Parmi tous les édifices religieux — églises, chapelles, oratoires, croix de chemin — qui couvrent nos villes et nos campagnes, certains font mémoire de défunts morts dans des conditions tragiques. Ces lieux de culte "mémoriels" ou "expiatoires" appellent à la prière pour le repos de l’âme des disparus. Dans certains cas, leur vocation est d’implorer le pardon de Dieu. Aleteia vous présente une sélection de ces lieux de mémoire et de prière. Certains sont très connus, en raison du retentissement national de la tragédie dont ils évoquent le souvenir, comme la Chapelle expiatoire à Paris en souvenir du martyre du roi Louis XVI, d’autres ont une notoriété régionale forte, comme Notre-Dame de Myans, en Savoie, ou Notre-Dame des Colombiers dans le diocèse de Carcassonne. Tous appellent à la miséricorde de Dieu et sont un témoignage de l’espérance des hommes.
1Notre-Dame-de-Grâce (Castres, diocèse de Cambrai)
Ce Castres-là ne se trouve pas dans le Midi et l’étymologie de son nom ne renvoie pas à un camp fortifié (castrum) mais à trois chastes filles, Castæ Tres, assassinées dans la forêt du lieu en 855. L’histoire les présente comme les trois filles de Kenulf, un souverain saxon de Mercie en Angleterre, parties en pèlerinage à Rome : les malheureuses auraient trouvé une mort tragique durant une halte dans ces bois. On peut s’interroger sur l’identité princière des victimes, sans doute pas sur la réalité du crime, politique ou crapuleux. Quoiqu’il en soit, une chapelle a tôt été élevée sur leur tombe où les miracles se sont multipliés.
2Notre-Dame-des-Colombiers (Montbrun, diocèse de Carcassonne)
À une date indéterminée, sans doute dans le courant du XIIe siècle, un pèlerin déguenillé se présente à la porte du castel de Montbrun, non loin de Carcassonne. Il en demande l’entrée sur un ton qui n’a pas l’heur de plaire aux hommes de guet qui le chassent. Le bonhomme revient, plus insistant, et agace tant que l’intendant lui fait lâcher aux trousses les meutes de chasse du seigneur des lieux. Il s’agit seulement de lui faire peur et de lui donner une leçon. Mais l’affaire tourne mal, et les dogues mordent à mort le quémandeur… L’affaire en soi serait déjà fâcheuse, elle prend plus vilaine tournure encore lorsque le sire de Montbrun reconnaît, horrifié, en se penchant sur le cadavre, son propre père, disparu en Terre sainte lors de la croisade et depuis tenu pour mort. Nul ne saura jamais comment le vieux seigneur aura réussi à échapper à la captivité chez les musulmans ni comment il aura regagné la France pour y trouver cette fin injuste. Rongé de remords pour un acte d’inhospitalité et de violence devenu parricide involontaire, le sire de Montbrun fait élever l’église Notre-Dame-des-Colombiers sur les lieux du drame, pour le pardon de ses péchés et le repos de l’âme paternelle.
3Notre-Dame de Myans (Diocèse d'Annecy)
Le 24 novembre 1248 restera une date funeste dans la mémoire savoyarde. Ce jour-là, tout un pan du Mont Granier qui domine le village de Myans, est soudain emporté par un éboulement. Le bourg disparaît sous des tonnes de terre et de roches. On estimera à au moins cinq mille le nombre des victimes de cette effroyable catastrophe naturelle. Un seul bâtiment, pourtant situé lui aussi dans le couloir d’avalanches et qui, à ce titre, aurait dû disparaître avec le reste, émerge, intact, au milieu de ce désastre. Il s’agit d’une chapelle consacrée à Notre-Dame. Miraculeusement épargné, le sanctuaire ne rappelle pas tant le drame que la grâce de protection dont il a bénéficié et qui a fait de lui le grand pèlerinage marial de la région.
