Les catholiques, et plus particulièrement les prêtres, sont-ils tenus d'appliquer la déclaration Fiducia Supplicans ? Est-ce un péché que ne pas adhérer, en toutes circonstances, aux décisions du Saint-Père ? Le père Sylvain Brison, théologien spécialiste des questions qui relèvent de la théologie pastorale et de la théologie politique, apporte son éclairage pour Aleteia.
Aleteia : Les catholiques sont tenus d’adhérer au magistère de l’Église, c’est-à-dire à son enseignement sur les vérités de la foi et des mœurs. La déclaration Fiducia Supplicans relève-t-elle du magistère ?
Père Sylvain Brison : Oui, elle relève du magistère ordinaire du souverain pontife, puisque c’est un texte de la curie romaine qui est approuvé et signé par le Pape. Dans la réforme de la curie romaine Praedicate Evangelium (Annoncez l’Évangile) publiée le 19 mars 2022, le pape François souligne le fait qu’une des principales fonctions de la curie romaine est d’être au service du ministère pétrinien. Ainsi, si une déclaration provient d’un dicastère et qu’elle est reconnue par le pape, qui lui a apposé sa signature, elle est bien une forme d’expression du magistère ordinaire. C’est donc un texte du magistère du Pape qui s’applique dans l’Église universelle. La question est cependant d’ordre pastoral : il n’est pas question de légiférer pour l’Église universelle. Fiducia Supplicans donne les moyens aux pasteurs d’accompagner les personnes selon leur propre vie. On ne pourra jamais reprocher à un prêtre d’avoir accepté d'accorder une bénédiction spontanée, comme on ne pourra jamais reprocher à un prêtre d’avoir refusé de le faire.
L’Église préfère la discussion à la rupture.
Puisque les catholiques sont tenus d’adhérer au magistère pour rester dans la communion de l’Église, pourquoi, par exemple, les évêques d’Afrique, qui s’y sont opposés, ne sont-ils pas considérés comme schismatiques ?
L’Église préfère la discussion à la rupture. La réponse émise par le dicastère le 4 janvier précise bien que les pasteurs locaux peuvent adapter selon les besoins de leur communauté les dispositions de la déclaration, à condition de ne pas aller à l’encontre du Pape. C’est une question d’interprétation des réactions. Pour l’instant, il n’y a pas d’avis tranché de la part de Rome qui admet un temps de réception du texte. En revanche, si l’obstination délibérée persiste dans le temps et finit par se traduire par une opposition frontale à la doctrine, il faudra trouver un mode de résolution du conflit. Il faut toutefois souligner le fait que la question relevée par Fiducia Supplicans ne concerne pas le dépôt de la foi car elle ne touche pas aux sujets de la résurrection, de la foi en la Trinité, ou du salut. Fiducia Supplicans touche à la doctrine de l’Église, certes, mais ne brise pas sa communion au sens formel du terme. Ainsi, la portée du texte est de l’ordre de la pastorale, et ne fait que préciser la manière dont il faut la comprendre.
Que répondre à ceux qui y voient une porte ouverte vers, un jour, la légalisation du mariage homosexuel dans l’Église ?
Qu'ils surinterprètent le texte à partir de leurs propres peurs. Ce n’est pas ce que le texte dit. Le texte ne change pas la doctrine de l’Église, il ne fait qu’apporter des précisions sur l’attitude pastorale que l’on peut accorder dans des circonstances particulières. Il réaffirme la doctrine de l’Église sur le mariage mais ne définit pas quelque chose de nouveau, si ce n'est l’appréciation pastorale des bénédictions, puisqu’il propose de différencier ce qu’il appelle les bénédictions liturgiques et rituelles des bénédictions pastorales spontanées. Cette distinction n’est pas habituelle, mais elle n’est pas doctrinale. Le danger serait de resituer le sujet sur des questions de droit et d’obligation, alors que le texte dispose de possibilités ouvertes dans l’accueil des personnes. Poser des questions telles que "est-ce qu’on a le devoir d’adhérer ?", "est-ce qu’on est obligé d’obéir ?" ou encore "est-ce qu’on a le droit de désobéir, ou de contourner la question ?" n'est pas pertinent. Fiducia Supplicans n'ouvre en aucun cas une question de droit ou de pouvoir, mais de faculté pastorale au discernement des pasteurs. Il ne faut pas prendre le texte par un angle par lequel il n’entre pas. Le texte ne légifère pas, ce n’est pas un texte législatif.
La bénédiction est donnée pour le bien des personnes à la suite du Christ qui est toujours un chemin de conversion, de réception de la grâce, de pardon des péchés et d’amour.
Le texte précise d'ailleurs que lorsqu’il parle de couple, il ne parle pas d’union. "C'est pourquoi, étant donné que l'Église a toujours considéré comme moralement licites uniquement les relations sexuelles vécues dans le cadre du mariage, elle n'a pas le pouvoir de conférer sa bénédiction liturgique lorsque celle-ci peut, d'une certaine manière, offrir une forme de légitimité morale à une union qui se présente comme un mariage ou à une pratique sexuelle non matrimoniale." (§11). Le texte aborde le couple comme une réalité de faits, non pas comme une alliance : il n’y a d’alliance que matrimoniale. Quand on bénit une personne, on la bénit dans tout ce qu’elle est, y compris dans les relations qu’elle vit avec les gens. La bénédiction est donnée pour le bien des personnes à la suite du Christ qui est toujours un chemin de conversion, de réception de la grâce, de pardon des péchés et d’amour. Elle est un soutien dans une marche vers le royaume, pas un label. Le problème est que certains voudraient voir dans la bénédiction la reconnaissance de ce que les gens vivent, mais ce n’est pas le cas. Le but de ce texte est de parler de la question pastorale de la bénédiction.
Parler d’ouverture à la bénédiction des couples homosexuels, c’est donc faire un raccourci ?
Oui, tout à fait. Le texte propose d'accompagner les gens, qui, dans l’Église, vivent dans une situation qui n’est pas conforme au modèle qu'elle promeut. On compte parmi eux les couples de même sexe et les couples en situation irrégulière, dont les concubins et les divorcés-remariés, et tous les cas de relations de type conjugales qui ne rentrent pas dans le cadre du mariage. Le texte s’adresse aux personnes qui, dans ce contexte-là, désirent vivre une vie chrétienne à la suite de l’Évangile au sein de l’Église et demandent à pouvoir être accompagnées. Le texte dit aux pasteurs : "Vous devez avoir le discernement pastoral d'accompagner, en les bénissant, ces personnes-là qui désirent faire un chemin avec le Christ et viennent, pour cela, vous demander une bénédiction pour les soutenir". Il ne contraint ni les pasteurs à le faire, ni les gens à la demander. Cette bénédiction n’est ainsi pas une proposition, mais une réponse. Le paragraphe 35 impose d’ailleurs aux pasteurs de se former pour que leur jugement soit le plus adéquat à la volonté de Dieu : "C'est pourquoi la sensibilité pastorale des ministres ordonnés doit également être éduquée à effectuer spontanément des bénédictions qui ne se trouvent pas dans le Rituel des bénédictions".