Ne vous êtes-vous jamais dit un jour de ferveur que ce serait une belle chose d’avoir un saint pour directeur de conscience ? Cela ne fait aucun doute, mais l’exemple de la bienheureuse Marie-Louise Trichet, que saint Louis-Marie Grignion de Montfort prit sous son aile, vous incitera peut-être à y réfléchir à deux fois tant il l’a menée sur des chemins ardus, « hors des voies communes » comme s’en plaignaient tous ceux, nombreux, qui n’aimaient pas le missionnaire breton.
Marie-Louise Trichet est née à Poitiers le 7 mai 1684 dans la bourgeoisie de robe de la ville. Hélas, son père magistrat est un homme vertueux ; là où ses confrères, s’estimant mal payés, arrondissent leur fins de mois en « demandant les épices », autrement dit en touchant de juteux pots de vin et dessous de table de la part de justiciables pressés de faire aboutir leurs procès au mieux de leurs intérêts, ce juge intègre rend la justice comme elle doit l’être et se contente de son salaire. Chiche au point de ne pas lui permettre d’établir ses enfants. C’est ainsi que Marie-Louise, faute de dot, ne peut entrer, comme elle le souhaite, chez les chanoinesses de Saint-Augustin, institut pour demoiselles de bonne famille, pas même comme converse.
Une âme d’élite
La jeune fille ne sait plus ce que Dieu attend d’elle ni comment orienter sa vie lorsqu’en 1701, le père de Montfort arrive à Poitiers comme aumônier de l’hôpital. Le prêtre met à la tâche tout son zèle apostolique et sa charité, ce qui lui fait des ennemis parmi un personnel et des administrateurs dont les vues sont moins hautes que les siennes et qui finiront par le faire jeter dehors. Mais, dans l’intervalle, grâce à une confrérie de la Sagesse fondée pour l’élite des collégiens de la ville, dont Alexis Trichet, futur prêtre, frère de Marie-Louise qui mourra en se dévouant aux pestiférés, Louis-Marie à l’occasion de confesser la jeune fille. À la fin de cette première confession, il s’écrie, sous l’effet d’une inspiration divine comme il lui en prend parfois : « Mademoiselle, c’est la Sainte Vierge qui vous a dit de venir ici ! » Il a miraculeusement reconnu en elle l’âme d’élite qui sera, quelques trop courtes années, son auxiliaire zélée et qui, après sa mort prématurée, poursuivra son œuvre.
En attendant, le père de Montfort ne possède ni les moyens nécessaires à ses projets, ni les appuis ecclésiastiques nécessaires à la création dans les formes d’« une humble association de filles dédiée à la Sagesse du Verbe incarné pour confondre la fausse sagesses des gens du monde», résumé de son programme : « La Sagesse est la Croix et la Croix la Sagesse. » Pour l’heure, l’association ne réunit, au sein de l’hôpital, que de très pauvres filles, souvent lourdement handicapées et incapables de subvenir à leurs besoins, qui s’appliquent à se sanctifier par une vie de prière et de mortification, se dévouant à leurs compagnons d’infortune, infirmes, malades, vieillards et grabataires.
Une informe robe aux allures de sac
C’est dans ce groupe qu’il incite Mlle Trichet à entrer, sans aucun statut car l’association n’est pas reconnue par l’évêque. Il tient, le 2 février 1703, à lui donner un nom de religion, Marie-Louise de Jésus, et un habit, informe robe grise aux allures de sac qui plonge Mme Trichet dans une stupeur horrifiée la première fois qu’elle voit sa fille ainsi accoutrée. Quand elle proteste, Louis-Marie rétorque, péremptoire : « Madame, votre fille ne vous appartient plus ; elle appartient à Dieu », d’un tel ton qu’il faut se le tenir pour dit. Ce n’est que l’une des mortifications qu’il impose à sa dirigée, peut-être la plus douce. Un jour, il lui fait servir une vague soupe d’on ne sait trop quoi, d’une couleur inquiétante, à l’odeur déplaisante, dans laquelle nagent des asticots, lui enjoignant de la manger… et Marie-Louise mange, sans montrer sa répulsion compréhensible.
Sur ce, le père de Montfort doit regagner Paris et abandonner derrière lui l’œuvre ébauchée, toujours sans statut juridique. À l’instant de partir, il laisse pour seule consigne « de ne pas sortir de l’hôpital de dix ans », quoiqu’il advienne et qu’on lui fasse endurer. Débute une décennie de souffrances, rebuffades, humiliations et solitude. Seules quelques lettres de direction, expédiées quand ses occupations lui en laissent le loisir, viennent soutenir Marie-Louise et Catherine Brunet, seule compagne qui l’ait rejointe. Enfin, en août 1713, le père de Montfort reparaît à Poitiers et leur annonce qu’elles vont partir pour La Rochelle, où l’évêque veut fonder des écoles qu’elles dirigeront. C’est à quoi la congrégation embryonnaire, réduite à une supérieure, Marie-Louise, trois professes et une novice, s’occupe lorsque la nouvelle de la mort du père de Montfort, le 28 avril 1716, la rejoint.
Rapidement, Marie-Louise comprend qu’elles ne pourront se maintenir à La Rochelle sans leur fondateur. Arrive une lettre de l’hôpital de Poitiers réclamant le retour des Filles de la Sagesse car l’établissement ne peut se passer d’elles. Est-ce le signe du Ciel qu’elle attendait ? Elle rentre à Poitiers avec ses compagnes et, consternée, ne tarde pas à mesurer son erreur. Les administrateurs de l’établissement, sans considération pour les constitutions de la communauté, prétendent imposer leurs vues et faire main basse sur les dots des religieuses, exigences que Marie-Louise, indignée, refuse. Les voilà à la rue ou sur le point d’y être. Désemparée, elle va prier à la chapelle de Notre-Dame des Cœurs, au faubourg de Montbernage, première fondation de Louis-Marie et réclamer son aide. À la sortie du sanctuaire, elle tombe sur l’un des plus sûrs appuis du père de Montfort en Poitou. Celui-ci, apprenant ses difficultés, lui conseille de s’adresser de sa part, et en se recommandant de la mémoire du fondateur, à Mme de Bouillé, grande dame convertie par Louis-Marie puis arrachée in extremis au trépas par l’un de ses miracles. Reconnaissante, Mme de Bouillé propose à la dirigée de son bienfaiteur de la rejoindre à Saint-Laurent-sur-Sèvres, là où le père de Montfort a fini ses jours et repose.
Près du tombeau de leur père
Marie-Louise ne peut plus avoir de doute ; cette fois, c’est bien la volonté de Dieu, de Notre-Dame et de Louis-Marie qui se manifeste. Les Filles de la Sagesse ne quitteront plus le tombeau de leur père. C’est là que Marie-Louise s’éteint le 28 avril 1759, 43 ans jour pour jour après son directeur de conscience au terme d’une vie bien remplie. Les épreuves ne l’auront jamais désertée, pas même en ses vieux jours, quand de jeunes religieuses, fatiguées des méthodes de leur vieille supérieure, organisent une cabale contre elle afin de la faire déposer, la prétendant sénile, injustice qui arrache à Marie-Louise cette unique plainte : « Ma chère Sagesse, pourquoi me laissez-vous languir si longtemps sur terre ? »
Le pape Jean-Paul II l’a béatifie en 1993. Pour ne pas faire doublet avec celle de saint Louis-Marie, sa fête liturgique est au 7 mai, date de son anniversaire de naissance.