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La diabolisation, degré zéro de la réflexion politique

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Session de questions au gouvernement à l'Assemblée Nationale de Paris, le 17 janvier 2023.

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Xavier Patier - publié le 17/07/24
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Gouverner sans majorité absolue, c’est possible, et l’histoire l’a montré, rappelle l’écrivain Xavier Patier. Si ce chemin de responsabilité paraît impossible aujourd’hui, c’est en raison d’une morale nouvelle en train de tuer la démocratie : la diabolisation. Comment s’en sortir ?

L’hystérie provoquée par la dissolution de l’Assemblée nationale tarde à retomber. Comme annoncé, la situation de la nouvelle chambre basse est comparable à ce qu’elle était à la veille des élections législatives, en pire : absence de majorité absolue aggravée par la dévaluation de l’autorité présidentielle. Cette absence de majorité absolue n’est pas un drame sans remède. 

La voie du parlementarisme rationalisé

Les institutions de la Ve République ont été précisément inventées pour permettre à un gouvernement d’avancer sans le soutien d’une majorité absolue au Palais-Bourbon. Michel Debré, garde des Sceaux, l’avait très explicitement indiqué dans sa présentation du projet de Constitution devant le Conseil d’État en août 1958 : "Parce qu’en France, la stabilité gouvernementale ne peut résulter d’abord de la loi électorale, il faut qu’elle résulte au moins en partie de la réglementation constitutionnelle." C’est ce qu’on a désigné du nom de "parlementarisme rationalisé" : une série de "réglementations constitutionnelles", le vote de confiance facultatif, l’adoption de la loi sans vote, le référendum, le droit de dissolution, l’extension du domaine du règlement autonome, les ordonnances, les outils d’arbitrage aux mains du président de la République. Cet arsenal devait permettre à un gouvernement de travailler dans la durée sans majorité parlementaire tout en respectant les principes démocratiques. 

L’homme providentiel n’existe pas, ou si rarement. Les circonstances le suscitent parfois, mais il est sage de ne pas l’attendre pour agir.

Michel Debré n’a pas tardé à prouver l’exercice : devenu Premier ministre en janvier 1959, il ne disposait que du soutien du groupe UNR, 198 députés. Il a cependant gouverné pendant trois ans et fait aboutir des réformes puissantes dans le domaine de la santé (création des CHU), de l’éducation (contrat d’association avec les établissements privés), de l’économie (plan Rueff-Pinay), du financement de la dissuasion nucléaire, ou encore du patrimoine (loi Malraux), réformes qui ont été à l’origine d’une période de prospérité sans précédent. Il ne s’agissait pas pour le gouvernement Debré d’obtenir une majorité de coalition qu’il savait impossible, mais d’éviter une majorité de censure qu’il savait improbable. Nous sommes exactement dans cette situation aujourd’hui : majorité de coalition impossible, majorité de censure improbable. Il existe donc un chemin. 

Le domaine du diable

D’où vient alors que ce chemin de responsabilité semble à présent hors de portée ? Sans doute le général De Gaulle n’est-il plus à l’Élysée ni Michel Debré à Matignon, mais les explications fondées sur les personnes ne sont jamais satisfaisantes en politique. L’homme providentiel n’existe pas, ou si rarement. Les circonstances le suscitent parfois, mais il est sage de ne pas l’attendre pour agir. Notre véritable drame tient, en réalité, au changement du climat mental politique en Occident. Une morale nouvelle est en train de tuer la démocratie. Qu’observons- nous ? Depuis cinquante ans, le domaine du diable n’a cessé de gagner du terrain. Les mots interdits, les idées censurées, les solutions moralement discréditées d’avance ont gagné la partie. Désormais tout est diabolisé : la droite, la gauche, le Rassemblement national, la France insoumise, Marine Le Pen, Jean-Luc Mélenchon, CNews, France Inter, l’article 49-3 de notre Constitution, les ordonnances, et même, dernière conquête du Malin, le suffrage majoritaire à deux tours. Tout est nauséabond, tout est insupportable, tout est mauvais, y compris pour finir, le peuple lui-même. 

On nous explique que le parlementarisme rationalisé est immoral. Un démon caché — et même caché parfois sous la mitre d’un évêque — nous souffle qu’il ne faut plus rien faire, plus rien dire, plus rien oser. Hors les bons sentiments à trois sous, point de salut ! Nous craignons le bruit d’un chaos alors que ce qui se prépare est le silence de la mort. Un mort ne vote pas aux extrêmes, certes. Il n’émet pas de CO2. Il ne tient pas de propos immoraux. Notre civilisation veut-elle mourir guérie ? 

Réfléchir en liberté

Le chemin d’une solution politique qui permettra à la France d’être gouvernée sans trahir les électeurs existe. Mais il suppose de réfléchir en liberté, sans cet insupportable surmoi qui, par l’astuce de la diabolisation, met hors-jeu des millions de citoyens et bon nombre d’idées neuves. Emmanuel Macron sera-t-il l’homme de la situation ? Qui le sait ? 

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