Vianney de Boisredon, 27 ans, revient de loin. D'Asie centrale très précisément. "À la fin de mes études, je me suis lancé un défi assez fou qui est d'aller jusqu'aux steppes d'Asie centrale, donc à la porte de la Chine", confie-t-il à Aleteia. "Cela représente plus de 15.000 kilomètres, 80 jours de voyage, 17 pays traversés, et tout ça uniquement en stop et en logeant chez l'habitant." Une expérience humaine et spirituelle dont il n'est pas encore sûr d'être revenu indemne. Rencontre.
Aleteia : Quel parcours avez-vous suivi lors de votre voyage ?
Vianney de Boisredon : J'ai commencé à travers l'Europe du Sud, la France, l'Italie, les Balkans, la Grèce jusqu'en Turquie. J'ai fait une pause à Istanbul et après j'ai continué avec la Turquie jusqu'en Géorgie. J'y ai été bloqué un moment mais j'ai quand même réussi à aller au Kazakhstan. Je me suis alors intéressé à cette région d'Asie centrale, avec tous les pays en “stan”, le Kazakhstan, l'Ouzbékistan, le Tadjikistan et le Kirghizistan. Ces fameux pays en “stan” qui me fascinaient et qui étaient l'objectif de ce voyage.
Vous évoquez dans votre livre le syndrome de Marco Polo. Pouvez-vous le décrire ?
J'ai vraiment ressenti le syndrome de Marco Polo comme un appel intérieur à prendre la route vers l'Est. J’étais fasciné par l’Asie Centrale, par son histoire et par la richesse de cette région. Pour moi, il y avait aussi toute une histoire à travers la Route de la soie qui était assez intéressante à explorer. C'était une forme de désir, d'appel que j'ai ressenti, au fond de moi, à partir, mais de manière assez irrationnelle.
Quel a été l'élément déclencheur de cet engouement pour ces pays ?
Je pense qu'il y a eu beaucoup de lectures, de paysages, d'une littérature autour de l'Asie centrale. Je pense notamment à Joseph Kessel, Nicolas Bouvier, des auteurs qui m'ont particulièrement marqué. Une belle entrée en matière en tout cas pour découvrir cette région.
Ce voyage a développé chez moi des qualités humaines que je n'avais pas forcément avant : l'écoute, l'attention à l'autre, l'émerveillement, cette capacité à me dire que finalement non, on ne dérange pas en sollicitant les gens et qu'au contraire, on peut même leur apporter en faisant du stop ou en logeant chez eux.
Quelle place avez-vous laissé à la rencontre dans ce voyage ?
La rencontre est vraiment au cœur de mon livre. Je suis monté dans plus de 200 véhicules, j'ai dormi dans plus de 55 lits... J'étais vraiment confronté à cette altérité. Avant le départ, j'avais vraiment cette envie de sortir de ma zone de confort. Pour moi qui suis quelqu'un d'assez introverti, c'était un énorme défi de partir en stop et de frapper à la porte des habitants. Ce voyage m'a aussi développé des qualités humaines que je n'avais pas forcément avant : l'écoute, l'attention à l'autre, l'émerveillement, cette capacité à me dire que finalement non, on ne dérange pas en sollicitant les gens et qu'au contraire, on peut même apporter aux gens en faisant du stop ou en logeant chez eux. Par exemple, combien de fois je recevais des remerciements à la fin où l'on me disait : “Mais Vianney merci, grâce à toi le voyage est passé tellement plus vite.” Ou “Merci pour ton écoute” avec des gens qui me confiaient des choses assez lourdes à porter dans leur vie. Ça a opéré une sorte de chamboulement intérieur, maintenant je sais que j'ai quelque chose à apporter aux gens et que je gagnerais tellement à aller plus vers l'autre.
Une rencontre vous a-t-elle particulièrement marquée ?
C'est une rencontre que je ne raconte pas souvent. Alors que j'étais au bord d'une route dans le Pamir, au Tadjikistan, j'ai rencontré un vieil homme. C'était une région assez éloignée avec très peu de passages et donc je me suis retrouvé sur le bord d'une route à attendre plusieurs heures sous la pluie. Il y avait très peu de voitures, les camions qui passaient ne s’arrêtaient pas. Ça a été très dur. Et il y avait cette petite chaumière sur le côté de la route. À un moment, cet homme est sorti de sa chaumière. Il a commencé à discuter avec moi, me demander ce que je fais là. On a commencé un peu à créer du lien. En même temps, j'avais vraiment envie d'avancer donc j'étais un peu frustré. Il revenait toutes les quinze minutes comme ça pour me dire : “Bon alors, est ce que ça va ? Est-ce que tu trouves ?” Puis à un moment il m'a dit : “Écoute, il va commencer à faire nuit. Je crois que t'as froid, que t'es fatigué, donc viens dormir chez moi, je vais te cuisiner de la viande, de la chèvre.”
