Facebook, Twitter, Instagram… Les réseaux sociaux permettent de publier des messages de toutes sortes, dont certains peuvent déraper jusqu’à des écarts de langage et des commentaires virulents. Comment utiliser ces médias sociaux avec intelligence et charité, et éviter que nos mots ne dépassent nos pensées ? À chaque événement, vite, un post, un tweet, une réaction à chaud ! Il faut d’urgence donner son opinion, choisir son camp, faire passer « ses idées ». Que ce soit la dernière sortie du président, les propos du pape François ou encore la réaction d’un politique ou d’une star au sujet d’une actualité, chacun fourbit son commentaire en temps réel, s’improvise politologue ou théologien… Insensiblement, l’internaute compulsif se transforme en lobbyiste de ses propres causes. Il s’exprime plus qu’il ne parle à quelqu’un et « se lâche » d’autant plus facilement qu’il n’a pas d’interlocuteur en chair et en os. Il alimente le buzz. Les réseaux sociaux ont décuplé la parole, en l’étendant à tout un chacun.
Comment mieux ajuster nos mots et nos prises de position quand la virtualité des échanges favorise tous les dérapages ?
Toujours se rappeler de la règle des trois tamis
Combien de gaffes et de dérapages, parce qu’on réagit trop vite, sans prendre le temps de réfléchir… Où sont passés nos questions, nos tâtonnements devant la complexité du réel ? Depuis l’époque lointaine où l’on gardait tout pour soi, nous nous sommes tellement désinhibés qu’il n’y a plus de limite : dans la violence, l’insulte, la surexposition de soi qui détruit l’intime et l’identité profonde… « Happés par ce tourbillon compulsif et communicationnel, nous devons réapprendre à nous taire, pour redevenir conscients de ce que nous ressentons avant de le dire, pour redonner du poids et de la bienveillance à notre communication, pour ne pas regretter d’avoir parlé », analysent le psychiatre Jean-Christophe Seznec et le comédien Laurent Carouana dans l’un des nombreux ouvrages qui s’interrogent sur le statut de la parole dans la société numérique. Dans son livre Paroles toxiques, paroles bienfaisantes, le philosophe Michel Lacroix avait également cru bon d’appeler à une éthique du langage, parce que les paroles nous engagent autant que les actes.
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Est-ce que c’est forcément une bonne chose de dire tout ce qui nous passe par la tête ? De penser tout haut ce que les autres pensent tout bas ? Avant de parler, le philosophe Socrate avait établi la règle des trois tamis. Est-ce que c’est vrai (a-t-on simplement pris soin de vérifier telle information, l’origine de telle photo, de telle rumeur) ? Est-ce que c’est bien (ou alors, s’agit-il d’une information qui va blesser, faire du mal à quelqu’un) ? Est-ce que c’est utile (cela a-t-il une chance d’améliorer les choses, de faire avancer la question) ? Voilà une très bonne passoire, qui permet d’économiser beaucoup d’eau à notre moulin à paroles.
Parler avec compassion et non avec passion
N’a-t-on pas le devoir de parler « à temps et à contretemps » – c’est-à-dire en toute occasion, qu’elle soit favorable ou non – pour témoigner du Christ ou quand notre prochain s’égare, se demandent notamment les chrétiens ? « La question n’est pas de savoir s’il faut parler ou non », répond père Jean-Marie Gueullette. « Ce qui importe, c’est la manière dont celui qui parle se situe par rapport à celui à qui il s’adresse. Ce qui rend une parole chrétienne audible, c’est quand elle n’est pas dite d’en haut, de façon surplombante, remplie de mépris envers un monde qui serait pourri… » Il cite François de Sales – qui n’est pas pour rien le saint patron des journalistes – donnant la marche à suivre face au pécheur ou au contradicteur : « Mieux vaut avoir compassion de lui que passion contre lui. » « Nous sommes avec les pécheurs devant la parole de Dieu et pas avec la parole de Dieu contre les pécheurs », rappelle père Jean-Marie Gueullette.
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À nous de travailler sur notre manière de parler. « C’est une question capitale dans le domaine de l’éducation et de l’évangélisation où les “Tu dois”, “C’est interdit” et autres “Il faut” sont à éviter, car ils font disparaître le sujet derrière une norme abstraite. Donner un conseil, ce n’est pas dire à l’autre ce qu’il doit faire, mais éclairer sa conscience pour qu’il trouve peu à peu ses propres réponses, en intériorisant la loi. Le propos évangélique n’est pas théorique. C’est un récit qui nous donne à connaître quelqu’un : le Christ. »
L’art de savoir se taire
Pour parler à bon escient, nous avons parfois le réflexe de nous demander : « Que dirait Jésus à ma place ? » Pour père Jean-Marie Gueullette, c’est un contresens : « Nous ne pouvons pas parler comme Jésus l’aurait fait. Et personne, pas même Dieu, ne peut parler à notre place. Le croyant a parfois l’impression que moins il est présent dans ses actes, plus il est pieux. Rien de plus faux. C’est notre conscience qui décide, ici et maintenant, dans le contexte qui est le nôtre. Nous sommes personnellement responsables de nos actes et de nos paroles, même si dans la période d’angoisse qui est la nôtre, il y a un regain d’appétit pour les autorités extérieures qui nous épargneraient cette tâche. Selon saint Thomas d’Aquin, c’est en tant qu’il possède le libre arbitre et la maîtrise de ses initiatives que l’homme est à l’image de Dieu. »
Faute de silence pour cultiver sa vie intérieure, on se retrouve sans crier gare dans la posture du militant, qui s’aligne par principe sur toutes les positions de son clan sans plus réfléchir par lui-même. Ou bien dans celle du fondamentaliste, qui prend tous les textes religieux au pied de la lettre sans se poser de questions. Savoir se taire, pour mieux parler en conscience…
Clotilde Hamon