Si l'Assomption de la Vierge Marie n’a été déclarée dogme de la foi catholique que très récemment, le 1er novembre 1950 par le pape Pie XII, cette fête a toujours eu une grande importance dans la tradition chrétienne, aussi bien en Orient qu’en Occident. Et depuis des siècles, elle est célébrée le 15 août. En France, bien sûr, mais à Malte aussi. Le Nouveau Testament raconte pourtant peu de chose de la fin de la vie terrestre de la Vierge Marie. La tradition catholique et des exégètes voient néanmoins dans le chapitre 12 du livre de l’Apocalypse (Ap 12, 13-14) une probable référence à son Assomption : "Et quand le Dragon vit qu’il était jeté sur la terre, il se mit à poursuivre la Femme qui avait mis au monde l’enfant mâle. Alors furent données à la Femme les deux ailes du grand aigle pour qu’elle s’envole au désert, à la place où elle doit être nourrie pour un temps, deux temps et la moitié d’un temps, loin de la présence du Serpent."
Par ailleurs, plusieurs sources apocryphes, comme le Transitus Mariae, proposent un récit de la mort de la Vierge et de son enterrement à Jérusalem. Ces écrits ne sont pas reconnus comme faisant partie du canon biblique. Mais le plus ancien d’entre eux, qui a probablement été rédigé au IIe siècle par Leucius Karinus, un disciple de Jean, s’inspirerait d’un document de l’époque apostolique écrit par l’évangéliste lui-même, “peut-être pour un usage liturgique” selon le bibliste Lino Cignelli. Transitus Mariae présente un autre aspect fascinant : les trois chambres funéraires décrites dans sa version syriaque coïncident avec les données issues des fouilles et découvertes archéologiques. Et certains termes théologiques utilisés confirment une écriture probable au IIe voire au IIIe siècle. Alors, s’il n’a rien de révélé, on peut, de bonne foi, accorder du crédit à Transitus Mariae.
Autre texte intéressant concernant l’Assomption de la Vierge, ce que saint Épiphane de Salamine écrit en 377 dans le Panarion, sorte de catalogues et de “boîte à remèdes” des hérésies : "Comment la Vierge Marie ne posséderait-elle pas le royaume des cieux avec sa chair, puisqu’elle n’a jamais été impure, ni dissolue, ni n’a jamais commis d’adultère, et puisqu’elle n’a jamais rien fait de mal en ce qui concerne les actions charnelles, mais est restée sans tache ?" (Panarion 42,12).
Dans le même manuscrit (Panarion 78, 23), l’auteur émet plusieurs hypothèses concernant la fin de la vie de la Vierge Marie, sans pour autant trancher parmi ces options. Jusqu’à conclure avec une ambiguïté délibérée : "Je ne dis pas qu’elle est restée immortelle, mais je n’affirme pas non plus qu’elle est morte." Plus loin, Épiphane relève que la Vierge Marie "peut avoir été mise à mort – comme dit l'Écriture : Ton âme sera traversée d’un glaive (Lc 2,35)" mais qu’en réalité "Dieu est capable de faire ce qu'il veut. Personne ne connaît sa fin." Épiphane compare également la Vierge Marie au prophète Élie, dont le corps fut élevé au ciel.
De tels propos montrent que les traditions de la Dormition et de l'Assomption de la Vierge Marie circulaient dès le IVe siècle. Ce qui est certain, c’est qu’au VIe siècle, la fête de l’Assomption était déjà célébrée en Palestine et en Syrie, et que l’empereur byzantin Maurice (582-602) a étendu sa célébration à tout son empire. En Occident, la fête de l’Assomption est attestée dès le Ve siècle, et le pape Serge Ier (687-701) la compte parmi les principales fêtes célébrées à Rome. Et selon de récentes études, elle était également déjà célébrée à Jérusalem depuis le IIe-IIIe siècle.
Dans l’une de ses homélies sur la Dormition, Jean Damascène (vers 750) explique que la mort de la Vierge Marie est le prélude de sa glorification imminente :
Bien que votre âme très sainte et bienheureuse ait été séparée de votre corps immaculé, selon le cours ordinaire de la nature, et bien qu'il ait été déposé dans un lieu de sépulture approprié, il n'a cependant pas été soumis à la domination de la mort ni corrompu. En effet, tout comme sa virginité est restée intacte au moment de l’accouchement, de même son corps, après sa mort, a été préservé de la corruption et transporté dans une demeure supérieure et divine. Là, il n’est plus sujet à la mort, mais demeure éternellement pour tous les siècles.