4Notre-Dame-de-Bon-Secours (diocèse de Nancy)
La veille de l’Épiphanie 1477 sonne le glas des ambitions démesurées du duc Charles de Bourgogne, cousin de Louis XI. Celui que l’on surnomme le "Téméraire" en raison des risques inconsidérés qu’il prend parfois, animé par son rêve de créer entre la France et l’Empire germanique un puissant État indépendant, n’a pas vu sa chance tourner ni su s’arrêter à temps. La bataille qu’il livre aux cantons suisses devant Nancy en cette veille des Rois se solde par une défaite totale. Le prince n’y survit pas. Le surlendemain, l’on découvre son cadavre, dépouillé par des pillards et nu, à demi dévoré par les loups, près de l’étang gelé de Jarville. Plusieurs milliers de ces soldats, tombés à ses côtés, sont hâtivement enterrés sur place. C’est là qu’en 1484, le duc René de Lorraine décide d’élever une chapelle, d’abord dénommée Notre-Dame de la Victoire, puis Notre-Dame de Bon Secours, mais que les Nancéens, ne se trompant pas sur le désir de donner une sépulture convenable à l’ennemi vaincu, surnomment la chapelle des Bourguignons. La Vierge au manteau qu’on y vénère et qui prend sans distinction tous ses enfants sous sa protection témoigne de ce désir de pardon.
5Notre-Dame de La Brossardière (La Tardière, diocèse de Luçon)
Ce n’est pas une histoire bien œcuménique que celle-ci… Nous sommes à la fin des Guerres de religion qui désolent la France depuis plus de trente ans et qui ont impitoyablement dressés les uns contre les autres Français catholiques et convertis à la Réforme protestante. Dans cette région du Poitou, les protestants, longtemps majoritaires, ne se résignent pas à abandonner leurs places fortes. L’accession au trône du roi de Navarre, leur ancien camarade de combat, ne les a pas incités à la pacification. Cette attitude irrite fortement des catholiques minoritaires dans la région et qui n’acceptent pas la tutelle d’un roi issu du protestantisme. Les haines sont plus exacerbées que jamais entre les deux clans. Dans la matinée du 15 août 1595, un groupe de partisans "papistes" surprend les protestants de La Tardière alors qu’ils sortent du temple. L’un des huguenots, à la vue des cavaliers catholiques, sort son arme, tire et en abat deux. Fous de rage, leurs camarades ripostent, laissant une trentaine de protestants sur le carreau… Deux générations plus tard, alors que le temple de la Brossardière n’est plus qu’une ruine, le seigneur local décide d’élever à son emplacement une église dédiée à Notre-Dame dont la fête de l’Assomption avait été profanée.
6Notre-Dame-du-Saint-Lieu (Gespunsart, diocèse de Reims)
En janvier 1716, le curé et les fidèles du village de Gespunsart sont bouleversés lorsqu’ils découvrent forcé et profané le tabernacle de l’église paroissiale. Quant aux vases sacrés et à la réserve eucharistique, ils ont disparu, à la consternation générale. Des prières de réparations sont faites, conformément à ce que demande l’Église en pareil cas. Mais voilà que la coupable du vol finit par être démasquée : il s’agit d’une femme de mauvaise réputation qui a voulu vendre le ciboire pour gagner de l’argent. Interrogée sur ce qu’elle a fait des hosties consacrées, elle avoue les avoir jetées dans les bois. On est au cœur de l’hiver et, dans ces régions ardennaises, il est froid. Quelle chance a-t-on de retrouver le Corps du Christ ainsi abandonné dans la nature aux animaux ? Prêtre et fidèles se rendent pourtant à l’endroit indiqué et, sidérés, découvrent, brillantes dans la neige, les hosties intactes. Sur l’emplacement de ce miracle eucharistique est élevée la petite chapelle Notre-Dame du Saint-Lieu.
