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À table !

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Henri Quantin - publié le 22/05/24
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Le président Emmanuel Macron qui se rend en Nouvelle Calédonie pour « renouer le fil du dialogue » va-t-il réunir les partis néo-calédoniens autour d’une table ? Que la métaphore soit familiale ou évangélique, « être autour de la table » implique d’abord appartenir à une communauté.

"Mettre tout le monde autour de la table." La formule a-t-elle été soufflée par un communicant ou s’est-elle répandue par sa seule expressivité ? Elle est désormais partout où il s’agit de régler un conflit. Patrons et syndicats, membres d’une famille politique divisée, écologistes et agriculteurs, Kanaks et Caldoches... tous sont régulièrement appelés à se retrouver "autour de la table". Méthode infaillible, pense-t-on, pour éviter que les uns hurlent dans la rue et que d’autres boudent dans leur coin. À se demander si la table n’est pas le dernier bastion d’une réalité en voie de disparition, à l’heure où la discussion se fait de plus en plus par écrans interposés.

La table reste l’objet qu’on évoque pour croire encore à l’utilité de la parole et à la possibilité du dialogue. Elle postule une forme de sincérité dans l’échange, au point que "se mettre à table" peut signifier passer aux aveux. La table a en tout cas vocation à réunir. Réunion incertaine, d’ailleurs, car chacun a fait l’expérience, dès son plus jeune âge, que venir à table demande un effort, ne serait-ce que pour s’adapter à un horaire commun. Le fonctionnement et les tensions d’une famille se lisent à découvert à l’instant même où quelqu’un crie "à table !". Le temps qui s’écoule avant l’arrivée de tous, de même que les raisons données pour un éventuel retard, est très instructif. Un appel à table n’est pas toujours très éloigné d’un appel à l’aide. Qui vient à la table accepte un minimum de règles communes, prend le risque de l’altérité et envisage d’être dérangé : coude du voisin qui vous heurte, pieds (de table ou d’être humain) mal placé, orateur exubérant qui couvre vos timides interventions... Bref, être autour de la table implique d’appartenir à une communauté.

Un gouvernement a intérêt à se souvenir qu’une personne qu’on appelle à table vient généralement dans l’espoir d’être nourrie.

Mais a-t-on besoin d’une table pour parler ? S’impose-t-elle seulement pour que les forces en présence puissent y poser leurs fiches et leur téléphone ? Que l’inconscient collectif qui sous-tend l’appel à "mettre tout le monde autour de la table" soit familial ou évangélique, on ne peut oublier que la table sert d’abord à partager un repas. Le langage nous le rappelle chaque fois que celui qui préside expose ce qui est "au menu du jour". Est-il alors illégitime d’être déçu qu’aucune assiette ne soit servie ? Au royaume de l’État-providence, ceux qu’on met autour de la table n’acceptent sans doute l’invitation que s’ils sont sûrs que le but n’est pas seulement de parler. Cela suppose qu’ils fassent confiance à celui qui les appelle.

"Ce qui est sur la table est historique", disait récemment un commentateur, à propos d’un accord possible entre l’assurance-maladie et les médecins. L’arrière-plan de l’envolée rhétorique renvoyait sans doute plus à la table d’un traité qu’à celle d’un banquet ou d’un dernier repas. Néanmoins, un gouvernement a intérêt à se souvenir qu’une personne qu’on appelle à table vient généralement dans l’espoir d’être nourrie. Certains, certes, se réunissent aussi pour une séance de spiritisme, mais un gouvernement qui annoncerait qu’il va faire tourner les tables pourrait s’attendre à multiplier les incrédules et les récalcitrants. Le genre de gens qui refusent de venir à table.

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