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Le détachement de l’âme, une spiritualité à (re)découvrir

femme priant dans une église
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Eric Mangin - publié le 24/06/24
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Maître de la "voie mystique" rhénane du Moyen Âge, le dominicain Eckhart von Hochheim, dit Maître Eckhart, mérite d’être redécouvert. Réhabilité après une condamnation de Rome, car ses écrits réformistes dérangeaient, il prêchait une spiritualité du détachement de l’âme.

Il est toujours séduisant de découvrir chez un auteur classique des perspectives qui sont les nôtres et correspondent à des aspirations plus contemporaines. À travers l’expérience du détachement de l’âme, Maître Eckhart répond à notre attente d’une foi enracinée dans la vie ordinaire. Comment ne pas se laisser disperser par les nombreuses occupations, mieux encore : pourquoi un véritable attachement au Christ nous rend-t-il plus authentiquement présents au monde ? 

Jésus Christ est une expérience

Pour le maître rhénan, Jésus-Christ n’est pas un événement lointain, c’est une expérience que toute personne peut éprouver ici et maintenant. Se dépouiller des obstacles accumulés au fil du temps, se débarrasser de tout ce que nous ne sommes pas, afin de révéler ce qui est là, présent au fond de nous de manière inaltérable, le Verbe de Dieu, et à travers Lui, manifester ce que nous sommes vraiment. L’âme est comme un puit qu’il convient de dégager afin de retrouver la source d’eau vive que rien ne peut détruire. Faire silence au-dedans pour qu’advienne la Parole. Tel est le sens de la vie, une vie à travers laquelle se révèle la bonté de l’existence humaine. Vivre est une joie, mais c’est aussi une exigence, celle de laisser transparaître Celui qui est à l’origine de notre propre existence. Cette exigence n’est pas nouvelle, mais elle a toujours besoin d’être réaffirmée. La pensée d’Eckhart s’est construite au cours de ses différentes charges pastorales, sa conception du détachement est en lien étroit avec sa propre existence.

Le débat théologique ouvert à tous

Maître Eckhart (1260-1328) fut d’abord un grand théologien qui a enseigné à deux reprises à l’Université de Paris et un pasteur apprécié ayant exercé de lourdes responsabilités au sein de l’ordre dominicain à Erfurt, Strasbourg et Cologne. Il a été chargé de l’accompagnement spirituel des novices, des frères et sœurs, mais aussi de nombreux laïcs, hommes et femmes qui souhaitaient vivre l’Évangile au cœur du quotidien. N’oublions pas qu’il fut tout simplement un homme d’action, préoccupé par des tâches matérielles et administratives importantes comme par exemple l’extension de bâtiments conventuels, la constitution de nouvelles communautés, des démarches auprès des institutions civiles et ecclésiastiques… Il suffit d’imaginer la cathédrale de Strasbourg en construction pour imaginer ce monde en pleine expansion, et comprendre également la nécessité de restaurer l’essentiel en revenant à soi, retrouver au plus profond de l’âme la puissance de l’Absolu.

Révéler le Dieu caché

L’un des aspects saillants de son enseignement, c’est le fait que Maître Eckhart se soit exprimé en langue vernaculaire, ouvrant ainsi le débat théologique et spirituel à un public beaucoup plus large d’hommes et de femmes, religieux ou laïcs. La langue allemande s’efforce de transcrire les idées savantes dans un propos accessible à tous, sans pour autant renoncer à la vigueur des élans poétiques. Que les lecteurs contemporains ne s’en étonnent pas, il existe des passages difficiles. Certaines difficultés relèvent de la technicité du vocabulaire théologique employé. Pour cela, il suffit de se référer à un lexique précisant le sens des termes utilisés par le théologien. Mais il existe une difficulté plus essentielle qui tient au sujet même abordé dans la prédication, Deus absconditus, le Dieu caché toujours inaccessible au langage humain. Et là, aucun lexique ne peut nous aider. Avec la traduction des derniers Sermons allemands, nous avons entre nos mains des textes dont la beauté réside précisément dans le fait qu’ils échappent toujours en partie à notre appréhension des choses. Savoir apprécier à travers de simples mots ce qui ne saurait être dit. Comprendre, c’est aussi accéder à quelque chose de plus grand que nous… Révéler la Lumière cachée.

S’accrocher et lâcher prise

Il est donc bien légitime de vouloir nourrir sa foi en s’appuyant sur de grands auteurs — c’est même une tradition —, mais il ne faut pas s’effrayer devant la hauteur de certaines formulations, la patience est aussi une vertu. Relire aujourd’hui Maître Eckhart, c’est un peu comme se lancer dans l’ascension d’une haute montagne. Les débuts demandent des efforts, mais le chemin est agréable parce que lecteur se sent chez lui. Soudain, certains passages deviennent difficiles, c’est une épreuve pour l’esprit qui se croit incapable de poursuivre. S’accrocher et lâcher prise, persévérer dans la confiance. Et quelle joie de parvenir au sommet et de contempler le paysage infini qui se dévoile devant nos yeux. 

Pratique

Maître Eckhart, Révéler la Lumière cachée, Derniers sermons allemands et autres écrits rhénans, traduction et présentation d’Éric Mangin, Seuil, mai 2024, 200 pages, 21€.

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