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Après les législatives, que faire ?

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Paul Airiau - publié le 06/07/24
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La fin de l’influence électorale des catholiques signe-t-elle la fin de leur responsabilité politique ? L’éclairage de l’historien Paul Airiau permet de comprendre la place du catholicisme dans ce qui a fait la nation française, et pourquoi le renoncement des catholiques serait dommageable à son unité et sa fécondité.

C’était en 1830, au séminaire de Saint-Sulpice, après la révolution de Juillet. On y suivait (un peu) les événements extérieurs, et certains jeunes prêtres parcouraient avec quelque effroi les discours du député François Mauguin à la Chambre. Celui-ci avait participé à la chute de Charles Ⅹ et représentait une forme de gauche fort hostile à ce qui restait de la Restauration, et fort favorable à l’appui aux révolutions nationales belges et polonaises. Un jour, un jeune sulpicien lut au supérieur de la Compagnie, M. Duclaux, un morceau d’un discours de Mauguin. Et M. Duclaux rétorqua simplement : "On voit bien, mon ami, que ces hommes-là ne font pas oraison."

La fin d’une époque ?

C’est du moins ce que rapporte Ernest Renan dans ses Souvenirs d’enfance et de jeunesse (p. 213 dans l’édition Clamann-Lévy de 1883). L’histoire est assez jolie, mais hélas fausse, puisque Duclaux est mort en 1827. Elle est cependant trop belle pour qu’on ne l’aime pas, d’autant qu’elle est assez représentative d’une classique propension catholique : la vaine agitation du monde n’est rien face à l’éternité de Dieu, la préoccupation pour les affaires d’ici-bas ne doit pas l’emporter sur le seul absolu qui vaille. C’est d’ailleurs cette tendance qui tend à s’imposer quelque peu désormais dans les prises de positions épiscopales sur les enjeux socio-politiques. Quelles qu’importantes que soient les affaires politiques ou sociales, elles ne peuvent faire oublier que le Royaume n’est pas de ce monde, d’autant qu’il est déjà advenu dans la résurrection du Christ quoi qu’il soit toujours à attendre dans sa parousie.

Il y a une forme de désinvestissement qui montre que sont passés les temps durant lesquels les questions terrestres pouvaient représenter un enjeu spirituel fondamental.

Il y a là une forme de désinvestissement socio-politique qui montre que sont d’une certaine manière passés les temps durant lesquels les questions terrestres pouvaient représenter un enjeu spirituel fondamental. Comme si s’achevait le cycle ouvert avec la certitude de Charles Péguy que "le temporel garde constamment, et commande constamment le spirituel. Le spirituel est constamment couché dans le lit de camp du temporel" (L’Argent, suite, p. 101 dans les Cahiers de la Quinzaine, série ⅩⅣ, n°9-11, 1913). Comme si disparaissait ce moment qui fit que, de la fin du ⅩⅨe siècle jusqu’à la fin du ⅩⅩe siècle, les catholiques jugèrent indispensables de s’investir dans le champ temporel à partir de jugements sur ce qui était et de certitudes sur ce qui devait être. Comme si en particulier se clôturait cette période des années 1944-1975 qui virent une bonne partie des élites formées par l’Action catholique et les autres organisations catholiques investir les responsabilités socio-politiques pour largement contribuer au contrat social de la Libération qui consistait à articuler efficacement démocratie libérale, justice sociale et croissance économique au service de la nation et de chacun de ses membres.

Les militants catholiques se sont évaporés

Mais faut-il s’étonner que ces temps soient clos ? Après tout, n’est-il pas désormais vraiment derrière nous ce temps de l’État-Providence efficace, où le capitalisme piloté par et articulé à l’État était, plus ou moins consentant, mis au service de l’unité nationale, de l’ascension sociale et de l’équilibre collectif par la redistribution des richesses, afin que perdurent et se développement la démocratie, les libertés et la France ? N’est-il pas derrière nous, délité par la mondialisation et la financiarisation volontairement développées, le retrait décidé du contrepoids étatique et la bonne conscience des élites politico-économiques ? Le temps européen de la société des révolutions industrielles est bel et bien achevé, et avec lui les régulations et les organisations humaines qui avaient été construites et mises en place pour en pallier les effets sociaux dévastateurs et en exploiter les potentialités de progrès.

