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Dieu aime chacun d’un amour inconditionnel : le croyons-nous vraiment ?

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Hubert de Boisredon - publié le 09/01/24
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L’auteur de "Déserter ou s’engager ? Lettre aux jeunes qui veulent changer le monde" revient sur la déclaration "Fiducia supplicans". "Nous voulons une Église qui va aux périphéries, s’étonne-t-il, mais nous poserions des conditions pour accueillir les personnes des périphéries qui font la démarche, parfois courageuse, de demander une bénédiction ?"

L’autorisation donnée par les autorités romaines de bénir les couples en situation irrégulière et les couples de même sexe suscite de nombreux débats au sein de l’Église catholique. Certains évêques soutiennent cette démarche et se réjouissent ; d’autres s’en offusquent et émettent des limites et des conditions à ces bénédictions, voire les refusent. Ce débat est source de tensions qui peuvent mettre en péril l’unité de l’Église. Il convient sans doute de prendre du recul pour définir, au-delà du sujet du regard sur les couples "en situation irrégulière", qu’ils soient divorcés remariés ou de même sexe, ce qui se joue dans ces différentes postures.

Clarifions d’abord ce que dit la déclaration Fiducia supplicans. Il est précisé qu’il ne s’agit pas de reconsidérer la doctrine traditionnelle de l’Église concernant le mariage ni d’établir des rites liturgiques ou des bénédictions similaires à un rite liturgique qui pourraient prêter à confusion. De quoi s’agit-il alors ? La déclaration ouvre "la possibilité de bénir les couples en situation irrégulière et les couples de même sexe, sans valider officiellement leur statut ni modifier en quoi que ce soit l’enseignement pérenne de l’Église sur le mariage". 

"Aider à vivre mieux"

La bénédiction qui est proposée n’est pas une bénédiction sacramentelle ni liturgique, mais un geste pastoral visant à accueillir, encourager, rendre grâce, confier l’amour existant entre deux personnes à Dieu, réconforter, les inviter à poursuivre le chemin pour les "aider à vivre mieux", dans le sens d’une plus grande confiance en Dieu. Le pape François accorde une importance particulière à rappeler que "la grande bénédiction de Dieu est Jésus-Christ, qui est le grand don de Dieu. C’est une bénédiction pour toute l’humanité… Il est la Parole éternelle avec laquelle le Père nous a bénis “alors que nous étions encore pécheurs” (Rm 5, 8)". 

Le cadre étant établi de cette possibilité d’une bénédiction donnée à toute autre union que celle du mariage, certaines réactions d’évêques peuvent surprendre. Leur position divergente de celle du Pape traduit sans doute les peurs d’un amalgame entre bénédiction et mariage, mais aussi une certaine vision de Dieu qui pose question.

La peur de l’amalgame

Nous pouvons aisément comprendre que la situation soit complexe pour les évêques d’Afrique, qui habitent des pays dont les lois pénalisent l’homosexualité. Qu’ils veuillent éviter de légitimer des relations homosexuelles par ces bénédictions peut s’expliquer pour des raisons politiques et culturelles. Espérons cependant qu’ils s’engagent résolument par ailleurs pour la défense des personnes homosexuelles qui parfois sont menacées de torture ou de mort. Les déclarations de certains évêques français soulèvent d’autres questions. Elles autorisent ces bénédictions, à condition que celles-ci ne se fassent pas pour les deux personnes vivant en couple, mais individuellement. Citant le Catéchisme de l’Église catholique qui stipule que les relations entre personnes de même sexe sont "intrinsèquement désordonnées" (n. 2387), ces évêques demandent que le prêtre rappelle "avec bienveillance et non-jugement" aux deux personnes "clairement la Vérité que l’Église enseigne sur leur situation" et les "invite à demander le secours de la grâce que le Seigneur accorde à tous ceux qui lui demandent pour conformer leur vie à la Volonté de Dieu". 

Veut-on faire de l’Église l’enclos des chrétiens bons élèves et bien-pensants, ou voulons-nous rassembler l’humanité dans sa diversité pour l’inviter à devenir un peuple de pauvres et de pécheurs qui se savent aimés de Dieu ?