Là bas, il faut savoir que la viande est quelque chose d'extrêmement coûteux. C'est vraiment un honneur d'avoir quelqu'un qui te cuisine de la viande. On a passé une soirée extrêmement belle où il m’a partagé sa vie, son enfance. Il me montrait tous les albums photos de sa famille les uns après les autres, on a dégusté le miel de ses ruches dans son jardin. On a dormi côte à côte, vraiment comme des frères. Il y avait presque une dimension spirituelle et biblique à cette rencontre. Le lendemain, je suis reparti très tôt et je l'ai vraiment remercié. Il s'appelait Daholatsho. Cela fait partie des petites pépites, des petites rencontres qui paraissent assez anodines mais qui sont finalement extrêmement belles.
Vous êtes-vous souvent senti seul ?
La solitude est un thème dont je parle beaucoup dans mon livre. C'est quelque chose d'assez universel, quelque chose que l'on ressent tous à un moment de notre vie. Ce voyage, je l'ai vraiment entrepris seul, donc ça a été une démarche très personnelle. Évidemment, parfois, on est heureux d'être seul. Mais il y a aussi des fois où la solitude est un peu plus difficile. J'ai vraiment, je pense, été au bout de l'extrême de ma solitude. Paradoxalement, c'était dans les moments où je voyais des choses très belles avec des gens autour que là je ressentais le plus de solitude. Par exemple, à Venise, le cadre est absolument magnifique. Mais avoir autant de gens autour de soi et être tout seul au milieu de tous ces gens... J'ai ressenti vraiment beaucoup de solitude. J'ai eu le même sentiment à Khiva qui est une ville magnifique en Ouzbékistan. J’étais tout seul pour apprécier cette beauté et du coup j'ai ressenti vraiment énormément de solitude.
La solitude, ce n'est pas juste être seul, c'est se sentir seul et ne pas avoir de connexion avec les gens qui nous entourent.
Parfois pourtant, à des moments où j'étais vraiment très seul, en pleine nature, j’ai vraiment ressenti une forme de vie à l'intérieur de moi. Je ressentais vraiment tout l'inverse de la solitude alors que j'étais pourtant seul, perdu dans les montagnes. Il y a quelque chose d'extrêmement curieux avec la solitude. On peut se sentir presque plus seul dans un studio à Paris qu'à la campagne, où l'on est pourtant totalement seul. La solitude, ce n'est pas juste être seul, c'est se sentir seul et ne pas avoir de connexion avec les gens qui nous entourent.
Quel a été votre rapport aux réseaux sociaux pendant votre voyage ?
J'ai fait le choix pendant ce voyage de ne pas poster sur les réseaux sociaux car je ressentais que ce voyage était vraiment intérieur et spirituel. J'avais un peu peur qu'en postant sur les réseaux, cela me détourne un peu de cette découverte de l'autre, de cette soif d'humanité que je recherchais vraiment. Concrètement, quand j'étais dans la voiture avec quelqu'un, je voulais être 100% attentif, 100% dédié à la discussion, à ce qu'il pouvait me partager. Je me disais que si je pensais déjà au prochain post Instagram que j'allais faire, cela allait complètement me détourner de l'essentiel. Cela peut peut-être paraître étrange mais j'assume ce besoin d'essentiel, cette envie de vraiment vivre son voyage de manière très intérieure, en étant au cœur du moment présent, de cueillir un peu chaque instant, tel quel.
Ce que j'aimerais partager, c'est peut-être cet esprit d'audace qui m'a animé pendant ce voyage et continue d'animer dans ma vie.
Avez-vous rencontré Dieu lors de ce voyage ?
Je suis parti en ayant déjà une foi qui me portait déjà beaucoup dans les épreuves de la vie. Mais lors de mon voyage, un moment qui m'a vraiment marqué. C'était au bord du lac d'Ohrid, en Macédoine du Nord. Je me suis installé au bord d'un ponton et j'ai commencé à remercier, ressentir de la gratitude, prier... Cela a été un moment extrêmement fort d'un point de vue spirituel qui m'a vraiment donné de la force pour toutes les semaines qui ont suivi. J’avais vraiment l'impression d'être rempli d'une présence.
Que souhaiteriez-vous partager avec les lecteurs d'Aleteia ?
Ce que j'aimerais partager, c'est peut-être cet esprit d'audace qui m'a animé pendant ce voyage et continue d'animer dans ma vie. Je me suis beaucoup forcé à sortir de ma zone de confort et je ne l'ai jamais regretté. Poser des petits actes audacieux à différents moments de sa vie. Je pense que c'est quelque chose qu'on regrettera jamais. Et même lorsqu'il y a des épreuves, quand il y a des échecs, des difficultés, on en ressort toujours grandi. Vraiment se laisser habiter par sa voix intérieure pour faire des choix audacieux qui ne soit pas influencé par son entourage, par la société, par ses proches, c'est quelque chose qui, je pense, est indispensable aujourd'hui et dont le monde a besoin.