7La Chapelle expiatoire (Square Louis-XVI, diocèse de Paris)
On mesure mal la commotion provoquée, en France et en Europe, par l’exécution de Louis XVI, le 21 janvier 1793. Ce régicide légal est perçu comme un sacrilège destiné à couper définitivement la France de ses racines chrétiennes et bâtir à sa place une république libérée de la loi divine. Signe supplémentaire de cette volonté de rupture et de désacralisation, le cadavre décapité de "l’Oint du Seigneur" est, sans cérémonie, balancé dans le petit cimetière parisien de la Madeleine, l’un des plus récemment ouverts dans la capitale. Très central, il a déjà reçu les corps des victimes de la prise des Tuileries le 10 août 1792, notamment les soldats suisses tués en défendant le palais. Le cadavre de la reine Marie-Antoinette rejoindra celui de son époux le 16 octobre 1793. Des centaines d’autres victimes de la guillotine suivront le couple royal dans ces fosses. En 1815, Louis XVIII, remonté sur le trône, désire ramener les dépouilles de son frère aîné et de sa belle-sœur dans la nécropole royale de Saint-Denis. Les restes, retrouvés, sont en effet transférés à la basilique mais le roi souhaite conserver la trace de cette première sépulture, et honorer en même temps les autres victimes, dont beaucoup ont péri victimes de leur fidélité à la monarchie. Il demande à l’architecte Fontaine d’élever, entièrement aux frais de la famille royale, au milieu d’un parc qui abritera les fosses communes, une chapelle néo-classique à vocation non pas "expiatoire" nom qui lui est resté, mais "commémorative". Cela ne veut pas dire la même chose. Débutés en 1815, les travaux s’achèvent en 1826. Même si, pour des raisons politiques, il a été maintes fois question de le démolir, le bâtiment, classé en 1914, seulement amputé de son parc réduit au square actuel, rappelle la mémoire d’un souverain qui a laissé pour consigne à ses enfants "de ne jamais chercher à venger sa mort".
8La Chapelle expiatoire de la Croix-glorieuse (Les Brotteaux, diocèse de Lyon)
Au printemps 1793, les Lyonnais, hostiles aux dérives de la Convention, s’insurgent contre le pouvoir parisien. Après des mois de siège et de combats, la ville, écrasée sous les bombardements, affamée, épuisée, tombe le 12 octobre. À cette nouvelle, les Conventionnels décrètent : "Lyon a osé se révolter contre la République ; Lyon doit être détruite !" Cette politique de démolition de la cité rhodanienne, entamée par les plus beaux bâtiments de la place Bellecour, ne sera heureusement pas menée à terme mais, en parallèle, commencent les arrestations en masse et les exécutions ininterrompues. Au moins deux mille Lyonnais seront guillotinés, fusillés ou massacrés au canon dans l’actuel quartier des Brotteaux, alors une plaine agricole à la sortie de la ville. En 1795, après la fin de la Terreur, leurs familles voudront élever un monument à la mémoire de ces victimes. Ce sera d’abord, déchristianisation oblige, une pyramide commémorative mais, celle-ci ayant été volontairement incendiée en 1796, la place est libre, sous la Restauration, pour la construction d’une chapelle expiatoire. Les travaux d’urbanisation du quartier à la fin du XIXe siècle vont, certes, entraîner la démolition du sanctuaire mais c’est pour mieux le rebâtir à quelque distance. De style néo-byzantin, située 145 rue de Créqui dans le 6e arrondissement lyonnais, la chapelle expiatoire de la Croix glorieuse a cette particularité d’exposer dans ses cryptes les ossements des victimes qui ont aussi servi à la confection de l’autel et de certains décors. L’effet est saisissant.
9Notre-Dame-des-Martyrs (Île d’Aix, diocèse de La Rochelle)
Depuis mai 1792, les prêtres qui n’ont pas prêté le serment constitutionnel qui les couperait de Rome sont passibles de la déportation. C’est par centaines qu’ils sont arrêtés aux quatre coins de la France, puis regroupés dans les ports de l’Atlantique, plus spécialement celui de Rochefort, dans l’attente du départ pour les bagnes de Cayenne ou des Comores. En fait, le blocus de la flotte anglaise empêchera l’appareillage des navires, et le cauchemar commence. Sur les 829 prêtres entassés sur trois vieilles bailles réformées de la traite négrière, 547 ne survivront aux effroyables conditions d’emprisonnement et aux violences des gardiens. Comme la marée ramène les cadavres, d’abord jetés à la mer, vers la côte, risquant de provoquer des épidémies, il faut bien se résoudre à les enterrer sommairement sur les îles d’Aix et Madame. En 1890, des travaux de fortification sur Aix ramènent au jour ces ossements auxquels le curé de l’île, l’abbé Piau, décide de donner une sépulture convenable ; il lance alors une souscription qui permettra l’édification de l’actuelle église Notre-Dame des Martyrs.