Les militants catholiques se sont évaporés, et les pratiquants également, laminés par les recompositions socio-spatiales des Trente Glorieuses — comme si les acteurs catholiques largement impliqués dans la gestion de la croissance et la transformation sociale avaient sans le savoir ni le vouloir contribué à créer les conditions de leur propre extinction. Leur influence électorale est désormais comparable à celle du presque défunt Parti communiste, et l’on peine désormais à repérer sur les cartes de la répartition des suffrages une correspondance autre que ténue entre zones d’ancrages partisans et zones de forte pratique catholique — un tropisme de centre-droit modéré dans le grand ouest parisien et une partie du Grand Ouest.

Le spirituel dans le lit du temporel

Comment alors croire encore que le spirituel puisse coucher dans le lit du temporel, et comment ne pas penser qu’il ne reste donc qu’à prier ? Certes, d’aucuns peuvent toujours penser que les enjeux temporels demeurent ceux dans lesquels s’incarne le spirituel, et qu’il est des options impossibles et des choix inacceptables. Il est possible d’estimer que certaines décisions ou certaines propositions politiques ne peuvent que créer des conditions dans lesquelles la société tout entière en fait déchoit, et pas seulement quelques-uns ou beaucoup. Il est loisible de juger que certaines circonstances politiques imposent un sursaut spirituel afin que l’on se tienne à la hauteur de ce que l’on a reçu, de ce que l’on espère, de ce que l’on croit.

Reste à savoir si les circonstances présentes sont de celles-ci, ou si rien de tout ceci n’est un obscur mélange et traîné dans la fange d’alliances circonstancielles, d’idéologies bancales et de calculs imprécis. Peut-être d’ailleurs la hauteur à laquelle Péguy pourrait aujourd’hui penser que le temporel peut nous hausser par les nécessités et les choix qu’il nous impose est-elle tout autre — que les clivages politiques et idéologiques qui paraissent déchirer le corps politique ne prennent de sens qu’à l’intérieur d’une communauté de destin hérité, vécue et projetée, celle d’une nation "hier soldat de Dieu, aujourd'hui soldat de l'humanité, […] toujours soldat de l'idéal" si l’on veut citer Georges Clemenceau le 11 novembre 1918.

Celui qui croyait au Ciel et celui qui n’y croyait pas

"Que de choses expliquées par ce fait que probablement M. Clémenceau ne fait pas oraison !", écrivait Renan en conclusion de ce qu’il rapportait sur M. Duclaux. Que de choses peut-être aussi expliquées, dirait un apologète, par le fait que, selon une anecdote, Foch, alors généralissime des armées alliées en 1918, allait à la messe tous les matins et que Clemenceau refusa qu’on allât l’y chercher, car "la messe lui a trop bien réussi jusqu’à présent". Il n’en reste pas moins que, parmi d’autres faits, l’alliance de celui qui croyait au Ciel et de celui qui n’y croyait pas permit que Péguy ne fût pas mort en vain. Que Renan, ancien séminariste ayant perdu la foi et devenu grand savant, pontife spiritualiste et théoricien de la nation en des temps où les clivages politiques étaient autrement carabinés que ceux d’aujourd’hui, permette de le dire, laisse penser que la France a vécu de la tension entre son catholicisme et ses Lumières. À ce titre, l’effacement de ces deux réalités par la vidange des églises et le triomphe de la post-modernité intellectuelle hyper-critico-dogmatique serait sans doute dommageable.

"Je maintiendrai", disait Guillaume d’Orange-Nassau, stadhouder de Hollande, Zélande et Utrecht. C’est une belle devise pour ceux qui pensent qu’il est des choses à ne pas laisser disparaître — ce qui a fait la fécondité et l’unité d’un pays qui est aussi une nation, et qui peine à s’en souvenir.

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