Le monde des moines du IVe siècle n’était pas une société de stricte subsistance. L’argent y circulait, car la production des objets manufacturés (notamment de vannerie et de tissage) auxquels ils se livraient, une fois qu’ils avaient cultivé leur petit bout de terrain, produisait un revenu qu’ils utilisaient pour les soins médicaux et les dons aux pauvres. Cette économie mis un jour à l’épreuve l’abba Jean de Perse, que sa grande charité avait fait parvenir à une très profonde innocence. Il demeurait en Arabie d’Égypte.
Une pièce jetée par terre
Un jour, abba Jean emprunta à un frère une pièce d’or et acheta du lin pour travailler. Un Père du Désert qui le connaissait raconte :
« Un frère vint lui demander : “Abba, donne-moi un peu de lin afin que je me fasse un lébiton [une tunique sans manche, Ndlr].” Il lui donna avec joie. Semblablement, un autre vint aussi lui demander : “Donne-moi un peu de lin, afin que je me fasse de la toile.” Et il le lui donna de même. À d’autres qui vinrent encore lui en demander, il donna simplement avec joie. Plus tard, le propriétaire de la pièce de monnaie vint la réclamer. Le vieillard lui dit : “Je m’en vais et je te l’apporte.” Et n’ayant pas pu la lui rendre, il partit chez abba Jacques, celui de la diaconie, pour lui demander de lui donner une pièce, afin de la rendre au frère.
En chemin, il trouva une pièce jetée par terre, mais ne la toucha pas. Il fit une prière et retourna à sa cellule. Mais le frère vint à nouveau le tourmenter à cause de la pièce. Et le vieillard lui dit : « Je m’en soucie beaucoup. » Et il partit à nouveau, trouva la pièce par terre, là où elle était, et faisant à nouveau une prière, il retourna à sa cellule. Mais voici que le frère revint le tourmenter semblablement. Le vieillard lui dit : « Cette fois, je te la rapporte certainement. » Et se levant à nouveau, il se rendit en ce lieu et y trouva la pièce par terre. Après avoir fait une prière, il vint dire à abba Jacques : « Abba, en venant chez toi, j’ai trouvé cette pièce sur le chemin. Fais-moi donc la charité de le faire savoir dans le voisinage, pour le cas où quelqu’un l’aurait perdue ; et si on trouve son propriétaire, donne-la-lui. » Le vieillard partit donc, et fit sa proclamation pendant trois jours ; mais on ne trouva personne qui eût perdu une pièce de monnaie. Alors le vieillard dit à abba Jacques : « Si donc personne ne l’a perdue, donne-la à ce frère, car je la lui dois. Parti pour recevoir de toi l’aumône et lui rendre son dû, je l’ai trouvée. Et le vieillard s’étonna de ce que, ayant une dette et trouvant cette pièce, il ne l’eût pas aussitôt ramassée pour la lui donner. »
« Prends ce dont tu as besoin »
La Providence veillait sûrement, qui lui fit trouver cette pièce d’or. Mais c’est quand il est bien sûr de ne spolier personne, qu’abba Jean de Perse la donne à celui qui attend son remboursement. Il n’a pas devancé l’éclaircissement, en se disant que c’était trop beau et qu’il fallait profiter d’une telle aubaine. Il a été jusqu’au bout qu’il était possible pour vérifier la disponibilité de la pièce, prêt à subir les conséquences de sa générosité, si une réclamation arrivait.
Et le Père qui raconte l’histoire confie qu’abba Jean demeurait toujours dans la dépossession de ses biens : « Et ceci également était admirable chez lui, que si quelqu’un venait pour lui emprunter quelque chose, il ne le donnait pas de lui-même, mais disait au frère : « Va, prends toi-même ce dont tu as besoin », et quand on le lui rapportait, il disait : « Remets-le à sa place. » Et si l’emprunteur ne rapportait pas l’objet, il ne lui disait rien. » Quelle leçon !