Guy Kastler est l’un des initiateurs du réseau « semence paysanne ». Selon lui, en permettant de « Breveter le vivant », le futur Traité transatlantique pourrait anéantir les petits exploitants agricoles…
28/05/14
Guy Kastler n’en est pas à son premier combat. Paysan dans l’Hérault, il fait partie des pionniers du mouvement bio et participait en 2003 à la création du Réseau semences paysannes. Ce réseau a pour fonction de sauvegarder des races de blés anciennes, avec l’aide de professionnels et d’amateurs éclairés.Aujourd’hui, Guy Kastler est extrêmement inquiet des développements possibles du Traité Transatlantique, qui pourrait sanctuariser les brevets sur les espères agricoles et risquerait, à terme, de compromettre l’activité des petits agriculteurs.
« Breveter le vivant », on connaît la formule. Mais pourriez-nous nous préciser ce qu’elle recouvre ?
Guy Kastler : Soyons imagés, imaginez que je suis un hollandais qui prépare des semences de laitues pour une entreprise. En croisant des espèces, je parviens à ce que mes laitues développent un gène qui les rendent résistantes aux pucerons. Je décide de faire breveter les produits de mon « invention ». Quiconque voudra les reproduire devra me payer des droits. Imaginez maintenant que je sois un autre semencier, et que je commercialise depuis fort longtemps des semences de laitues résistantes aux pucerons sans avoir déposé de brevet. Le premier m’attaque en justice et m’impose des dommages et intérêts ! Je précise que je parle d’un cas réel… Cette judiciarisation de nos métiers profite aux gros, et fait mourir les petits. Pour vous donner une idée de l’ampleur du déséquilibre fondamental de ce système, il faut savoir que dix entreprises dans le monde contrôlent, via des brevets, 70% du marché mondial des semences.
Mais cela concerne les semenciers. En quoi les agriculteurs sont-ils concernés ?
G. K. : Le plus petit agriculteur du fond de la Bolivie peut se retrouver attaqué par la plus grosse industrie agroalimentaire. Je m’explique. Les plantes ne restent pas sagement dans leur champ, elles envoient des pollens ou des graines qui s’hybrident ou repoussent sans demander l’avis de personne. Si mon champ que je cultive reçoit par exemple le fameux gène résistant au Roundup de Monsanto, je ne m’en rends pas forcément compte. Et si je resème ces grains, je risque d’être attaqué en justice, comme pour un piratage informatique !
Mais à l’inverse ne pourrait-on pas considérer que le paysan pourrait se retourner contre l’entreprise qui a « contaminé » son champ ?
G. K. : Pour le faire, il faudrait se rendre compte de la contamination avant de resemer, ça n’a rien d’évident. Un agriculteur n’a pas le matériel et le temps de faire des analyses génétiques de tous les grains qu’il sème. Là encore la taille des entreprises joue contre les « petits ». Il y a eu un cas au Canada, d’un fermier nommé Percy Schmeiser qui après avoir été condamné pour avoir reproduit du colza portant les gènes brevetés de Monsanto a pris le parti de faire arracher les nouveaux plants contaminés apparaissant dans ses champs et d’envoyer la note à Monsanto. Mais ce monsieur a des moyens que n’a pas le paysan bolivien dont je parlais tout à l’heure !
Vous craignez que le Traité Transatlantique aggrave encore les choses ?
G. K. : Pour le moment, très peu de choses transpirent sur la vraie nature de ce traité. Plusieurs signes, dont cette opacité, nous confortent dans notre inquiétude. Le 11 février dernier, François Hollande a déclaré qu’il fallait aller vite, je le cite, pour éviter une accumulation de peurs, de menaces, de crispations. Traduisez, il faut aller vite parce que si le grand public se penche sur ce traité il dira non ! Par ailleurs, dès la proposition de résolution, il a été question de propriété intellectuelle. Donc oui, nous sommes très inquiets !
Pourtant, les élus se montrent attentifs à vos revendications…
G. K. : Oui, mais le plus souvent ils ne comprennent pas tous les enjeux. Récemment, nous sommes parvenus à ce qu’un amendement soit déposé pour qu’en cas de présence fortuite d’un gène breveté, le droit des brevets ne s’applique pas. Le problème c’est qu’en droit des brevets, les traités internationaux sont supérieurs aux lois des états et cet amendement pourrait donc passer à la trappe ! Il faudra donc regarder à la loupe tout ce qui est prévu par ce fameux traité, sinon nous risquons de très mauvaises surprises. La période est propice, il y a beaucoup de députés européens fraîchement élus, écrivez-leur, faites connaître vos préoccupations !