L'Assomption de la Vierge Marie à Malte
Comme en France, l'Assomption compte parmi les fêtes religieuses les plus populaires de l’archipel de Malte. Cette dévotion mariale, que les Maltais nomment Santa Marija Assunta, ou Santa Marija, est profondément enracinée dans la tradition religieuse locale, comme en témoigne le nombre d’églises et d’autels qui lui sont consacrés. Au XVIIe siècle, toutes les paroisses de tous les villages importants de l’île possédaient au moins une église ou un autel dédié à l’Assomption. Et en 1800, Malte comptait la bagatelle de 92 églises et 22 autels dédiés à l’Assomption. On pouvait même trouver dans une même église plusieurs autels consacrés à l’Assomption, voire plusieurs chapelles de dédicace identique au sein d’une même ville.
Par exemple, l'ancienne église de Birkirkara, à l’ouest de La Valette, comptait à elle seule cinq autels dédiés à l'Assomption. Deux à Birmiftuħ, quatre à Żebbuġ et deux à Żurrieq. Près de Siġġiewi, douze chapelles ont été dédiées à l'Assomption, tandis qu’on en trouvait dix à Birkirkara et dix autres à Qormi, cinq à Naxxar, Żurrieq et Lija, quatre à Żebbuġ et Żejtun, et trois à Attard, Rabat et Vittoriosa. Plusieurs de ces sanctuaires ont subi les affres du temps, négligées ou profanées. D’autres ont vu leur dédicace modifiée. Parmi elles, la chapelle de Santa Marija Assunta, située sur Filfla, un minuscule îlot à environ 4,5 kilomètres au sud de Malte. Malgré ces changements et ces transitions, la dévotion à l’Assomption perdure partout dans l’archipel, ce qui en fait sans doute son plus beau point commun avec la France. Notre-Dame de l’Assomption est toujours la patronne de Malte.
Il existe encore aujourd’hui neuf paroisses dont la fête principale est Santa Marija Assunta, le 15 août ou à une date proche : Attard, Mosta, Għaxaq, Gudja, Mqabba, Qrendi, Birkirkara, Dingli, Mġarr et deux paroisses de Gozo (Rabat et à Żebbuġ). Pour l'Église, c'est un jour d'obligation ; le nombre très important de paroisses et de chapelles qui participent aux célébrations en fait d’ailleurs une de ses plus grandes fêtes religieuses. À Malte, bien qu’elle soit principalement associée à sept paroisses qui la célèbrent à la date fixée, plusieurs autres églises organisent des célébrations et des processions solennelles avec la statue de la Vierge Marie, comme l'église Tas-Samra de Ħamrun et l'église Notre-Dame des Miracles de Lija.
L'Assomption de la Vierge Marie à Gozo
Le sanctuaire marial national de l’île de Gozo, appelé le sanctuaire Madonna Ta’ Pinu, est lui aussi dédié à l’Assomption de la Vierge Marie, comme l’est la cathédrale de l’île, située à Victoria. Selon une tradition rapportée par l'historien gozitan De Soldanis au XVIIIe siècle, les habitants de Gozo ont, peu de temps après le naufrage de saint Paul à Malte en l’an 60, consacré le principal temple païen romain, alors dédié à Junon, à la Mater Dei, c’est-à-dire à la Mère de Dieu. Il se trouvait à l’emplacement de l’actuelle cathédrale.
Il est probable que ce sanctuaire faisait déjà mémoire de la Dormition de la Vierge. C'est une pieuse tradition, mais en fait ce temple est en partie attesté par des vestiges archéologiques datant du début de la période impériale, découverts en abondance lors de la construction de l'église actuelle entre 1697 et 1711. Les vestiges de ce temple primitif sont encore fondus dans la structure de l'église cathédrale actuelle ! Un bref aperçu de la répartition des églises de l'Assomption indique de manière évidente une pénétration généralisée de la dévotion mariale dans la tradition religieuse maltaise. Il ne serait donc pas surprenant que les premiers chrétiens de Gozo aient dédié le temple de Junon à la Dormition de Marie.
Un autre fait intéressant concerne l’un des plus anciens lieux de culte chrétien de Malte et de Gozo : la chapelle dédiée à l'Immaculée Conception à Qala. Ce sanctuaire, qui remonte à l'époque de la domination du général byzantin Bélisaire (500-565) était initialement dédiée à l'Assomption. Il est également probable que ce sanctuaire existait déjà durant l'ère arabe à Malte (870 à 1091), lorsqu’ils conquirent la Sicile et Malte. Des chercheurs pensent que l’édifice chrétien d’origine a été construit sur les ruines d’un temple païen. Le 21 novembre 1615, l’évêque maltais Baldassare Caligares a changé le titre de Notre-Dame de l'Assomption en celui de l'Immaculée Conception, pour tenir une promesse faite à la Vierge Marie : il avait en effet fait le vœu de répandre la dévotion à l’Immaculée Conception s’il devenait évêque.
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