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L’adoration eucharistique à l’école du Carmel

Ostensoir de la basilique du Sacré-Coeur de Montmartre.

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Yves-Marie Ménage - publié le 26/06/24
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Comment faire de l’adoration un temps de prière où se noue une véritable relation spirituelle ? Auteur d’un "Manuel d’adoration eucharistique à l’école du Carmel", le Fr. Yves-Marie du Très Saint Sacrement donne quatre clés tirées de la tradition du Carmel en vue de renouveler nos temps d’adoration.

L’adoration eucharistique connaît aujourd’hui un regain exceptionnel dont il faut se réjouir, et qui est prometteur du renouveau de la foi perceptible en Occident. Cette pratique sera d’autant plus fructueuse qu’elle sera fondée sur une foi ferme et accompagnée par l’expérience des saints. Il n’y a pas de mode d’emploi ou de protocole précis pour "réussir" un temps d’adoration, mais il y a quelques principes à respecter pour que ce temps soit vraiment un temps de prière et non un moment où l’on est bien avec soi-même ou avec d’autres. C’est pourquoi, dans une certaine mesure, ce que la tradition du Carmel dit de l’oraison peut aussi s’appliquer à l’adoration eucharistique. 

1Adoration eucharistique et oraison

S’il fallait distinguer les deux exercices spirituels de l’oraison et de l’adoration, nous pourrions dire que la première consiste à chercher Dieu présent au fond de notre âme, en vertu de la foi en l’inhabitation trinitaire, et que la seconde nous porte à chercher Dieu présent dans le Saint Sacrement exposé, en vertu de la foi en la transsubstantiation. Notre Seigneur Jésus Christ lui-même nous enseigne ces vérités : la Trinité a établi sa demeure en nous par le baptême (Jn 14,23) ; le pain et le vin sont convertis dans le Corps et le Sang du Christ dans l’eucharistie (Mt 26,26-28). Les deux mouvements de l’âme correspondants à ces réalités sont différents et complémentaires. Le premier peut être plus austère, le second, plus sensible. D’un côté nous prions dans le secret de notre chambre, de l’autre, nous participons au culte public de l’Église. Finalement ces deux pratiques s’enrichissent l’une l’autre, car elles sont une même quête de Dieu.

P. Hermann Cohen

2Un acte de foi

Maître d’oraison, sainte Thérèse de Jésus enseignait aux carmélites du monastère Saint-Joseph d’Avila : "Je vous demande simplement de le regarder" (Chemin de perfection, ch. 26 selon la traduction du père Grégoire de Saint-Joseph revue et corrigée, Éd. du Carmel, 2024). Cette consigne donnée pour une oraison de simple regard vaut pour l’adoration. Apparemment banale, elle suppose certaines dispositions fondamentales : savoir qui je suis et à qui je m’adresse avec tout ce qu’implique cette relation d’amitié qui se noue dans cette rencontre de Celui dont nous savons qu’il nous attend et nous aime. Retenons dès lors quatre éléments tirés de la tradition du Carmel en vue de renouveler nos temps d’adoration.

Tout d’abord, nous posons un acte de foi en regardant avec persévérance le Saint Sacrement exposé dans l’ostensoir. Sous le voile de l’hostie se cache Jésus-Christ réellement présent en son corps, son sang, son âme et sa divinité, et avec lui c’est toute la Sainte Trinité qui s’offre à notre adoration. À nous qui voulons voir Dieu, est déjà donné de vivre sacramentellement, par un acte de foi, ce que vivent les saints au ciel, dans le face-à-face de la vision béatifique. Un temps d’adoration eucharistique sera donc ponctué de cette affirmation que Jésus est présent, "quoique ce soit de nuit" comme le dit saint Jean de la Croix dans son poème eucharistique La source.

Dans un chapitre remarquable du Chemin de perfection, sainte Thérèse d’Avila insiste sur la proximité de Jésus-Christ à notre égard :

"Si vous êtes désolées de ne pas le voir avec les yeux du corps, considérez que cela ne nous convient pas. En effet, c’est autre chose de le voir en gloire que de le voir tel qu’il était en ce monde. La faiblesse de notre nature ne nous permet pas de le contempler dans sa gloire ; ce monde ne pourrait soutenir une telle présence et personne ne voudrait y vivre : la vue de la Vérité éternelle nous ferait découvrir que nos entreprises terrestres ne sont que mensonge et tromperie. À la vue d’une Majesté telle que la sienne, comment la pauvre pécheresse que je suis, qui l’a tant offensé, oserait-elle l’approcher de si près ? Sous l’apparence du pain il est accessible. Quand un roi se déguise, nous n’avons plus à nous mettre en peine pour lui parler…" (ch. 34, 9).

