C'était sur les rives du lac de Tibériade, non loin de Capharnaüm. Sur une montagne dont on ne sait pas grand chose, si ce n'est qu'elle manifeste le point de jonction entre la terre et le ciel, le Christ s'adresse à son peuple pour lui livrer ce que le père Philippe Bernard appelle une "feuille de route" ; les huit béatitudes. "D'abord, estime ce curé de Normandie, je crois que cette béatitude qui nous parle de la douceur - Heureux les doux, car ils recevront la terre en héritage (Mt 5, 5) - ne doit jamais être séparée des autres. Les béatitudes ne sont pas un catalogue dans lequel on pourrait choisir ce qui nous plaît. Au contraire, elles sont toutes liées les unes aux autres". C'est ce que souligne le Catéchisme de l'Église catholique (§1717) :
Les béatitudes dépeignent le visage de Jésus-Christ et en décrivent la charité ; elles expriment la vocation des fidèles associés à la gloire de sa Passion et de sa Résurrection ; elles éclairent les actions et les attitudes caractéristiques de la vie chrétienne ; elles sont les promesses paradoxales qui soutiennent l’espérance dans les tribulations ; elles annoncent les bénédictions et les récompenses déjà obscurément acquises aux disciples ; elles sont inaugurées dans la vie de la Vierge Marie et de tous les saints.
Un seul et même projet évangélique
Les béatitudes sont huit manières de décliner un seul et même projet de vie évangélique. "Je crois vraiment, en tout cas, c'est ma lecture, qu'on ne peut pas se permettre de faire du tri dans l'Évangile, affirme le père Bernard Philippe. On ne peut pas vouloir être miséricordieux et ne pas se préoccuper de la justice. On peut en revanche déployer, selon sa personnalité, tel ou tel talent au sens évangélique. Je pense notamment à ces jeunes adolescents, au collège ou au lycée, qui excellent dans la tâche difficile de remettre une ambiance sympathique dans une classe où règnent les embrouilles et les conflits. Ce sont aussi eux, les artisans de paix dont parle Jésus dans son sermon".
Lorsque Jésus affirme : "Heureux les doux", il ne dit pas : "heureux les mous". Il nous dit simplement que la violence individuelle ou collective ne peut jamais être une réponse suffisante.
Des cœurs doux émane ainsi une force puissante qui vient de Dieu. C'est de cette manière que sainte Jeanne Jugan, fondatrice des Petites Sœurs des Pauvres, qui allait de maison en maison faire l'aumône pour recueillir les offrandes destinées aux pauvres, reçoit une gifle d'un vieillard courroucé. "Merci, lui a-t-elle alors répondu, cela c’est pour moi. Maintenant, donnez-moi pour mes pauvres, s’il vous plaît". "On peut toujours prendre la vie du Christ comme exemple, poursuit le curé de Saint-Léonard. Quand les disciples, sur la route de Jérusalem, se voient refuser l'hospitalité par des Samaritains, ils s'exclament, tout feu tout flammes, 'Seigneur, veux-tu que nous ordonnions qu’un feu tombe du ciel et les détruise ?' (Lc 9, 54). Jésus les réprimande. De même, au Jardin des Oliviers, il demande à Pierre de ranger son épée". La violence est-elle donc systématiquement un péché ? "Je crois en tout cas que c'est un échec, estime le prêtre. Lorsque Jésus affirme : 'Heureux les doux', il ne dit pas : 'heureux les mous'. Il nous dit simplement que la violence individuelle ou collective ne peut jamais être une réponse suffisante".
La douceur, c'est aimer l'autre en face de soi
C'est aussi la douceur que le Christ convoque quand il pose un regard de miséricorde sur le jeune homme riche qui vient à lui : "Jésus posa son regard sur lui, et il l’aima." (Mc 10, 21). "Elle est là, la douceur du Christ, poursuit le père Philippe Bernard. La douceur, c'est d'aimer l'autre, en face de soi. Toute conversion demande du temps. La violence est inhérente à l'être humain : la Genèse commence avec le meurtre d'Abel par Caïn. On peut dire que l'histoire commençait mal ! C'est, ainsi, la grande phrase attribuée à Claudel : 'Dieu n’est pas venu supprimer la souffrance. Il n’est même pas venu l’expliquer, mais il est venu la remplir de sa présence'." La douceur dont parle l'Évangile, conclut le père, "c'est avant tout une feuille de route, un idéal. Certains diront que c'est impossible. Moi je suis persuadé que si le Seigneur place la barre très haut, c'est pour nous apprendre à lever la tête".