Saint Thomas d’Aquin, un modèle pour les pères, et pourquoi pas ? Homme viril et vertueux mais surtout maître de sagesse, c’est ainsi qu’Olivier Minvielle et Stéphane Glogowski, tous deux enseignants, époux et pères de famille, ont découvert et compris la vie et l’enseignement du Docteur angélique. Dans Vivre en bon père de famille selon saint Thomas d’Aquin (Téqui), à partir d’éclairages donnés par le grand maître dominicain tirés de sa vie et de son enseignement, ils livrent de nombreuses clés très concrètes pour conduire sa vie et sa mission de père, d’époux et d’éducateur, dans sa famille et aussi dans la société.
Aleteia : Nous fêtons cette année le 750e anniversaire de la mort de saint Thomas d’Aquin, et l’an prochain, les 800 ans de sa naissance. Le Docteur angélique peut-il constituer un modèle de vie aujourd’hui ?
Olivier Minvielle : Thomas a incarné le modèle de l’homme viril et vertueux : une volonté forte, une rationalité incroyablement déployée, une maîtrise souveraine des passions, une foi et une humilité héroïques dans un XIIIe siècle "hyperactif", un labeur acharné et un combat pour la vérité qui n’altéra jamais la bonté du cœur. Tout cela lui a mérité d’être surnommé "le plus saint des savants, et le plus savant des saints". Il a fait preuve de qualités intellectuelles et d’une honnêteté remarquables, mais sans pour autant quitter le primat de la vie intérieure : cela en dit long sur son équilibre de vie, alors que notre époque semble ne vivre que de déséquilibres.
En quoi Thomas peut-il être d’un grand secours pour investir la mission de la paternité ?
Stéphane Glogowski : Dans sa célèbre Somme théologique, Thomas donne des clés lumineuses pour répondre aux questions suivantes : comment vivre en père de famille prudent ? Comment conserver toujours sa quiétude au milieu du monde et de ses propres humeurs ? Comment lutter contre les tentations du diable qui insinue en nous des pensées qui ne viennent pas de Dieu ? Comment éduquer mes enfants, et surtout mon adolescent ? Quelle place accorder à mes parents et à mon épouse ? Pourquoi la question de l’union conjugale est-elle difficile ? Est-ce que je dois obéir à toutes les lois injustes de nos sociétés modernes ? Ai-je le droit d’être ambitieux, chevaleresque, viril ? Mais saint Thomas n’était aucunement l’ennemi des joies humaines légitimes. Bien au contraire. À commencer par celles de l’esprit.
Vous avez choisi d’aborder des questions très "incarnées", pourrait-on dire : la consommation d’alcool, la colère, la pratique de la chasse, l’amitié, la belle-mère, l’ambition, la plaisanterie et le jeu…
Olivier Minvielle : Oui, car si saint Thomas était incontestablement doté de capacités intellectuelles hors-normes, il était parfaitement en prise avec la pâte humaine et les tribulations de la vie. Son sens pastoral et sa charité l’empêchaient d’être indifférent aux difficultés ou questions de ses contemporains. On se fait par là une idée de son humilité époustouflante… Il était capable d’un détachement inouï sur des choses qui lui étaient personnelles, oublieux de lui-même, et a contrario pleinement préoccupé par des détails ou des considérations que beaucoup croiraient futiles, mais qui étaient en réalité ordonnées à un très haut souci de la Vérité.
Le Docteur angélique est vraiment lumineux pour éclairer avec justesse les questions que le père de famille peut avoir à affronter, et si Dieu le veut, pour les dépasser avec succès.
Tous ces aspects concrets de la vie du père de famille, Thomas les a abordés et éclaircis pour nous, ce qui nous permet de recueillir un "art de vivre catholique" très opportun… Comprendre, même modestement, son enseignement et sa façon d’aborder les cas épineux, c’est retrouver un sain usage de la raison, et par là, un gouvernail pour mener la barque de son existence. Il va de soi que nous restons pêcheurs, mais le Docteur angélique est vraiment lumineux pour éclairer avec justesse les questions que le père de famille peut avoir à affronter, et si Dieu le veut, pour les dépasser avec succès.
Prenons par exemple la question de l’humilité, si souvent exigée de tout bon chrétien. Comment Thomas l’aborde-t-il ?
Stéphane Glogowski : Thomas se demande : "Doit-on par humilité se mettre au-dessous de tous ?" (IIa IIæ, q. 161). Sa réponse est pleine de nuance, et très libérante : "L’humilité doit être placée du côté de la vérité, non du côté de la fausseté." Et pour faire justement droit à la vérité, il faut considérer en chaque personne deux choses : ce qui est de Dieu, et ce qui est de l’homme. Ainsi, si je considère ce qui est de l’homme en moi, je dois toujours le mettre en dessous de ce qui est de Dieu dans mon prochain. Mais l’humilité ne consiste aucunement à mettre ce qui est de Dieu en moi, en-dessous de ce qui est de l’homme en mon prochain… On peut même, précise notre saint docteur, préférer les dons que le Seigneur nous a faits personnellement, à ceux qu’Il semble avoir faits aux autres. Et sans doute vaut-il mieux, d’ailleurs… Autre précision d’importance : l’humilité n’exige pas non plus que l’on mette ce que l’on a d’humain au-dessous de ce qui est humain dans le prochain. Autrement, il faudrait que tout homme se jugeât plus pécheur que tous les autres… Sur ce sujet, et sur tant d’autres, saint Thomas est pour nous un père spirituel exceptionnel !
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