3Vers une communion continuelle

Dans ce même chapitre, elle nous apprend aussi et nous encourage à prolonger la communion eucharistique dans l’action de grâce jusqu’à vivre dans une communion continuelle avec le Seigneur :

"Lorsque vous venez de communier, vous êtes en présence de la personne elle-même : efforcez-vous alors de fermer les yeux du corps et d’ouvrir ceux de l’âme, regardez en votre cœur. Je vous le dis, je vous le répète et je voudrais vous le redire mille fois : si vous prenez cette habitude chaque fois que vous communiez… il n’est pas si déguisé qu’il ne puisse se manifester à vous… Et si votre désir est suffisamment fort, il se laissera découvrir tout entier" (ch. 34, 12).

"Je vis dans l’action de grâce, m’unissant à la louange éternelle qui se chante en le Ciel des saints"

Pour bien adorer, il faut d’abord communier avec ferveur. L’adoration eucharistique poursuit et prépare la communion sacramentelle et dépose en nous un esprit de reconnaissance permanent envers Dieu pour tous ses bienfaits. Regarder et aimer le Seigneur, aspirer à la communion seront les actes que nous poserons et qui feront de ce temps d’adoration eucharistique un acte de charité prolongé qui débordera dans nos journées. Pensons à cette sainte carmélite que fut Élisabeth de la Trinité qui confia l’état de son âme un an avant sa mort : "Je vis dans l’action de grâce, m’unissant à la louange éternelle qui se chante en le Ciel des saints" (lettre 225 de mars 1905).

P. Hermann Cohen

4Se laisser transformer

Peu à peu, dans l’adoration, nous sommes transformés par la grâce comme si les rayons de l’ostensoir nous irradiaient. C’est ce dont témoignent les priants fidèles à l’oraison quotidienne, sur qui la grâce coule tel le filet d’eau qui finit par creuser le granit le plus dur. Se livrer à l’adoration eucharistique comme Jésus s’est livré à nous, c’est prendre le risque de ce changement que nous appelons conversion. Pour ce faire, plaçons-nous sans crainte sous le regard du Bien Aimé dont saint Jean de la Croix dit dans le Cantique spirituel que ses yeux impriment en nous sa grâce (strophe 23).

5Dans la communion des saints

Enfin l’adoration eucharistique est un acte liturgique et public qui nous rappelle, sans doute davantage que l’oraison, combien la prière d’un chrétien enrichit la communion des saints. Au pied de l’ostensoir, ne sommes-nous pas au cœur de l’Église, à la source de la charité ? Et la Vierge Marie n’est-elle pas présente aussi, elle de qui est né le corps du Christ que nous adorons ? Ave verum corpus natum de Maria Virgine – "Salut, vrai Corps né de la Vierge Marie". Comme à l’oraison silencieuse, nous intercédons pour tous les membres de l’Église et croyons que notre prière servira peut-être à un frère inconnu qui partage notre foi de l’autre côté de la planète.

S’il fallait retenir une figure du Carmel qui se signale par son attrait pour l’adoration eucharistique, nous évoquerons le père Hermann Cohen (1820-1871), initiateur de l’adoration nocturne pour les hommes. Il nous inspire un amour renouvelé de l’eucharistie et un zèle pour l’adoration :

Non, j’ose le dire, si la foi ne m’enseignait que vous contempler au Ciel est une joie plus grande encore, je ne croirais jamais possible qu’il y existât de plus grande félicité que celle que j’éprouve à vous aimer dans l’Eucharistie et à vous recevoir dans mon pauvre cœur, si riche par vous…” (dédicace du recueil de cantiques Amour à Jésus-Christ paru en 1851)

Pratique

Manuel d’adoration eucharistique à l’école du Carmel, Éditions du Carmel, juin 2024, 132 pages, 12 euros.
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