce type de système de défense antiaérienne près de l’endroit où l’avion s’est écrasé. (Le Nouvel Observateur).
Et cette fois, contrairement aux accusations proférées jadis par Wahington à l’encontre de l’Irak, il y a bien eu utilisation d’une « arme de destruction massive ».
Le monde entier, et l’Europe au premier chef, se sent visé. Faut-il pour autant établir un rapprochement entre la situation du monde en cet été 2014 et celle de l’été 1914 ? A Sarajevo comme aux abords de Donesk, des exaltés ultra-nationalistes ont ouvert le feu avec l’intention de tuer (même s’il y a eu, il faut l’espérer, erreur de cible s’agissant de l’avion de la Malaysia Airlines). Mais 1914 a ouvert un siècle d’ensauvagement de l’Europe et du monde entier, engendrant la boucherie de 14-18, le communisme, le nazisme, la super-boucherie de 39-45, la banalisation de la tuerie de masse avec des armes de plus en plus terrifiantes, la banalisation de l’inhumanité (resurgie d’ailleurs à Sarajevo voici 20 ans). Il est frappant que cette nouvelle tragédie survienne dans une région qui aura connu le pire du pire des horreurs perpétrées depuis un siècle – sans oublier le génocide des Ukrainiens par la famine organisé par Staline entre les deux guerres mondiales.
Mais gardons-nous de jeter de l’huile sur le feu, recommande Jean-Dominique Merchet sur son blog Secret défense : « Passé l’effet de sidération, il convient d’établir la réalité des faits : si des faisceaux de présomption pointent la responsabilité des séparatistes pro-russes pour le tir d’un missile sol-air et celle du gouvernement de Kiev pour avoir laissé les vols civils s’engager dans une zone de guerre, il faut comprendre exactement ce qui s’est passé et pour l’heure nous ne le savons pas. »