Les personnes qui viennent demander la bénédiction en couple le font parce qu’elles croient non seulement que Dieu les aime, mais également que "l’Église est le sacrement de l’amour infini de Dieu" (FS, n. 43). Elles viennent humblement demander que Dieu bénisse leur désir de "mieux répondre  à la volonté du Seigneur" au sein de leur relation qu’elles reconnaissent imparfaite (n. 20). Comment expliquer alors d’un côté que l’Église accueillerait "avec bienveillance" les personnes divorcées et les personnes homosexuelles qui viendraient demander une bénédiction au sein de leur relation, en n’accueillant pas leur ami(e) ou conjoint(e) avec lui (ou elle) dans ce même élan et en ne considérant pas le couple qu’elles forment ? Comment peut-on témoigner de l’amour inconditionnel de Dieu pour tout homme et toute femme si la démarche de bénédiction est conditionnelle et qu’elle vise à leur rappeler qu’ils vivent dans l’erreur et le péché ?

Changer de vie

Le sujet selon moi dépasse de loin la déclaration Fiducia supplicans. Au-delà de ce débat, ce sont deux approches spirituelles qui s’affichent. La loi précède-t-elle la grâce, ou la grâce préémine-t-elle sur la loi ?  Dans sa première prédication de l’Avent, le cardinal Raniero Cantalamessa, prédicateur de la maison pontificale, affirmait que "Jésus n’attend pas que les pécheurs changent de vie pour pouvoir les accueillir, mais il les accueille et c’est ce qui amène les pécheurs à changer de vie". Jésus bénit largement les personnes sans chercher préalablement à savoir quelle est leur moralité. Le cardinal Cantalamessa précise encore : 

"Jésus n’attend pas que la Samaritaine mette de l’ordre dans sa vie privée pour passer du temps avec elle et même lui demander de lui donner à boire. Mais ce faisant, il a changé le cœur de cette femme qui est devenue évangélisatrice parmi son peuple. La même chose arrive avec Zachée, avec Matthieu le publicain, avec la pécheresse anonyme qui lui baise les pieds dans la maison de Simon et avec la femme adultère."

À chaque fois, Jésus bénit. Il n’a cessé de bénir ceux qui lui demandaient avec humilité et sincérité, jusqu’à son dernier instant sur terre. "Et, levant les mains, il les bénit. Or, tandis qu’il les bénissait, Il se sépara d’eux et il était emporté au ciel" (Lc 24, 50-51). Nous voulons une Église qui va aux périphéries, mais nous poserions des conditions pour accueillir les personnes des périphéries qui font la démarche, parfois courageuse, de demander une bénédiction ? N’est-ce pas incohérent ? L’Église n’a-t-elle pas vocation à témoigner de l’amour inconditionnel de Dieu pour chacun ? Au cardinal Cantalamessa de conclure : "Nous sommes appelés à choisir entre deux modèles, entre donner la prééminence à la loi, ou la donner à la grâce et à la miséricorde."

Recevoir gratuitement l’amour de Dieu 

Attention aussi en ce sens à qualifier trop vite l’amour qui conduit à ces "couples en situation irrégulière" comme "non conformes à Dieu". Les choix de vie des personnes divorcées remariées ou homosexuelles ne sont certes pas conformes au magistère. Pour autant, cela ne signifie pas que leur amour est impur. J’ai moi-même été témoin quand j’ai accompagné des personnes malades du Sida à New York avec les sœurs de la charité de Mère Teresa de l’amour que pouvaient se donner deux hommes, fidèles jusqu’au bout, lorsque l’un d’entre eux était atteint par la maladie et allait en mourir. Leur amour et leur fidélité n’étaient-ils pas porteurs et révélateurs de l’amour de Dieu ? En posant des conditions pour honorer les demandes de bénédiction à deux personnes qui demandent l’aide de Dieu, les responsables d’Église concernés prennent le risque de se couper définitivement de ceux qui, conscients de leurs faiblesses et de leurs erreurs, implorent de recevoir gratuitement l’amour de Dieu comme celui d’un Père qui les aime. Veut-on faire de l’Église l’enclos des chrétiens bons élèves et bien-pensants, appliquant parfaitement la doctrine du magistère, ou voulons-nous rassembler l’humanité dans sa diversité pour l’inviter à devenir un peuple de pauvres et de pécheurs qui se savent aimés de Dieu ?

Un vœu pour cette nouvelle année 2024 est que l’Église, et les chrétiens dans leur ensemble, témoignent sans peur, sans hésitation ni retenue, de l’amour inconditionnel de Dieu pour TOUS les hommes et les femmes de bonne volonté, quelles que soient leur vie, leurs origines, leur histoire de couple ou leur sexualité. Osons aimer largement, sans jugement et sans poser de conditions préalables à l’amour de Dieu qui n’a qu’un désir, celui d’accueillir tous ceux qui viennent à lui et de dire du bien de ses enfants !

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