10Notre-Dame-de-Compassion (Diocèse de Paris)
Le 13 juillet 1842, le jeune duc d’Orléans, prince royal et héritier de la couronne constitutionnelle, sur le point de rejoindre son régiment, part faire ses adieux à sa famille, en villégiature au château de Neuilly. Il a peu de temps devant lui et trouve que le cocher de la voiture légère empruntée aux écuries royales ne va pas assez vite. Il lui prend les rênes et accélère l’allure, mais, dans le virage de la route de la Révolte, les chevaux s’emballent. Ferdinand d’Orléans est violemment projeté hors du véhicule et sa tête heurte, dans sa chute, un tas de pierres. Le jeune homme de 32 ans est transporté inconscient dans la maison la plus proche, celle de l’épicier bistrotier Cordier où il mourra quelques heures plus tard sans avoir émergé du coma.
Sa mère, la pieuse reine Marie-Amélie, ajoutera à l’incommensurable chagrin de la perte de son fils aîné l’angoisse de son salut éternel, le prince n’ayant pu se confesser. Ferdinand enterré dans la chapelle royale de Dreux, ses parents décident d’élever, à l’emplacement de la maison Cordier, une chapelle placée sous l’invocation de son saint patron, qui n’est pas l’actuelle Saint-Ferdinand-des-Ternes. Pour son édification commencée en 1843, ils feront appel au meilleur architecte de l’époque, Fontaine et, pour la décoration intérieure, aux plus grands artistes du temps, Ingres, Ary Scheffer, mais aussi à la jeune sœur du défunt, Marie d’Orléans, sculptrice de talent. Sommet du romantisme, Saint-Ferdinand manquera disparaître lors des grands travaux de la Porte Maillot dans les années 1970. La Maison de France obtiendra cependant qu’au lieu d’être démolie, la chapelle soit déplacée pierre par pierre et reconstruite à l’identique, à son actuel emplacement de la place du maréchal Koenig. En 1993, Mgr Lustiger en a fait une paroisse mais en a changé le nom ; elle s’appelle désormais Notre-Dame-de-Compassion.
11Notre-Dame-des-Otages (Diocèse de Paris)
Le 26 mai 1871, la Commune de Paris vit ses dernières heures ; les troupes gouvernementales ont repris le contrôle de l’ouest de la capitale et avancent implacablement vers les quartiers populaires de l’est, derniers bastions de l’insurrection. Dans leur recul, les insurgés emmènent leurs otages, annonçant crûment : "Nous les prenons avec nous et ils crèveront avec nous !" Parmi eux, l’archevêque de Paris et de nombreux prêtres et religieux. Ils seront les premiers à faire les frais de l’anticléricalisme haineux de leurs geôliers. Le 24 mai, l’archevêque, Mgr Darboy et quatre prêtres sont fusillés à la prison de la Roquette mais le pire aura lieu le surlendemain, avec le transfert des derniers otages vers le quartier de Belleville où ils seront massacrés, au terme d’un effroyable calvaire, dans le jardin d’une propriété au 81 de la rue Haxo. Parmi eux, le Père Henri Planchat, plusieurs religieux picpuciens, aujourd’hui béatifiés, trois jésuites et un séminariste de Saint-Sulpice. Les corps, profanés, jetés pêle-mêle dans la fosse d’aisance de cette Villa Vincennes, y seront récupérés quelques jours plus tard. Si les laïcs seront enterrés dans le cimetière voisin, les diverses communautés religieuses tiendront à récupérer les reliques de ceux qu’elles considèrent comme des martyrs. C’est le cas des jésuites qui, en 1890, rachètent la propriété avec l’intention d’en faire un mémorial aux victimes catholiques de la Commune. Ce n’est finalement qu’en 1932 que sera prise la décision d’y construire l’église de style art déco Notre-Dame-des-Otages, consacrée en 1938. Certains objets ayant appartenu aux victimes, ainsi que des vestiges de la prison de la Roquette où ils ont passé leurs derniers jours, y sont visibles.
12Chapelle Saint-Joseph du Plateau-des-Aviateurs (Vernas, diocèse de Grenoble)
En 1944, durant les combats de la Libération, un appareil allié s’écrase près du hameau de Vernas dans le Vercors ; l’équipage est tué dans l’accident. Vingt-et-un ans après, un appareil civil connaît le même sort au même endroit. Frappée par la coïncidence, la population élève une stèle à la mémoire des victimes. Le lieu de ces deux crashs est rebaptisé Plateau-des-Aviateurs et une petite chapelle voisine, placée sous l’invocation de Saint-Joseph, devient dès lors un monument commémoratif de ces drames. C’est le point de ralliement de nombreux randonneurs.