La présence du premier ministre à la cérémonie de canonisation des papes Jean XXIII et Jean Paul II est une bonne chose pour la France. Et utile pour lui, espère-t-il…26/04/2014
C’est un catholique « en rupture » qui se rendra place Saint-Pierre ce dimanche. Manuel Valls est un fils de la bourgeoisie catholique catalane (riche : son grand-père était propriétaire d’une banque) et d’une suisse italienne de famille elle aussi fortunée, et non un émigré réfugié du franquisme comme il aimerait qu’on le croie (cf. à ce sujet le livre et l’interview d’Emmanuel Rattier, « Le vrai visage de Manuel Valls »). Ses grands-parents paternels ont protégé des prêtres et caché des biens d’église pendant la guerre civile, quand la terreur anarcho-communiste faisait rage à Barcelone. Lui-même, selon une confidence de sa sœur, aurait songé à entrer au séminaire (cf. l’interview de Samuel Pruvot dans Aleteia). Son premier mariage fut célébré à l’église et ses enfants ont été baptisés.
Mais son adhésion au Parti socialiste français (avant même sa naturalisation française), son passage par la franc-maçonnerie, son divorce, l’ont mis en rupture avec le catholicisme. Ses positions en faveur de la légalisation de l’euthanasie et de la PMA/GPA pour les couples de même sexe (jusqu’au recul tactique qu’il a annoncé à l’Assemblée nationale au lendemain de la dernière Manif pour tous), et la répression qu’il a menée contre les manifestants anti loi Taubira comme ministre de l’Intérieur, s’inscrivent dans un même sillage : celui d’un adversaire de l’Eglise sur des sujets fondamentaux : mariage, altérité sexuelle, procréation.
Pour autant, l’homme est intelligent et sait qu’il doit compter avec les catholiques qu’il connaît intimement par expérience familiale, et dont il a pu mesurer les forces comme ministre de l’Intérieur (et des cultes). Sa culture est proche de celle d’un Mitterrand que ses racines catholiques démarquaient de nombre de leaders de la gauche française, très ignorants de la réalité religieuse. Mitterrand avait su reculer sur l’Ecole libre. Valls a reculé sur la PMA/GPA. Maire d’Evry, Valls a inauguré sans problème une place Jean-Paul II (comme Bertrand Delanoë -lui aussi de tradition catholique- à Paris). Il est partisan d’une laïcité positive à laquelle il a consacré un livre en 2005 (« La laïcité ouverte », Desclée).
Son voyage à Rome fait tousser sa gauche, mais que pèse encore celle-ci quand la menace d’une dissolution est une épée de Damoclès au-dessus de la tête de chaque député PS après la déroute des municipales ? La présence du premier ministre à la double canonisation s’inscrit « dans une démarche de dialogue et d’apaisement », fait-on savoir à Matignon. « En soi, la présence d’un premier ministre Place Saint-Pierre n’a rien d’extraordinaire », relève Guillaume Tabard dans Le Figaro (26/27 avril) en rappelant les précédents : Jean-Pierre Raffarin représentant la France à l’installation de Benoît XVI, François Fillon à la béatification de Jean Paul II, Jean-Marc Ayrault à l’installation du pape François. Mais, ajoute-t-il : « qu’il ait voulu être présent alors qu’il a une négociation difficile en cours avec sa majorité sur son pacte de stabilité souligne l’importance que le premier ministre accorde à ce déplacement. » Plus que François Hollande (mais lui aura l’intelligence de ne pas utiliser ce mot), il juge « utile» de faire bonne figure au Vatican.
Il est seulement demandé aux Français d’avoir, à leur habitude, la mémoire courte : en mai 2011, Manuel Valls avait qualifié de « particulièrement choquante », la présence de François Fillon, alors Premier ministre, à la béatification de Jean Paul II (cf. Le Point). « Ironie du sort , relève Europe 1, François Fillon devrait être présent dimanche au Vatican, cette fois à titre privé. Il aura donc l’occasion de croiser son successeur ».
Mais Valls n’en a cure : il veut regagner des points dans l’opinion catholique. Entre elle et ses amis (et ennemis) de gauche, il lui faut donc louvoyer en mettant en pratique la maxime d’un cardinal que l’Eglise n’est pas près de béatifier, mais dont raffolait François Mitterrand : « On ne sort de l’ambiguïté qu’à son détriment » (cardinal de Retz).