Elle s’appelle Poonam Pandey, elle est indienne, mannequin et c’est, nous dit Le Monde, "une actrice de second rang", précision qui nous libère de tout scrupule à l’idée de ne jamais avoir entendu parler d’elle jusqu’ici. Si son coup médiatique visait à étendre sa notoriété, il est donc réussi, même si nous ne gageons pas que nous nous souviendrons de son nom dans trois jours. Le 2 février, ses agents ont annoncé sa mort à 32 ans, d’un cancer du col de l’utérus. Stupeur du plus d’un million d’abonnés de son compte Instagram, notices nécrologiques variées, mise à jour de sa fiche Wikipédia.
Trois différences
Le 3 février, surprise, elle réapparaît en pleine santé et déclare qu’elle voulait sensibiliser aux ravages de ce cancer réservé aux femmes. "Même pas morte", donc, et fin de ce que Le Monde nomme tour à tour une farce, un canular, une méthode peu louable de sensibilisation et une forme d’autopromotion.
Cette parodie de mort et de résurrection pousse à méditer sur ce qui distingue la Passion d’un coup de communication et le Christ d’une starlette.
Cette parodie de mort et de résurrection pousse à méditer sur ce qui distingue la Passion d’un coup de communication et le Christ d’une starlette. Même ceux qui font de la Résurrection du Christ une invention stratégique des apôtres, pour lancer le christianisme, doivent pouvoir distinguer les récits des Évangiles de ce simulacre numérique. Chacun peut remarquer au moins trois différences flagrantes, qui révèlent à quel point Jésus, contrairement à une Poonam Pandey, prend au sérieux la mort qu’il va pourtant vaincre.
Une mort annoncée
La première est que Jésus ne meurt pas du jour au lendemain et qu’il prépare longuement ses disciples à ce qui va arriver. Les trois évangiles synoptiques insistent sur les annonces successives de la Passion et de la Résurrection, qui forment comme un accompagnement spirituel anticipé des jours de deuil. "À dater de ce jour, Jésus commença de montrer à ses disciples qu’il lui fallait s’en aller à Jérusalem, y souffrir beaucoup de la part des anciens, des grands prêtres et des scribes, être tué et, le troisième jour, ressusciter", écrit par exemple Matthieu (16, 21).
En annonçant sa mort et en consolant par avance ceux qu’elle laissera désespérés, le Christ témoigne qu’Il ne joue pas avec le deuil des hommes.
Il y revient au chapitre suivant : "Comme ils se trouvaient réunis en Galilée, Jésus leur dit : Le Fils de l’homme va être livré aux mains des hommes, et ils le tueront, et, le troisième jour, il ressuscitera" (17, 22-23). Et une troisième fois, parce que la pédagogie divine est trinitaire, comme il y a trois tentations et trois chutes pendant la Passion : "Voici que nous montons à Jérusalem et le Fils de l’homme sera livré aux grands prêtres et aux scribes ; ils le condamneront à mort et le livreront aux païens pour être bafoué, flagellé et mis en croix ; et le troisième jour, il ressuscitera" (20, 18-19). Impossible, par conséquent, de dire que les disciples n’étaient pas prévenus. On est loin de l’effet de surprise indispensable à celui qui veut artificiellement frapper les esprits, sans trop se soucier de la brutalité du choc que subiront ses adeptes. En annonçant sa mort et en consolant par avance ceux qu’elle laissera désespérés, le Christ témoigne qu’Il ne joue pas avec le deuil des hommes.
La souffrance au sérieux
La seconde différence est évidemment que le Christ ne fait pas semblant d’être mort et qu’il traverse toutes les douleurs de l’agonie, des plaies béantes au cri de déréliction. Manière plus radicale de ne pas jouer avec les hommes : non seulement prendre au sérieux leur souffrance, mais la connaître de l’intérieur, par toutes les fibres de son corps flagellé et de son cœur transpercé. Dans ces conditions, les candidats à l’autopromotion par une mort médiatisée se feraient sans doute plus rares. Rien à voir, en tout cas, avec le sourire satisfait, non dénué de sadisme, de celui qui est en train de jouer un bon tour à des masses dupées.
La Passion continuée
La troisième différence tient à ce que la Résurrection ne gomme rien de la Passion. On connaît la fulgurance de Blaise Pascal : "Le Christ est à l’agonie jusqu’à la fin du monde." Les stigmates du Ressuscité ont la profondeur d’une offrande pour l’éternité. La Croix est un don sans repentance, parce que le maître du temps n’abolit pas le passé. À cela se mesure l’écart entre l’insignifiance du règne de l’immédiateté et la plénitude temporelle qu’ouvre le Royaume déjà commencé. Aucune recherche de l’effet de surprise chez le Fils de Dieu, mais une Passion annoncée ; aucune simulation, mais une Passion vécue ; aucun "même pas mort", mais une Passion continuée.
Devant la fausse mort déjà oubliée du mannequin indien (son nom m’échappe…), on est tenté de paraphraser Péguy : tout commence en mystique et tout finit en communication. Bonne occasion, pour les disciples du Christ, de se souvenir de tout ce qui sépare l’annonce du Royaume d’une campagne publicitaire. La Croix n’est pas vendeuse, c’est parfois même à cela qu’on la reconnaît.